Le Flot d'épouvante

 

de Jean Cotard

(éditions Eugène Figuière 1934)

 

 

Jean Cotard, colonel d'infanterie coloniale, livre les côtes de la Bretagne à l'invasion d'une horde de gigantesques crustacés, des crabes "hauts comme des éléphants".

 

"Le Nouvelliste du Morbihan" présente le dernier ouvrage de Jean Cotard :

 

Le crabe ne nous effraye pas, mais prenons la peine de l'observer : il a un aspect beaucoup plus horrifiant. Nous nous y sommes habitués parce qu'il constitue le délassement de nos pêches estivales. Mais supposons-le un instant de proportions antédiluviennes, avec ses yeux glauques, sa carapace velue, ses pinces immenses et nous verrons qu'il y a en germe tout ce qu'il faut pour constituer le principal facteur d'une vision d'Apocalypse, dont nos redoutables machines de guerre modernes, en pleine action, n'offrent qu'une idée très approximative.

 

Or, toute notre côte de Basse Bretagne fut un jour envahie par ces crabes, tourteaux, araignées, qui constituaient les tanks géants d'une armée innombrable d'infimes crustacés, s'élançant à l'assaut des villas, protégés de leur carapace, comme les guerriers d'autrefois l'étaient de leurs boucliers.

 

Quelle fut la raison de cette pullulation, de cette hypertrophie des espèces ? Tout simplement la chaleur suffocante d'un été tropical.

 

Les monstres préhistoriques ne connurent-ils pas cette température et certains savants ne nous affirmaient-ils pas qu'il suffirait d'y revenir pour les voir renaitre ? D'accord, mais pour se reconstituer, les espèces auraient besoin néanmoins de plusieurs lustres. Or dans le présent roman, un seul été y suffit. Nous voici dons en pleine fantaisie, ce qui est fait pour nous rassurer.

 

M. Jean Cotard a choisi Larmor pour cadre principal à son action. Il commence par nous décrire avec quelque malice, l'existence qu'on y menait au bord de la mer paisible et les ébats des nageurs dans l'eau tiède, sous le regard amusé de la foule.
Tout à coup, à l'heure où la fête des coureaux bat son plein : crabes, tourteaux, araignées entrent en danse, une danse macabre, auprès de laquelle celle de Kernascléden elle-même n'est que jeu d'enfants.
Ils renversent les barques, submergent la Pointe des Blagueurs, envahissent Toulhars. Vous vous imaginez facilement la débandade qui s'ensuit. Elle a pour premier effet l'assaut des cars, comparable à aucun de ceux dont nous avons été les témoins. L'émoi serait indescriptible pour tout autre que M. Jean Cotard, le tumulte est effroyable, le tohu-bohu est inextricable. Les conducteurs de voitures veulent tous partir en même temps. Les automobiles fendent la foule des retardataires où de gigantesques pattes de crustacés cueillent déjà leur proie. Les véhiculent s'entrechoques et l'inévitable se produit : les moteurs s'enflamment, mettant le feu aux maisons de la place. En moins d'une heure, Larmor se transforme en vision infernale.

 

Et cependant la ruée continue. Des crabes deux fois plus élevés que les auto-canons les plus puissantes entrent dans le Scorff et envahissent le port de guerre. Ils y brisent les chaînes des bâtiments qui dérivent, s'abordent et s'incendient. Certains d'entre eux, torches vivantes, remontent la rivière devant l'invasion. Il ne peut plus être question du pont Gueydon ; continuant leur course, ils explosent et font sauter le pont du chemin de fer.
Les fusillades, les gaz asphyxiants, les cent-cinquante-cinq. . ., rien n'arrête l'assaut qui continue méthodique, comme actionné par quelque puissance démoniaque.

 

La panique des Lorientais est à son comble. Il ne leur reste plus qu'une planche de salut : le pont Saint-Christophe. Ses câbles se rompent et le tablier déverse dans l'eau peuplée de myriade de crustacés, plusieurs milliers de nos compatriotes qu'il leur offre en pâture.

 

Tout va se terminer, pensent-ils, mais Jean Cotard ne l'entend pas ainsi. Cependant, au milieu de ce désastre sans précédent, auquel nous avait habitué la sinistre aventure des faux pèlerins du Grand Bouddha, l'auteur de Chère petite Ti-Haï nous réapparait tout à coup.
Cet auteur qui manie les masses avec aisance nous décrit aussi de fines silhouettes féminines. Le Flot d'épouvante en comporte trois. Il les a serties lumineuses et pures, sur un fond de décor atroce.
Hélas ! des trois jeunes filles sorties courageuses au-delà de l'extrême du possible, du charnier qu'est devenu Larmor, une seule y reviendra. Elle aura triomphé de la faim, de la soif, des blessures, des naufrages, de la peste, des crabes, des charges de chevaux emballés, de la voracité des chiens enragés, de la lubricité de pâles voyous, des attaques forcenées des fous. . .
Des trois jeunes filles parties à la découverte, une seule revient donc à Larmor. Dans l'antique église qui eut toujours l'aspect de forteresse, agonisent les derniers survivants de la colonie joyeuse de la semaine passée.

 

Enfin, la France s'inquiète du sort de la côte bretonne et y envoie. . . des régiments sénégalais, de bons géants semblables à ceux du dix-septième tirailleur que commande à Damas, le colonel Cotard. C'est la délivrance, quelques jets de liquide enflammé suffisent à disperser le flot d'épouvante.