La verrerie du Kernével

 

Droneau crée une verrerie au Kernével

En avril 1755, Pierre-Michel Droneau, procureur du roi de la ville de Lorient et caissier en chef de la Compagnie des Indes rencontre les dirigeants de la Compagnie. Sur sa proposition, ils le chargent d'établir un mémoire sur la création d'une verrerie sur le bord de la côte près L'Orient. En effet la Compagnie des Indes est grande consommatrice de bouteilles de verre, rares et chères dans la région. M. de Trudaine, Intendant des Finances, engage Droneau à créer un tel établissement et l'assure qu'il le fera aider par les Etats de Bretagne.

 

Par un arrêt du Conseil en date du 29 juillet 1755 et les lettres patentes du 10 décembre il est autorisé à établir une verrerie au Kernével en vue de procurer à la Province de Bretagne l'abondance des ouvrages de verre et d'en faire diminuer le prix que leur rareté rendait excessif.
Il peut vendre et débiter toutes sortes de verres, bouteilles, cristaux, émaux et autres ouvrages de verrerie.
Pour la fabrication, seul le charbon de terre provenant des mines du royaume peut être utilisé, sans brûler aucun bois ni charbons de bois. Est également exclue toute soude faite avec les cendres de goémons brulés dans le pays.

Nouveau plan de Lorient, du Port-Louis et de leurs rades, 1779

Le 17 mai 1755, devant maître Le Guevel, Marie Anne Perriot, veuve de Vincent Tafflé de son vivant notaire, et consorts héritiers de Mathurin Perriot et Gabrielle Michel, cèdent à Pierre-Michel Droneau et Jacquette Poirier son épouse une maison principale couverte en ardoises avec un jardin au couchant cerné de murs et deux magasins au midi de la cour et de la dite maison, un autre magasin au levant de la dite maison principale, le chemin entre le terrain vide au levant du dernier magasin allant jusqu'à la mer. Tout le dit terrain à prendre depuis les deux bornes qui sont en dehors au couchant des deux bouts du mur du dit jardin pour aller sur les lignes des deux bornes jusqu'à la mer donnant du midi à terre du sieur Peron de Port-Louis et du couchant et nord à terre de la seigneurie du Ter. Le dernier magasin ayant une fenêtre au pignon du nord, de plus une portion de terre sous lande donnant du nord sur le rivage de la mer autrement dit l'anse du Kernével, chargés de trois livres de rente censive à la seigneurie du Ter relevant roturièrement du proche fief de La Rochemoisan.
La vente est consentie pour la somme de huit mille livres.

 

C'est là que Pierre-Michel Droneau implante sa verrerie avec la construction d'un four et de quelques petits logements pour les ouvriers en investissant 50 000 livres. Il acquiert également les matières premières nécessaires : cendres, terre à pots et à briques, charbon de terre ; la soude se faisait avec du varech pris sur le bord de la côte ; le sable ne coûtait que la peine de le prendre au pied de la verrerie.

Dès la mise en route de la verrerie en 1756, la quantité et la qualité des bouteilles sont telles que la verrerie se trouve au premier rang de cette industrie et les ouvriers ne peuvent plus suffire aux demandes. Le prix de vente des bouteilles est réduit de six livres par cent du fait que les matières premières se trouvent sur place. Les verreries de Nantes, Bordeaux, La Rochelle ne concurrencent pas celle du Kernével dont la qualité des produits est très appréciée.

 

Succès de la manufacture

En 1757, Droneau demande un secours à la Commission Intermédiaire des Etats de Bretagne pour agrandir son affaire. A cet effet, il produit plusieurs attestations.
- Le 30 novembre 1758, attestation des maire, échevin et avocat du roi de la ville de l'Orient :
L'établissement fait par le sieur Droneau d'une verrerie royale au Kernével a fait diminuer le prix des bouteilles qui sont plus belles et plus fortes que celles qui viennent de Calais, de Boulogne et autres lieux, lesquelles n'avaient pas de prix fixe et étaient augmentées par le seul marchand qui en avait […] monopole qui n'aura plus lieu.

- Le 6 décembre 1758, le sieur Guidi, commandant de la marine à Port-Louis, reconnait que la verrerie royale est de la plus grande utilité pour ce canton, même pour Brest où il a fait envoi des bouteilles de cette verrerie, dont on a été content pour les armements et même pour toute la province surtout en temps de guerre, temps auquel on a tant de peine à faire venir des verres d'ailleurs. Il serait à souhaiter que cette verrerie soit assez encouragée pour qu'elle pût nous donner et fournir des verres à vitre et pour tout usage.

- Le sieur de Montigny, subdélégué de l'Intendance de Bretagne souligne également la diminution du prix des bouteilles et leur meilleure qualité que celles venant d'ailleurs. Cet établissement mérite toute l'attention et toute la faveur de la province de Bretagne, puisqu'outre les avantages qui en résulteront, ce sont des fonds qui restent que nous étions forcés de porter à nos voisins et aux étrangers.

