Vol de sel à Larmor

 

Les faits

Le 16 août 1820, à deux heures de l'après-midi, Gabriel Lomenech, maire de Plœmeur, se rend à Larmor à la demande de Jean-Baptiste Le Gras fabriquant de sardines pour y faire un procès-verbal de vol.
Dans la presse du sieur Le Gras, il trouve Michel Salo que Pierre Marie Bourique, tonnelier et Joseph Bourique, marin et gardiens de la presse ont arrêté dans la cour vers trois heures du matin alors qu'il était porteur de deux sacs qu'il s'apprêtait à remplir de sel, et d'une chandelle de résine. Il est sous la garde de Cousin, lieutenant des douanes et Besson, préposé.

Après avoir constaté l'effraction et relaté le vol, le maire se rend chez Salo où il ne trouve rien. Par contre dans la maison voisine occupée par Rose Lamour, épouse de Charles, il trouve un sac de sel de dix-huit kilos qu'elle dit avoir acheté l'année précédente en plusieurs fois à divers caboteurs.

Le 18 août, le procureur transmet le procès-verbal à un juge d'instruction afin d'entendre Salo ainsi que les témoins. Il demande de constater les circonstances aggravantes, de suivre la trace du crime et de connaître les complices.

 

 

L'interrogatoire

Le jour même, Michel Salo est conduit par les gendarmes devant Jean-Marie Fruchard, juge d'instruction à Lorient pour être interrogé.
Il est né à Guidel, a 47 ans, marié à Marie-Françoise Peron, père de 7 enfants, dont 3 vivants. Il est perrieur et journalier et demeure à Larmor. Il mesure 1,625 m, cheveux gris, sourcils et barbe châtains, front bas, yeux bleus, nez gros, bouche moyenne, menton rond, bouche ovale et teint coloré.
Il explique que c'est à la demande de Le Gras qu'il a agi. Mardi dernier, il m'avait donné deux sacs pour aller comme à l'ordinaire chercher du sel et prévoyant bien que la douane le constaterait et lui ferait payer les droits du sel manquant dans sa salorge, il me fit arrêter par trahison, par son tonnelier qu'il avait posté exprès et me dénonça comme voleur, pour masquer ainsi la fraude qu'il me faisait commettre.
Toutes les fois que j'ai déchargé du sel pour le sieur Le Gras, j'ai été, par ordre de celui-ci, porter du sel chez lui sans le faire peser, ce qui l'exemptait de payer les droits.
Il prétend que d'habitude, Le Gras lui ouvrait la porte avec ses clés, mais que cette fois-ci, il n'est pas venu et que c'est la raison pour laquelle il a dû escalader une fenêtre.
En trois mois, il dit avoir transporté en fraude plus de quatre cents livres de sel dans le magasin de Le Gras.

A l'issue de cet interrogatoire Michel Salo est écroué à la maison d'arrêt de Lorient, prévenu de vol avec circonstances aggravantes par le juge Fruchard.

 

 

Transport sur les lieux

Joseph Louis Bellanger, juge de paix, se transporte à Larmor le 19 août où le sieur Le Gras lui explique les faits.
Depuis le 23 juin, il s'est aperçu qu'on lui volait du sel par la fracture faite à sa salorge d'où on avait enlevé deux planches. Ensuite, à plusieurs reprises il a constaté qu'il était toujours volé. Il a alors fait garder sa presse par plusieurs personnes ; même sa femme y a passé plusieurs nuits. Et enfin, le 16 de ce mois, vers trois heures du matin, Pierre-Marie et Joseph Bourique, de garde cette nuit-là, vinrent frapper à sa porte en disant : "nous tenons le voleur et nous vous l'amenons".

Michel Salo conduit dans la presse de Le Gras, en présence des Bourique, explique qu'il est descendu par la lucarne de son grenier donnant au midi sur la cour du sieur Le Gras, au moyen d'une corde qu'il avait placée en travers de cette lucarne et attachée à un bâton ; qu'il descendit d'abord sur le toit de la salorge ensuite dans la cours ; qu'il entra dans la presse en forçant une porte à claire-voie retenue à l'intérieur par une barre de bois et une forte corde, ouvrant au nord sur la cour, et que son intention en entrant dans la presse n'était que d'y prendre quelques sardines.

