Passage du Kernével

 

Au XVIIe siècle le village du Kernével, ou "ville nouvelle", situé au bord de la mer prend de l'ampleur face au port de la Pointe sis au sud-est de la Citadelle en Port-Louis, paroisse de Riantec.
Il s'avère nécessaire de relier les deux ports de part et d'autre du bras de mer qui mène au lieu de Lorient. Selon les cartographes cet emplacement navigable est appelé "rade du Scorff", rivière se déversant dans la rade de Lorient, puis dans celle de Pen-Mané, ou bien "rade de Port-Louis".

Quoi de plus normal que de créer une liaison maritime qui prend la dénomination de "passage du Kernével".
Le village du Kernével ne possède pas encore de jetée pour l'embarquement ou le débarquement des passagers, animaux ou marchandises, tandis qu'à la "Porte de la Pointe" il existe une digue, amorce de la création d'un petit port à l'entrée de l'imposante anse du Driasquer ou anse du Port-Louis.

Pour matérialiser ce projet, le duc de la Meilleraye, neveu de Richelieu, devenu duc de Mazarin lors de son mariage avec Hortense Mancini en 1661, cède le passage à Jean Emonot "Sieur de l'Espérance", sobriquet de cet ancien canonnier à la citadelle. 

En 1671, Marie Geffroy veuve de Jean Emonot vend un grand bateau qu'elle aurait fait construire pour servir de passage.
Le duc de la Meilleraye, confirme à Jacques Emonot, fils de Jean, le droit de passage du Kernével.

Le 12 août 1673, devant maîtres Hamonic et Le Pontho, notaires royaux de la Cour d'Henne-bont, en résidence au Port-Louis, Marie Geffroy et son fils Jacques Emonot demeurant en la citadelle de Port-Louis, lui Emonot fondé au droit du passage de cette ville au Quernuevel (Kernével) côte de Plœmeur, louent à Sébastien Cocquelin et Yvon Le Gallic demeurant en cette ville, acceptant par moitié entre eux, le dit passage pour en jouir et disposer et en toucher les émoluments et droits y attribués à la manière accoutumée.
Le bail est consenti pour trois ans moyennant la somme de 185 livres chacun.
Les preneurs passeront les sieurs officiers de la place et leurs soldats commandés sans prendre de salaire, même fourniront une buiée d'eau de fontaine dudit côté de Plœmeur tous les deux jours au sieur le Major.
En effet la population de Port-Louis se plaignait de ce que la consommation d'eau provoquait de graves maladies et certains avaient aménagé des petites citernes pour ramasser l'eau de pluie.
Les preneurs s'engagent également à faire construire un bateau propre à servir ledit passage, et pour passer chevaux qui devra être prêt dans huit mois. A cet effet les bailleurs consentent une diminution du prix du bail pendant les deux premières années.
Enfin, au cas que malheur arriverait au bateau et passage, lesdits preneurs supporteront la perte.

En 1689, Louis XIV afféage le passage du Kernével à l'un des directeurs de la Compagnie des Indes, Charles Bréart de Boisanger, âgé de 39 ans, époux de Catherine Mariteau.
Il est fils de Jean, Sieur de Boisanger, marchand au Port-Louis, "Bourgeois de Navire" armant au long cours et occupant la lourde charge de caissier de la première Compagnie des Indes créée par Colbert.

Charles Bréart de Boisanger fait construire trois grands bateaux afin de les bailler à ferme pour la somme annuelle de 180 livres. 
Il est indispensable de pouvoir armer des bateaux de différentes tailles, équipés de bancs ou non, selon que l'on embarque des passagers, des animaux, ou des marchandises de toutes sortes.
Le fermier prend 1 sol par personne étrangère au Port-Louis et 18 deniers par cheval. Par contre, il passe gratuitement les Port-Louisiens, les habitants des paroisses voisines et leurs bêtes. En contrepartie il fait annuellement chez eux une petite quête de blé.

En 1692, Charles Bréart se voit attribuer une charge de conseiller secrétaire du roi à la chancellerie près le parlement de Bretagne qu'il conserve jusqu'à son décès en 1704.

Le 27 Avril 1706, Dame Catherine Mariteau, veuve et communière de feu écuyer Charles Bréart, afferme pour cinq ans le droit de passage de cette ville (Port-Louis) au village de Kernével à Marie Louin, demeurant au Kernével, veuve de Mathieu Périgaud, sieur la Vigne.

Deux ans plus tard, en 1708, Marie Louin sous-loue pour la durée restante du bail, le passage du Kernével à Charles Guillemin et Jeanne Le Gal son épouse, de Port-Louis.
La dite Louin a présentement subrogé et subroge ledit Sieur Guillemin et compagne qui s'engagent à lui faire avoir chaque année trois cent cinquante livres, payables par quartiers tous les trois mois.
En outre, il est convenu que Marie Louin, ses enfants, et ses domestiques passeront et repasseront par le passage, quand bon leur semblera, sans payer aucun droit de passage et sans pour autant diminuer le prix de la ferme.

Le 23 septembre 1711, Catherine Mariteau de Boisanger renouvelle le bail aux époux Guillemin.


Un arrêt du conseil du Roi Louis XV daté du 21 mars 1757 confirme Paul Bréart, sieur de Boisanger, (né en 1753 à Quimperlé) dans son droit de passage prohibitif, à tenir un bac sur la rivière du Scorff au lieu de Quernével, en la paroisse de Plœmeur, et d'y percevoir les droits énoncés :
                                                  Personne à pied 1 sol
                                                 Personne à cheval 2 sols
                                                 Bête de somme 1 sol
                                                 Porc ou chèvre 6 deniers
                                                12 moutons 2 sols
15 ans plus tard, le 6 mars 1772 un nouvel arrêt "corrige" l'arrêté précédant, tout en maintenant Paul Bréart dans son droit de passage.

En 1779, un plan des rades de Lorient et Port-Louis est édité chez Dezauche, premier géographe de Louis XVI.

Un des derniers décrets de Louis XVI en date du 1er juillet 1792 érige la ville de Port-Louis en paroisse distincte de celle de Riantec, et le 16 décembre une loi autorise la nouvelle appellation de Port-Liberté.

En 1793 pendant la période révolutionnaire, l'abolition des privilèges conduit à supprimer le passage appartenant à Pierre-Paul de Boisanger, "émigré".  Il était capitaine à Royal Guyenne.

Cette suppression gêne considérablement la population et le transport des approvisionnements venant de Plœmeur. Le 6 germinal an III (26 mars 1795), la Société Populaire réclame le rétablissement du passage.