En 1760, les contraintes administratives portent préjudice à la rentabilité de la verrerie et Droneau sollicite quelques faveurs :
                         - l'exemption des droits sur le charbon de terre ;
                         - le droit d'user des cendres de goémon ;
                         - le droit d'avoir un portier "à la livrée du Roi" ;
                         - le droit d'indiquer sur sa verrerie le titre de "Manufacture Royale".

M. de Montigny n'y est pas favorable. Droneau insiste et le 4 juin 1760 M. Le Bret, intendant de la province, l'informe qu'à la demande de M. Trudaine, conseiller d'état intendant des finances, le conseil lui accordera en toutes occasions toute la protection possible et l'exemption des droits qui se lèvent sur le charbon de terre.
Il est également autorisé à utiliser du goémon qu'il doit faire brûler à Penmarch.
Par contre, le titre de verrerie royale lui est refusé. En effet, le conseil sur ce qu'il a connu de l'abus qui a souvent été fait de ce titre, s'est décidé de ne plus en accorder que dans des circonstances très particulières dans lesquelles le sieur Droneau ne se trouve pas. Néanmoins, l'appellation de verrerie royale est fréquemment utilisée, même par les autorités locales.

 

Agrandissement

En 1760 Droneau sollicite des Etats de Bretagne un emprunt de 80 000 livres pour le soutien et l'agrandissement de la verrerie.
Sa requête est présentée à Nos Seigneurs des Etats de Bretagne.
Le bien public fut l'objet de cet établissement et l'utilité s'en fait déjà sentir dans cette Province. Depuis la dernière tenue des Etats, le suppliant a fourni à Lorient et aux autres villes de Bretagne 256 751 bouteilles de verre double à 24 livres le cent. Cette fourniture, si elle avait été tirée du dehors, eut fait sortir 61 610 livres, et de plus les marchands étrangers auraient vendu des bouteilles très inférieures à 36 livres le cent comme ils le firent pendant la précédente guerre. Le public aurait payé la fourniture 92 415 livres et par conséquent le suppliant a procuré 30 805 livres de bénéfice à la Patrie et lui a conservé 61 610 livres de fonds.
Le suppliant convient que l'avantage qu'il cite n'est pas encore considérable, mais il peut le devenir par l'augmentation de la verrerie . . .
Le suppliant, sans avoir pris d'associé, a sacrifié 200 000 livres à l'établissement et à l'agrandissement de la manufacture. Il est sur le point de fabriquer des verres à vitre […] mais il ne peut conduire cette partie à la perfection, si les Etats n'ont pas la bonté de l'aider parce qu'il a employé tous ses fonds.
Le suppliant n'est pas le premier de sa famille qui ait été animé du bien public, ses père et mère fondèrent en 1742, en vertu de lettres patentes, l'hôpital de Lorient . . .
Le suppliant pour obtenir la confiance des Etats pourrait se borner à observer que la Compagnie des Indes lui accorde la sienne depuis 28 ans en qualité de son caissier, mais il offre de déposer au greffe des Etats les titres de propriété des biens qu'il possède, lesquels valent plus de 70 000 livres, indépendamment de la verrerie. Ils seront la sureté de l'avance qu'il demande.
Nos Seigneurs, vous plaise accorder au suppliant une somme de 80 mille livres par forme de secours et pour l'augmentation de la verrerie de Kernével, ou du moins le crédit des Etats pour l'emprunter, sur son offre de rembourser cette somme dans les trois ans, savoir le tiers de cette somme par année.

Puis Droneau se lance dans la fabrication de verres à vitre, façon d'Allemagne, pour grands carreaux, dont le public est très satisfait.

Le 24 février 1763, les autorités de la ville de L'Orient, conseiller du roi, maire, lieutenant de maire et échevin certifient que Pierre Michel Droneau a été pourvu par sa majesté des offices municipaux suivants :
- le 22 juillet 1745, de celui de procureur du roi ;
- le 3 mai 1759 de l'office d'échevin en remplacement de feu M. Droneau son père qui l'avait exercé près de vingt ans.
Dans cette fonction, il s'est toujours comporté et se comporte journellement avec zèle, capacité, distinction à notre entière satisfaction et celle du public.
Le sieur Droneau par l'établissement de sa verrerie royale du Kernével procure à la Province et au commerce en particulier de cette ville de grands avantages qui vont devenir considérables pour la paix et le projet qu'il a formé et essayé avec succès pour le verre à vitre. C'est pourquoi nous désirons qu'il obtienne toutes facilités et protection dont nous partageons avec lui la reconnaissance.