Enfin, Michel Salo demande d'enregistrer la déclaration suivante :
Il y a sept à huit mois, le sieur Le Gras demanda à sa femme deux ou trois fois de loger une barrique de sel dans sa cave. Ce qu'elle refusa parce que son mari était absent. Alors, des femmes de la presse jetèrent par le soupirail du sel dans sa cave et s'il n'a pas été fondu par l'humidité, il doit encore s'y trouver.

Suite à la visite faite sur place monsieur J. Dussault, ingénieur et expert priseur, dresse le plan des lieux.

 

 

 

Salo et sa famille habitent la moitié d'une maison couverte en ardoises, composée d'une cave, rez-de-chaussée et grenier, lequel logement jouxte la presse.
Quant à la maison de Le Gras, elle se trouve à quarante-cinq mètres de sa presse.

En même temps que le résultat de son enquête à Larmor, le juge Bellanger informe le juge d'instruction que le prévenu a toujours eu une conduite très suspecte, qu'il jouit de la plus mauvaise réputation, qu'on lui attribue depuis longtemps plusieurs vols, qu'il a été arrêté il y a environ deux ans comme prévenu de complicité dans le vol de la presse de Toulhars et que le défaut de preuve suffisante l'a soustrait jusqu'ici à toute condamnation.

 

 

Audition des témoins

Le 29 août, le juge d'instruction Fruchard procède à l'audition des témoins et à leur confrontation avec le prévenu.

Jean-Baptiste Le Gras, 49 ans, fabricant de sardines et premier suppléant de la justice de paix, demeurant à Larmor, répète ce qu'il a déjà déclaré au juge de paix venu chez lui quelques jours plus tôt. Il ajoute que Michel Salo est un très mauvais sujet ; la preuve, c'est qu'après m'avoir volé, il ose encore m'accuser de l'avoir fait tomber dans un piège abominable. Les douaniers l'ont souvent arrêté les poches remplies de sel. Il a aussi été arrêté comme prévenu d'avoir commis un vol dans la presse du sieur Desforges, mais il fut remis en liberté faute de preuves suffisantes.
Pourquoi frauder pour m'exposer à payer à la fin de l'année le double droit sur le sel manquant et l'amende ? car chaque année, la douane constate le déficit. D'autant plus que la loi est très sévère puisque tout presseur convaincu d'avoir fraudé à deux reprises voit sa presse fermée.

D'après le recensement fait après le vol par la douane, tant du sel que du poisson qui existent actuellement dans ma presse, il est constant qu'il y a dans ma salorge un déficit de cinq cent soixante kilogrammes de sel. Je suis persuadé que c'est Michel Salo qui m'a volé tout ce sel, car il est impossible que d'autres que lui se soient introduits dans ma presse tant les murs en sont élevés. Il vendait ce sel partout, à Plœmeur, à Pont-Scorff et à Lorient. Ceci est presque de notoriété publique.

Une heure après l'arrestation de Michel Salo, il a vu sa femme et sa fille aller plusieurs fois chez leur voisine Marie-Rose Lamour. Les douaniers ont ensuite trouvé chez elle dix-huit kilos de sel cachés dans son lit.
Michel Salo maintient sa version des faits.

Pierre Marie Bourique, 24 ans, tonnelier demeurant à Larmor, maintient sa première déclaration et ajoute que Michel Salo n'a rien, ne travaille pas et cependant il vit fort à l'aise lui et sa famille.

Pierre Bourique, 45 ans, marin demeurant à Kerderff n'a rien à ajouter à sa première déposition.

Frédéric Cousin, 47 ans, lieutenant des douanes demeurant à Larmor déclare que lors du recensement du sel du sieur Le Gras effectué après le vol il a constaté le déficit signalé plus haut, mais également qu'il y avait des traces de pieds nus sur le sel. Selon lui, il est impossible de s'introduire dans la presse de Le Gras à son insu, sans passer par la maison de Michel Salo, à moins d'escalader les murs avec des échelles. Il confirme la mauvaise réputation de Salo.

Hélène Grimond, 40 ans, femme de Jean-Baptiste Le Gras fait sa déposition. L'année dernière elle a déjà constaté qu'on lui volait du sel et des sardines pressées. Après avoir soupçonné un temps son tonnelier de l'époque, Yves Raul, elle dut se rendre à l'évidence que ce n'était pas lui le voleur. Ses soupçons se portent alors sur Michel Salo. Après son arrestation par ses gardiens, la femme de Salo vint nous supplier en grâce de laisser encore pour cette fois son mari, promettant bien qu'il n'y reviendrait plus. Mais nous étions trop irrités par suite des vols nombreux qui avaient été commis dans notre presse pour écouter la prière de la femme Salo.

