L'usine d'engrais

 

 

Depuis 1867, il existe au Kernével une fabrique d'engrais et d'huile de poissons appartenant à Jules Laureau, père d'Emma, initiatrice de l'usine d'iode de Larmor.

 

Jules Laureau né à Paris vers 1840 est ingénieur chimiste au laboratoire de la Sorbonne. Il a dirigé une fabrique d'iode à Quiberon. Il est membre fondateur de la société chimique de France, auteur d'un ouvrage d'agronomie et auteur d'un mémoire publié par l'Académie des Sciences en 1868 dans lequel il communique que s'est créée en Bretagne, au Kernével, près de Lorient, une usine qui traite le poisson, les détritus marins de toutes sortes pour en tirer tout le parti possible, au profit de l'agriculture et de l'industrie. Dans cette usine le poisson est cuit pressé, mis en fermentation, avec addition de substances complémentaires, nécessaires à la bonne composition des engrais qu'on veut obtenir.
Avec les détritus de poissons, on a l'azote et le phosphate de chaux ; avec les plantes marines, les sels alcalins et l'humus : comme on le voit, tout ce qu'il faut pour la production d'engrais complet.
Voici, du reste, la composition chimique de ces divers engrais de mer du Kernével :
N°1 – engrais de composition mixte, destiné à toutes terres faites, de quelque nature géologique qu'elles soient, où l'emploi d'engrais spéciaux n'est pas nécessaire ; dose en moyenne pour 100 parties à l'état sec : 5 d'azote, 15 de phosphate de chaux, 10 de sels alcalins.
N°2 – engrais à base phosphatée . . .
N°3 – engrais à base alcaline . . .
Deux autres sortes d'engrais sont encore faites : l'une destinée à la fumure de la vigne, l'autre à celle du blé noir.

 

La situation industrielle dans la commune de Plœmeur en 1872 fait état au Kernével d'une fabrique d'engrais noir animal qui emploie 6 ouvriers.

 

Suite à une plainte de M. Roullet qui lui est adressée en avril 1877, le sous-préfet constate que la fabrique d'engrais a été créée sans autorisation préalable. Il demande au préfet s'il faut mettre en demeure MM. Laureau et Compagnie de faire régulariser leur situation car cet établissement relève des établissements incommodes et insalubres.

 

Le 27 avril, Jules Laureau demande donc l'autorisation d'exercer au village du Kernével une industrie pour le traitement du poisson de mer et particulièrement des têtes de sardines, en vue de la fabrication des huiles et engrais de poisson.

 

 La fabrique d'engrais, coloriée en rose, est située à l'emplacement de ce qui fut autrefois la "verrerie neuve".

 

Le sous-préfet arrête qu'une enquête aura lieu pendant un mois en mairie de Plœmeur à partir du 10 juin. Un plan est joint au dossier.

 

Le 10 juillet, dernier jour de l'enquête, Emile Roullet, armateur et négociant à Lorient, à l'origine de la plainte initiale, fait sa réclamation.
Il insiste pour que Jules Laureau soit contraint de supprimer ses fosses, puisards, puits et qu'il soit obligé d'écouler chaque jour à la mer ses eaux afin d'éviter les odeurs malsaines.
Il serait aussi très important que messieurs Laureau ne laissent pas en plein air leurs futailles contenant les détritus de poissons, qui exposés au soleil, à la pluie dégagent des gaz méphitiques qui empoisonnent l'air à plus d'un kilomètre.
Enfin, il pense que pour la salubrité publique, il faut que la commission d'hygiène se rende sur place et impose les aménagements nécessaires pour éviter les émanations dangereuses.

C'est la seule déclaration reçue ; ce qui autorise le maire à écrire que cette usine est déjà établie depuis de longues années, qu'elle rend réellement des services à l'agriculture et qu'il serait heureux de la voir maintenue. Il constate également que pas un seul habitant du Kernével ne s'était plaint.

 

Désavoué, monsieur Roullet intervient directement auprès du préfet, prétendant que les habitants du Kernével n'osent pas se plaindre par peur de représailles venant de messieurs Laureau père et fils. Il redemande le transport de la commission sanitaire sur les lieux et obtient gain de cause puisqu'une commission de trois membres est chargée de vérifier si ces réclamations sont fondées.