En 1763, Droneau demande la concession par afféagement d'un terrain vaseux situé au nord-ouest de son usine et l'autorisation de clore le chemin qui traverse sa propriété. Il joint un plan à sa demande. Malgré un avis défavorable du commissaire des états  qui estime que le consentement qu'on pourrait lui donner éprouverait mille obstacles, tant de la part des particuliers que de la Compagnie des Indes, le 18 décembre 1763 le prince de Rohan Guémené lui loue 7 à 8 journaux de terrains vagues.

 

En 1764, Noblet est directeur de la verrerie. Fonberg, qui en sera directeur 5 ans plus tard fait déjà partie du personnel. On note aussi la présence de MM. Hervé, Blin, Bachelard et Collignon, maitres souffleurs, des maitres fondeurs, Mortier maitre fournaliste, Mouchel potier. Il y a aussi un contrôleur de la verrerie, des maitres ouvriers, des commis, un canotier pour le transport des marchandises en bateau.

 

En 1764, Droneau sollicite des Etats de Bretagne la permission d'utiliser du charbon d'Angleterre et l'exemption des droits sur ce charbon.
Il vient de faire construire un second fourneau afin d'ajouter à sa fabrique des bouteilles celle du verre blanc ou verre à vitre infiniment plus intéressant. Par sa constance, on pourrait dire par son opiniâtreté, le sieur Droneau a surmonté les jalousies et les obstacles de toutes espèces qui se rencontrent ordinairement dans les nouveaux établissements, mais il prend la liberté de vous en exposer un, Nos Seigneurs, dont il n'espère pouvoir sortir que par l'entremise de votre puissante protection.
Il est dit dans les lettres patentes accordées pour la verrerie du Kernével qu'on y emploiera que du charbon de terre du royaume. Cette fatale restriction causerait la ruine de l'établissement si elle n'est levée. Elle a déjà occasionné à votre suppliant des pertes et dommages considérables.
Mais une observation bien plus intéressante, c'est la défectuosité de nos charbons, dont la plupart n'étant que poussières, augmente la consommation et exige plus de temps pour procurer au fourneau la chaleur nécessaire.
C'est pour parer des inconvénients aussi destructifs qu'il implore votre appui avec d'autant plus de confiance que vous avez déclaré vouloir favoriser tous ceux qui cherchent les moyens d'augmenter dans la Province, l'agriculture, les arts et le commerce. Vous n'avez pas d'établissement qui vous donne du verre blanc dont l'emploi est aujourd'hui si considérable et bien plus dispendieux en temps de guerre parce qu'il faut le tirer du dehors.
Il souhaite obtenir la liberté d'employer 2500 barriques de charbon d'Angleterre par an et l'exemption des droits liés.

Le 1er janvier 1765, les Etats de Bretagne accèdent à sa demande et chargent les députés qui iront en cour de solliciter pour le sieur Droneau la mainlevée de la restriction portée dans les lettres patentes.

 

En 1766 afin de faciliter le travail des verriers, un projet envisage de les autoriser à récolter le goémon du 1er mai au 30 septembre, et les particuliers du 1er octobre au 15 février de chaque année. Mais l'année suivante, l'Intendant de Bretagne s'y oppose considérant que cela nuirait à l'agriculture, la période proposée pour les verriers étant celle de la croissance du goémon.
En 1772, une déclaration royale fixe la période de coupe du goémon aux mois de janvier à mars et de juillet à septembre. Dans les mois d'été, on ne peut récolter que le goémon destiné à la fabrication de soude.

 

En 1769 Pierre Michel Droneau renouvelle certaines demandes déjà anciennes.
Il demande que sa verrerie ait le titre de "manufacture royale", prétextant que la facilité que le peuple a d'entrer dans les ateliers, fourneaux et magasins a occasionné que les ouvriers ont été insultés et beaucoup plus souvent interrompus et détournés de leur travail.
Pour le verre à vitre qu'il a perfectionné après de longues expériences, il demande de pouvoir utiliser 250 barriques de charbon d'Angleterre de plus, sans payer de droit. Il souhaite également ne plus être obligé de faire brûler le goémon à Penmarch.

La même année il confie la direction de la verrerie du Kernével à François Fonberg, négociant, propriétaire de navires, demeurant à Port-Louis. Il en est directeur jusqu'à sa fermeture en 1772.

 

Droneau arrêté, fermeture de la verrerie

En novembre 1771, M. de Rabec, l'un des directeurs de la Compagnie des Indes signifie à Droneau que de nombreuses erreurs ont été trouvées dans ses comptes depuis 1765 pour des sommes considérables. Sur ordre du roi, il est arrêté le 15 février 1772 et mis au secret à la citadelle de Port-Louis.

Un mois plus tard, le 11 mars, de Rabec fait éteindre la verrerie et arrêter le travail, prétextant qu'elle perd de l'argent tous les jours.

