La Dévastation

 

La Dévastation, cuirassé d'escadre lancé à Lorient en 1879 est considéré comme le plus moderne de son époque avec sa propulsion à la vapeur, mais toujours avec un gréement trois-mâts à voiles carrées. Affecté à l'escadre de la Méditerranée, son port d'attache est Toulon.
Ses caractéristiques : 96 m de long, 21 de large avec un tirant d'eau de 7,34 m.

 

Amené à Lorient en 1914, il servira à l'hébergement de 500 prisonniers allemands.

 

La marine le remet aux services des Domaines en 1921. Monsieur Jacquard, courtier parisien est déclaré adjudicataire pour 180 000 francs. Il le revend l'année suivante à un chantier de démolition allemand.
Deux remorqueurs l'Achille et Larissa arrivent d'Allemagne pour prendre La Dévastation en remorque et la conduire à Hambourg. Le 9 mai 1922, malgré la marée descendante depuis une heure et demie et les règlements interdisant la sortie d'unités aussi importantes sans propulsion, l'officier allemand fait fi des conseils des pilotes et commence le remorquage. Un remorqueur est à couple sur bâbord et l'autre en flèche. 
Mais en sortant de la passe, la Dévastation talonne sur la Potée de Beurre, en face de Larmor.
Alors que la bande s'accentue de plus en plus, la direction des mouvements du port décide de la tirer et de l'échouer sur le haut fond sableux du banc de l'Ecrevisse, à environ 200 m de la bouée.

Hercules, gros remorqueur du port de Hambourg et le chaland Nachrichten arrivent à Lorient en septembre avec le matériel nécessaire pour le renflouement. Mais tous les efforts sont vains. Au contraire les vents violents associés à la grande marée d'équinoxe contribuent à enfoncer de 3 m la Dévastation qui menace de glisser dans le chenal.

 

En décembre, les Allemands vendent l'épave de la Dévastation à MM. Albaret et Kerloc, industriels à Brest. Après avoir tenté sans succès de la ramener à Brest, ils décident de la démolir sur place.
Certaines parties du cuirassement sont détruites à la cheddite, puissant explosif. Mais le 14 décembre 1923, une explosion cause la mort de Louis Cruguel, 23 ans, de Kerblaizy et blesse grièvement François Kerautret, contre-maître de Brest ainsi que Raymond Quintrec de Kerblaizy et Tudy Le Clanche de Kerderff.

Trois mois plus tard, plusieurs explosions se produisent à bord. De la fumée et des flammes s'échappent de l'épave. Les ouvriers sautent dans leur canot pour s'échapper du bateau incendié.

 

Le 11 juillet 1924, l'épave devient la propriété de la Société de Récupération Goldenberg et Cie et des Etablissements Rollet de Paris. Ils confient à l'ingénieur russe Georges Sidensner qui s'est distingué par le renflouement du Maria Pawlowna, de la Liberté et du Mirabeau, le soin d'aveugler les voies d'eau de l'épave afin de la remettre à flot.
Son équipe composée d'anciens officiers de la marine russe, de Toulonnais et de Bretons se montre très efficace. MM. Violini et Aupest, représentants les propriétaires, suivent les travaux sur place.

Avant d'effectuer le pompage de l'eau contenue dans le bateau, Jacques Saillour, scaphandrier s'assure que toutes les voies d'eau sont bien aveuglées. Malheureusement il est victime d'un accident mortel, son tuyau d'amenée d'air s'étant coincé.

 

Le 12 mai 1926, le préfet saisi d'une demande d'échouement de la Dévastation sur la plage interdit formellement :
1° d'échouer l'épave du cuirassé Dévastation sur les plages de Larmor, Toulhars et Kernével
2° de déposer sur ces plages les plaques de blindage et ferrailles.

 

L'air comprimé doit chasser l'eau qui a envahi l'arrière du navire qui est entièrement submergé alors que des pompes doivent dégager la partie émergée. L'opération est prévue pour le 21 décembre. Mais suite à des problèmes techniques survenus à bord de la suceuse La Lorientaise et des motopompes des remorqueurs Renne et Mourillon, la tentative de renflouement est ajournée. Néanmoins les premiers résultats sont encourageants.
L'Hippopotame qui possède trois Thirions de 600 tonnes et des pompes d'épuisement d'égale puissance, soit une capacité de pompage de 3000 tonnes à l'heure, arrive de Brest en renfort.
Le pompage commence mais doit être interrompu dans l'après-midi.
Ce n'est que le 16 avril 1927 que l'épave commence à flotter et se dégage de son lit de vase. Elle se trouve encore à 350 m de la côte, mais l'entrée des passes de Lorient est entièrement dégagée.

En juillet, messieurs Rocher et Chalifour, entrepreneurs lorientais, sont chargés de la démolition. 2000 tonnes de matériaux seront découpés et chargés sur des chalands. Ainsi allégée, la Dévastation serait conduite au Kernével pour continuer sa démolition.

 

En novembre 1927, on parvient à approcher la Dévastation sur la plage de Toulhars, à 30 m de la cale du Petit Port, ce qui permettra d'accélérer les travaux de démolition avant de la déplacer au Kernével. Mais elle se brise en deux par le milieu, rendant sont déplacement impossible. Dans la position où elle est placée, la Dévastation gêne considérablement le port de Larmor et le ressac qu'elle provoque entraine la dégradation du quai et de la jetée.
Les ponts et chaussées considèrent qu'il serait équitable que les propriétaires de l'épave prennent la moitié des dépenses de réparation à leur charge puisque les dégâts ont été occasionnés par la position fâcheuse que, contre le gré de l'administration, ceux-ci lui ont fait ou laissé prendre.

Il reste encore environ 1200 tonnes de plaques de blindage à enlever.

 

En janvier 1932, le conseil municipal demande que les approches du port soient débarrassées de l'épave.
En juillet 1932, devant le danger que représente l'épave rouillée de la Dévastation, pour les baigneurs et pour la navigation, les ponts et chaussées assurent sa signalisation en plaçant aux extrémités deux poteaux munis de voyants sphériques peints en vert.

 

Régulièrement, la municipalité demande que l'épave soit détruite ou enlevée.
En 1949, M. Debec, directeur de l'Entreprise Générale des Travaux Publics, 37 rue de Rivoli à Paris, reçoit gratuitement dans le cadre d'une faillite l'épave de la Dévastation. L'ordonnance du tribunal de commerce de la Seine prévoit que sa démolition devra avoir lieu à ses risques et périls.
Rien n'est fait et deux ans plus tard, la société Moyen et Cie située à Paris fait l'acquisition de l'épave. Elle procède à des explosions qui rendent l'épave, déchiquetée, encore plus dangereuse.
En mars 1953, les Etablissements Moyen réalisent que suite à la chute du prix de la ferraille, l'opération va s'avérer déficitaire. Ils sollicitent le concours financier de la commune et des ponts et chaussées. Moins d'un an plus tard, la société dépose son bilan.

Le 7 avril 1954, l'ingénieur en chef des ponts et chaussées écrit au préfet qu'il est nécessaire de faire comprendre à M. le maire de Larmor-Plage qu'il ne doit pas envisager la disparition complète de cette épave parce que cette opération n'est pas rentable et qu'il n'est pas possible de compter sur un concours pécuniaire quelconque de l'Etat.

 

La Dévastation dont l'épave se dégrade au fil du temps fait maintenant partie du décor de la plage de Toulhars.