Passage du Kernével

 

Au XVIIe siècle le village du Kernével, ou "ville nouvelle", situé au bord de la mer prend de l'ampleur face au port de la Pointe sis au sud-est de la Citadelle en Port-Louis, paroisse de Riantec.
Il s'avère nécessaire de relier les deux ports de part et d'autre du bras de mer qui mène au lieu de Lorient. Selon les cartographes cet emplacement navigable est appelé "rade du Scorff", rivière se déversant dans la rade de Lorient, puis dans celle de Pen-Mané, ou bien "rade de Port-Louis".

Quoi de plus normal que de créer une liaison maritime qui prend la dénomination de "passage du Kernével".
Le village du Kernével ne possède pas encore de jetée pour l'embarquement ou le débarquement des passagers, animaux ou marchandises, tandis qu'à la "Porte de la Pointe" il existe une digue, amorce de la création d'un petit port à l'entrée de l'imposante anse du Driasquer ou anse du Port-Louis.

Pour matérialiser ce projet, le duc de la Meilleraye, neveu de Richelieu, devenu duc de Mazarin lors de son mariage avec Hortense Mancini en 1661, cède le passage à Jean Emonot "Sieur de l'Espérance", sobriquet de cet ancien canonnier à la citadelle. 

En 1671, Marie Geffroy veuve de Jean Emonot vend un grand bateau qu'elle aurait fait construire pour servir de passage.
Le duc de la Meilleraye, confirme à Jacques Emonot, fils de Jean, le droit de passage du Kernével.

Le 12 août 1673, devant maîtres Hamonic et Le Pontho, notaires royaux de la Cour d'Henne-bont, en résidence au Port-Louis, Marie Geffroy et son fils Jacques Emonot demeurant en la citadelle de Port-Louis, lui Emonot fondé au droit du passage de cette ville au Quernuevel (Kernével) côte de Plœmeur, louent à Sébastien Cocquelin et Yvon Le Gallic demeurant en cette ville, acceptant par moitié entre eux, le dit passage pour en jouir et disposer et en toucher les émoluments et droits y attribués à la manière accoutumée.
Le bail est consenti pour trois ans moyennant la somme de 185 livres chacun.
Les preneurs passeront les sieurs officiers de la place et leurs soldats commandés sans prendre de salaire, même fourniront une buiée d'eau de fontaine dudit côté de Plœmeur tous les deux jours au sieur le Major.
En effet la population de Port-Louis se plaignait de ce que la consommation d'eau provoquait de graves maladies et certains avaient aménagé des petites citernes pour ramasser l'eau de pluie.
Les preneurs s'engagent également à faire construire un bateau propre à servir ledit passage, et pour passer chevaux qui devra être prêt dans huit mois. A cet effet les bailleurs consentent une diminution du prix du bail pendant les deux premières années.
Enfin, au cas que malheur arriverait au bateau et passage, lesdits preneurs supporteront la perte.

En 1689, Louis XIV afféage le passage du Kernével à l'un des directeurs de la Compagnie des Indes, Charles Bréart de Boisanger, âgé de 39 ans, époux de Catherine Mariteau.
Il est fils de Jean, Sieur de Boisanger, marchand au Port-Louis, "Bourgeois de Navire" armant au long cours et occupant la lourde charge de caissier de la première Compagnie des Indes créée par Colbert.

Charles Bréart de Boisanger fait construire trois grands bateaux afin de les bailler à ferme pour la somme annuelle de 180 livres. 
Il est indispensable de pouvoir armer des bateaux de différentes tailles, équipés de bancs ou non, selon que l'on embarque des passagers, des animaux, ou des marchandises de toutes sortes.
Le fermier prend 1 sol par personne étrangère au Port-Louis et 18 deniers par cheval. Par contre, il passe gratuitement les Port-Louisiens, les habitants des paroisses voisines et leurs bêtes. En contrepartie il fait annuellement chez eux une petite quête de blé.