 

Le 8 juin Droneau est transféré à la Bastille. Libéré le 22 novembre, soit après 9 mois de captivité, il regagne Lorient pour préparer sa défense avec l'aide de maître Isnard de Bonneuil. En 1775, il dépose en défense un mémoire de 206 pages pour être jugé en dernier ressort.
Il démontre qu'il n'a pas distrait de fonds de la caisse de la Compagnie au profit de sa verrerie en justifiant l'origine de ses investissements qui s'élèvent à près de 900 000 livres provenant de son patrimoine, de ses bénéfices de commerce, de ses épargnes et des mises de diverses personnes. En comparaison avec la gestion de ses prédécesseurs, il prouve même lui avoir procuré un très important bénéfice. Loin d'être débiteur envers la Compagnie des Indes, il est au contraire en avance envers elle d'environ 72 000 livres.
En fait, Droneau pense que son succès à la verrerie du Kernével fait des envieux et ennemis secrets qui voudraient s'en rendre maître à vil prix. Fonberg, son directeur est l'homme qui convient le mieux pour avoir un tel dessein. C'est suite à son refus de recevoir les matières premières indispensables et de vendre les marchandises fabriquées restant en magasin, ainsi qu'à ses fausses déclarations que de Rabec fit éteindre les feux.
Les directeurs de la Compagnie des Indes ont d'ailleurs outrepassé leurs droits en donnant des ordres dans la verrerie, entreprise privée appartenant à Droneau. 

Parmi les pièces de son dossier, un constat de l'état de la verrerie établi le 27 mars 1773 par deux experts, en présence de Fonberg qui refuse de le signer et de plusieurs anciens ouvriers.
- le défaut d'entretien cause le dépérissement des couvertures et des charpentes. La pluie pénètre dans plusieurs endroits des bâtiments.
- les fourneaux qui étaient encore en état de servir lorsqu'ils ont été éteints sont tellement dégradés qu'il faudrait les réparer pour reprendre le travail.
- des provisions de toutes espèces de matières, pour un an, se dégradent dans les magasins.
- un très grand hangar neuf, servant de magasin de verres à vitres est rempli de caisses de cette espèce de verre.
- avant l'arrestation de Droneau, le 15 février 1772, il y avait pour 164 814 livres 8 sols et 6 deniers de marchandises dans les magasins.
- les ouvriers déclarent qu'ils faisaient par jour 16 à 18 cents de bouteilles qui étaient aussitôt vendues.

A l'appui de sa défense, figurent également de nombreux certificats fournis en 1775 par diverses personnes dont des ouvriers de la verrerie.

Ainsi, Porsain commandant d'une barque chargée de charée venant de l'ile de Ré, fait état qu'en mars 1772, M. Fonberg lui refusa une cargaison prétextant que la verrerie n'en avait plus besoin. Mais il proposa de l'acheter pour son compte, ce qu'il refusa.

Monsieur Bon, vitrier à Lorient dénonce le fait que Fonberg a refusé à plusieurs reprises de lui vendre du verre au détail.

Ensemble, Onno contrôleur de la verrerie, Barrière maitre souffleur, Mortier maitre fournaliste et Mouchel maitre potier déclarent que lors d'une visite de la verrerie messieurs de Rabec, de la Vigne Buisson et le chevalier des Roches ont dit que c'était un bel ouvrage et un très beau travail et qu'en vérité c'était dommage de le faire cesser. Ils dénoncent également l'attitude de Fonberg dans son entreprise de démolition.

Dans un autre certificat, ils expliquent que le 15 février 1772, jour de la détention de M. Droneau, la verrerie était dans la plus grande activité, qu'elle était si bien accréditée que les ouvriers pouvaient à peine suffire aux demandes des bouteilles que faisait le public, quoiqu'ils en fabriquaient tous les vingt-quatre heures dix-sept à dix-huit cents, lesquelles étaient aussitôt vendues que soufflées.
Que la verrerie avait à cette époque dans les magasins pour plus de cent soixante mille livres de marchandises fabriquées en verre à vitre, rouleaux, dames-jeannes, flacons, cloches et autres articles dont le débouché prompt et journalier se faisait en argent, procurait au propriétaire un avantage réel et indéterminé. Ces marchandises ont finalement été vendues et nous croyons que le produit doit être entre les mains du sieur Fonberg.

 

La chute de la verrerie du Kernével et le discrédit ne permettent plus de la relever malgré sa bonne réputation, aussi Droneau en demande le remboursement et des dommages intérêts.

 

Nous ignorons le résultat de cette longue procédure mais il est probable que Droneau a gagné son procès. En effet, il apparait quelques années plus tard que la verrerie dépend du domaine de la couronne avant de devenir bien national mis à la disposition de la nation par la loi du 2 novembre 1789.