Rose Lamour, 26 ans, femme de Pierre Marie Charles, cabaretière à Larmor, raconte ce que la femme Salo est venue lui dire après l'arrestation de son mari.

Guillaume Marie Romieux, 34 ans, fabricant de sardines à Larmor, explique que Le Gras s'est plaint auprès de lui de ce qu'on lui volait du sel et qu'il soupçonnait Michel Salo. Il s'est même rendu sur place et a remarqué que des ardoises étaient brisées sous la fenêtre de Salo, qu'une fenêtre de la presse avait été forcée, qu'une planche avait été enlevée de la salorge, que la croute du sel était enlevée et qu'il y avait des empreintes de pieds sur le sel.

 

 

Cour d'Assises

Le 7 septembre, le procureur du roi considère qu'il y a eu de la part de Salo tentative de crime manifestée par des actes extérieurs et suivie d'un commencement d'exécution, qu'elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances fortuites et indépendantes de la volonté de l'auteur, et que par conséquent cette tentative doit être considérée comme le crime même, que dans l'espèce le fait est passible des travaux forcés. Il conclut à ce qu'il soit dit par la chambre du conseil qu'il y a présomption suffisante et que le fait est susceptible d'être puni de peine afflictive et infamante.

Le 11, la chambre du conseil ordonne que toutes les pièces du dossier soient adressées au procureur général près la cour royale de Rennes pour être par lui procédé ainsi qu'il verra appartenir, et que Michel Salo sera pris au corps et conduit en la maison de justice qui sera désignée par la cour royale de Rennes.

Le lendemain, les frais de procédure sont évalués par le juge d'instruction à 22,70 francs. Les pièces à conviction contre Michel Salo prévenu de tentative de vol avec escalade et effraction sont :
                            un mauvais sac de grosse toile ;
                            un pochon de toile de reparon presque neuve ;
                            une trique de bois de châtaigner fendue par l'un des bouts ;
                            une petite chandelle de résine.

Le 27 septembre, la cour royale de Rennes renvoie Michel Salo devant la cour d'assises du Morbihan et confirme l'ordonnance de prise de corps.
L'acte d'accusation est rédigé le 8 octobre et signifié à Michel Salo entre les deux guichets de la maison d'arrêt de Lorient le 9 novembre par Julien Bourhis, huissier.
Le lendemain, Michel Salo est conduit à la maison de justice de Vannes.
Le 2 décembre devant la chambre du conseil de la cours d'assises, avec l'aide d'un interprète, Salo choisi pour sa défense maitre Ducordic, avocat à Vannes.

Le 15 décembre 1820 la Cour d'Assises est réunie à Vannes sous la présidence de Joseph Cadieu, conseiller à la cour royale de Rennes, président, Claret, vice-président du tribunal de première instance, Gaillard, Eude et Le Febvrier, juges, en présence de Duperron, substitut du procureur du roi. Les douze jurés sont désignés par tirage au sort.
Les sept témoins sont entendus dans leurs dépositions ainsi que le prévenu.

Puis le jury doit répondre à plusieurs questions :
Question principale : dans le mois d'août dernier, Michel Salo s'est-il rendu coupable d'une tentative de vol de sel ? Oui
                1er manifestée par des actes extérieurs ? Oui
                2e suivie d'un commencement d'exécution ? Oui
                3e et qui n'a manqué son effet que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de son auteur ? Oui
Circonstances :
               1ère cette tentative a-t-elle été commise la nuit ? Oui
               2e à l'aide d'escalade ? Oui
               3e à l'aide d'effraction extérieure ? Oui
               4e dans un édifice dépendant d'une maison habitée ? Non

Au final, le jury déclare Michel Salo coupable d'une tentative de vol de sel à l'aide d'escalade et d'effraction, mais non dans un édifice dépendant d'une maison habitée. Il le condamne à une peine de trois ans d'emprisonnement et aux frais exigibles à l'expiration de sa peine, soit 217,85 francs.

 

Michel Salo commence à purger sa peine à la prison de Vannes, mais le 7 octobre 1821 il est transféré à la maison centrale de Rennes où il décède le 6 avril 1822 à 49 ans.