Le 31 juillet, ils écrivent dans leur rapport :
Une grande cour avec maison d'habitation, de vastes hangars, constituent la fabrique d'engrais de M. Laureau.
En entrant à gauche se trouve le premier magasin où sont déposées les têtes de sardines et autres débris de poissons avant préparation.
Des conduits cimentés et couverts pratiqués dans le sol conduisent à la mer les liquides qui s'écoulent de ces matières.
Dans le second magasin se trouvent des presses, chaudières, cuves, destinées à préparer les tourteaux qui plus tard seront desséchés, pulvérisés, passés au crible et mélangés à des phosphates dans les proportions désirées suivant les besoins de la culture à laquelle ils sont destinés.
Dans le troisième magasin se trouve une grande cuve destinée à recevoir la matière qui est enlevée dans des tinettes parfaitement closes et livrée également aux paysans du voisinage.
Il est bien évident que toutes les préparations ne se font pas sans que des odeurs désagréables ne se dégagent de ces matières organiques en décomposition.
Cependant nous devons vous faire remarquer que les ouvriers employés à ce jour de travail ne se plaignent nullement attendu qu'une ventilation suffisante renouvelle l'air à chaque instant. Il est bien certain également que lorsque les vents d'ouest soufflent, les émanations se répandent dans le voisinage, mais les fabriques de sardines n'ont-elles pas aussi leurs désagréments ?
Un service d'eau bien installé permet de faire de fréquents lavages. Les eaux sont ensuite conduites à la mer. Nous trouvant sur les lieux et pour donner satisfaction à la juste observation de M. le Dr Fatou médecin des douanes, nous avons examiné le conduit de l'usine de M. Roullet qui vient s'arrêter à ciel ouvert devant la porte du poste de cette administration.
Il nous a été facile d'apprécier la cause des émanations qui s'en dégagent quand nous avons constaté qu'un puisard d'un mètre de profondeur recevait des eaux chargées d'une quantité de matières de toutes sortes.
Il nous a semblé convenable de faire observer à M. Roullet que dans l'intérêt des préposés des douanes d'abord et de la population du village ensuite, il faudrait à peu de frais faire pratiquer une tranchée, y faire un conduit soit en briques, soit en fonte, de façon à la diriger jusqu'à la mer.

Le conseil appréciera la valeur de nos observations et y donnera suite s'il le juge convenable.
En résumé, nous concluons donc à ce que l'usine Laureau continue à fabriquer les engrais comme par le passé attendu qu'aucun cas de maladie ne s'est présenté depuis la création de ce genre d'industrie et que les mesures hygiéniques sont parfaitement observées.

 

Le 13 août ce rapport est présenté au conseil d'hygiène de l'arrondissement qui adopte les conclusions de la commission et donne un avis favorable.
Le sous-préfet, considérant entre autres que la plainte du sieur Roullet repose sur un fait dont l'exactitude n'est pas établie … propose au préfet d'autoriser Laureau à établir définitivement son usine au Kernével.

 

A la demande du préfet, le conseil d'hygiène met au point les prescriptions suivantes :
1° les matières premières à leur arrivée à l'usine seront déposées dans des magasins couverts et fermés de façon à ne pas laisser échapper des émanations incommodes et insalubres.
2° elles devront toujours être transformées dans le plus bref délai.
3° les lavages seront faits largement et fréquemment. Les eaux ayant servi à cet usage seront amenées à la mer par une conduite couverte.
4° les conditions de salubrité constatées seront scrupuleusement gardées.

 

Le 28 février 1878 un arrêté préfectoral autorise le sieur Laureau à établir définitivement à Kernével une usine pour la fabrication des engrais et huiles de poissons, sous réserve de respecter les prescriptions ci-dessus.

 

En 1879, Laureau fait de la publicité dans la "Gazette du village", journal national politique et agricole paraissant tous les dimanches.

 

En 1880, son usine emploie 12 personnes et a une production de 600 tonnes. Elle possède deux caboteurs, l'un de 35 tonneaux et l'autre de 10.

 

En 1889, J. Laureau est présent à l'exposition universelle internationale à Paris. Il expose des engrais dont les matières premières sont des poissons entiers ou des débris de poissons et des plantes marines. Sur le descriptif qui les accompagne, on peut lire :
Les débris de poissons sont fournis à l'époque des pêches de la sardine et du thon par les nombreuses fabriques de conserves alimentaires de poisson réparties sur la côte. Les poissons entiers sont procurés par les pêcheurs qui arrivent parfois avec le produit de leur pêche avarié par l'effet de l'entassement et de la chaleur.
Les plantes marines sont, à l'état d'épaves, amenées sur les grèves à la pointe des flots. Exposées et séchées à l'air, puis entassées, elles sont d'une conservation indéfinie. On pourrait en récolter à basse mer sur les rochers où elles croissent rapidement et à profusion en se conformant à certains règlements administratifs.
Avec les poissons et les plantes marines on a tout ce dont l'agriculture a besoin en engrais. […] M. Laureau tire parti de ces matières marines en composant trois principaux genres d'engrais :
1er genre : tourteau de poisson, en pains entiers ou en pains divisés par morceaux, ou en poudre plus ou moins fine.
2e genre : goémon, plantes marines diverses, peut être expédié en branches, en vrac ou bottelé avec 20 à 25% d'eau, ou bien broyé en poudre et mis en sacs après qu'on lui a retiré par le séchage en four spécial la presque totalité de son eau.
3e genre : engrais breton ou mixte, résultant du mélange des deux premiers. . .

 

Nous ignorons la date de fin d'activité de cette usine de fabrication d'engrais.

Jules Laureau décède le 11 octobre 1928 dans sa villa "Simple aspect" au Kernével.