Fort de Locqueltas 

 

En 1831, alors qu'il est question de la construction d'un pont suspendu sur la rivière le Ter au passage de Kermélo, pour rallier Lorient à Larmor, le commandant du génie de la place de Lorient est appelé à donner son avis.
Il observe qu'en cas de guerre maritime, si comme le remarque monsieur le préfet du Morbihan, cela donnerait un moyen plus facile et plus prompt de communiquer entre la ville de Lorient et la côte de Larmor, cela pourrait être utile à la défense de la frontière. D'un autre côté cette communication serait dangereuse en procurant à l'ennemi le moyen de se porter avec plus de facilité et de promptitude sur la place de Lorient si importante par ses établissements maritimes.
Il rappelle que déjà en 1829, la commission mixte des travaux publics avait estimé que le comblement de l'anse du Ter serait préjudiciable à la défense de Lorient. Avis approuvé par le ministère de la guerre et de la marine.
En conséquence, il estime que la demande de construction de pont au passage de Kermélo sur la rivière du Ter formulée par monsieur Laurent de Lyone, ne doit être accordée que sous la condition de démolir ou voir démolir à ses frais le dit pont, à la première réquisition de l'autorité militaire, en temps de guerre et ce sans indemnité.

Le colonel, directeur des fortifications, approuve cet avis et souligne que si prompt que fut le débarquement à droite de l'embouchure du Blavet, d'une troupe ennemie capable d'inquiéter Lorient, et sa marche vers cette place, il n'est pas probable qu'elle eut atteint le pont projeté avant la facile et rapide démolition de ce léger ouvrage.

L'ingénieur en chef des ponts et chaussées signale qu'en cas de guerre, le passage d'un corps de troupe sur ce pont chargerait le plancher de 200 kg/m², et il conviendrait donc de le soumettre à l'épreuve d'un poids équivalent.

C'est trois ans plus tard, le 16 octobre 1834, après de nombreuses difficultés que Louis Philippe, Roi des Français, autorise le préfet à mettre les travaux de construction du pont en adjudication.

En 1836, le colonel, directeur des fortifications, s'oppose à la construction d'un pont fixe qu'on propose de substituer à la passerelle suspendue initialement prévue, étant donné qu'il doit pouvoir être démoli immédiatement en cas de guerre.
Finalement, le pont suspendu à péage, construit par les frères Seguin, est ouvert au public le 7 avril 1838. Les militaires en corps ou isolément porteurs d'ordre de service ou de feuille de route sont exempts de droit de passage.

convoi militaireEn 1883, alors que la circulation sur le pont de Kermélo a été interdite plusieurs fois à cause de sa fragilité, il est question de le remplacer par un pont fixe en pierres et de racheter le péage. Les habitants du quartier de Larmor le réclament avec force au moyen d'une pétition dans laquelle ils soulignent que l'artillerie de marine qui fait l'été ses exercices de tir à Locqueltas est obligée de faire passer ses canons par Plœmeur, faute d'un pont assez solide pour les supporter.

Le 10 avril 1884, le conseil municipal de Lorient s'inquiète : la marine et l'artillerie qui envoient des hommes, des chevaux, des canons, du                         Collection personnelle                                      matériel ne peuvent se servir du pont à cause de son défaut de solidité et de largeur. Qu'arriverait-il en cas de guerre ?

 

Le 29 novembre 1900, alors que le rachat du droit de péage du pont se précise enfin, le général de la Rivière, commandant la 43e brigade d'infanterie et les subdivisions du Morbihan écrit au préfet. 

Il exprime la satisfaction qu'éprouveraient nos soldats de franchir individuellement le pont sans avoir à payer un droit. J'ajouterais que si les troupes sont exemptes de la taxe actuelle, elles trouveraient grand avantage à franchir, dans l'avenir, un pont large et solide présentant toutes les garanties de résistance que ne possède pas le pont suspendu en service.

Le 6 mai 1902, un arrêté réglemente le passage du pont devenu gratuit. L'article 5 prévoit que lors du passage de la troupe, les chefs de corps devront faire marcher : l'infanterie sur deux files seulement et à volonté, c'est-à-dire en rompant le pas ; la cavalerie sur une seule ligne et au pas.

Le 2 février 1905, la solidité du pont s'étant dégradée, le préfet rend plus strictes les conditions de son passage. C'est ainsi que pour le passage des troupes, le nombre de soldats est limité à des groupes de 20 et celui des cavaliers à des groupes de 6. Le ministre de l'intérieur écrit au préfet qu'il serait prudent d'appeler l'attention de l'autorité militaire sur l'état du pont de Kermélo et de lui demander d'éviter dans la mesure du possible d'y faire passer les troupes en marche.
Le général Peloux, commandant le 11e corps d'armée et le vice-amiral Melchior, commandant en chef, préfet maritime, donnent les ordres nécessaires pour que les troupes, dans la mesure du possible, évitent de passer sur cet ouvrage.

Compte tenu de la fragilité du pont, le 3 décembre 1912, le préfet décide que l'infanterie est autorisée à y passer par groupe de 16 en rompant le pas et la cavalerie par groupe de 4 au pas.

Le 19 juillet 1913 le colonel Costebonel, commandant le 62e régiment d'infanterie à Lorient, se plaint auprès du vice-amiral, gouverneur, commandant d'armes à Lorient, de l'attitude du gardien du pont de Kermélo. Etant à cheval avec ma fille et arrivant près du pont, j'ai mis pied à terre, conformément à la consigne donnée par la Place, tandis que ma fille qui monte en amazone et qui ne pouvait mettre pied à terre traversait le pont à cheval. Le gardien du pont lui ayant donné l'ordre de descendre, je me suis opposé à cette injonction en faisant observer qu'une femme à cheval ne pouvait pas mettre pied à terre. Le gardien prenant alors un ton menaçant et insolent m'a répondu qu'il allait faire une réclamation. Il est inadmissible que des faits de ce genre soient tolérés et qu'un officier soit pris à partie d'une manière aussi violente. Je réclame donc qu'une sanction soit prise contre cet employé.

Cette plainte est transmise par le préfet maritime au sous-préfet de Lorient puis au préfet du Morbihan.
L'enquête effectuée par l'agent voyer d'arrondissement Lenoble fait ressortir que le coupable ne serait pas le gardien Kerangouarec, mais un des contremaîtres de Bonduelle et Martineau, les entrepreneurs de l'ouvrage en construction. Interrogé, il a reconnu les faits. Nous l'avons vertement tancé et prié de ne pas s'occuper de choses qui ne le concernaient aucunement. Nous avertissons ce jour les entrepreneurs qu'ils ont à veiller à ce que leurs employés restent étrangers à la police du pont sous peine d'être obligés de prononcer le renvoi du coupable. Puis l'agent voyer précise que pour les amazones accompagnées par un cavalier servant, celui-ci pouvant le cas échéant les aider à maîtriser leur monture, nous ne voyons aucun inconvénient à ce qu'il soit dérogé pour elles au règlement.

Le 3 avril 1914, toute circulation est interdite sur le pont suspendu qui menace de s'écrouler alors que la construction du nouveau pont est considérablement retardée par des malfaçons. Il est finalement ouvert au public le 15 avril 1919.