En 1692, Charles Bréart se voit attribuer une charge de conseiller secrétaire du roi à la chancellerie près le parlement de Bretagne qu'il conserve jusqu'à son décès en 1704.

Le 27 Avril 1706, Dame Catherine Mariteau, veuve et communière de feu écuyer Charles Bréart, afferme pour cinq ans le droit de passage de cette ville (Port-Louis) au village de Kernével à Marie Louin, demeurant au Kernével, veuve de Mathieu Périgaud, sieur la Vigne.

Deux ans plus tard, en 1708, Marie Louin sous-loue pour la durée restante du bail, le passage du Kernével à Charles Guillemin et Jeanne Le Gal son épouse, de Port-Louis.
La dite Louin a présentement subrogé et subroge ledit Sieur Guillemin et compagne qui s'engagent à lui faire avoir chaque année trois cent cinquante livres, payables par quartiers tous les trois mois.
En outre, il est convenu que Marie Louin, ses enfants, et ses domestiques passeront et repasseront par le passage, quand bon leur semblera, sans payer aucun droit de passage et sans pour autant diminuer le prix de la ferme.

Le 23 septembre 1711, Catherine Mariteau de Boisanger renouvelle le bail aux époux Guillemin.


Un arrêt du conseil du Roi Louis XV daté du 21 mars 1757 confirme Paul Bréart, sieur de Boisanger, (né en 1753 à Quimperlé) dans son droit de passage prohibitif, à tenir un bac sur la rivière du Scorff au lieu de Quernével, en la paroisse de Plœmeur, et d'y percevoir les droits énoncés :
                                                  Personne à pied 1 sol
                                                 Personne à cheval 2 sols
                                                 Bête de somme 1 sol
                                                 Porc ou chèvre 6 deniers
                                                12 moutons 2 sols
15 ans plus tard, le 6 mars 1772 un nouvel arrêt "corrige" l'arrêté précédant, tout en maintenant Paul Bréart dans son droit de passage.

En 1779, un plan des rades de Lorient et Port-Louis est édité chez Dezauche, premier géographe de Louis XVI.

Un des derniers décrets de Louis XVI en date du 1er juillet 1792 érige la ville de Port-Louis en paroisse distincte de celle de Riantec, et le 16 décembre une loi autorise la nouvelle appellation de Port-Liberté.

En 1793 pendant la période révolutionnaire, l'abolition des privilèges conduit à supprimer le passage appartenant à Pierre-Paul de Boisanger, "émigré".  Il était capitaine à Royal Guyenne.

Cette suppression gêne considérablement la population et le transport des approvisionnements venant de Plœmeur. Le 6 germinal an III (26 mars 1795), la Société Populaire réclame le rétablissement du passage.

 


 

 Passage du Kernével

 

Attribution du bail de passage par l'administration

Le bail du passage du Kernével est dorénavant attribué par l'administration des finances.
Le 17 thermidor an XII (5 août 1804), Napoléon signe un décret fixant le tarif du bac de Kernével et décidant qu'il sera procédé dans le plus bref délai à la mise en ferme du droit résultant de ce tarif. 

Le 2 décembre 1819, le sous-préfet de Lorient assisté du directeur des impositions indirectes procèdent à l'adjudication pour six ans à compter du 1er janvier 1820 du passage de Kernével.

 

Cahier des charges

Il précise les éléments suivants :

                                                                                    Franchises et Modérations
Il ne sera pas exigé de droit de passage des préfets et sous-préfets en tournée dans leur département, des maires, des juges de paix, des ingénieurs des ponts et chaussées, des inspecteurs et autres de la régie des impositions indirectes lorsqu'ils se transportent pour raison de leurs services respectifs, enfin de tous les fonctionnaires publics obligés de passer d'une rive à l'autre. 
Sont exempts les trains d'artillerie, c'est-à-dire les bouches à feu et caissons militaires chargés de munitions de guerre, ainsi que les militaires et conducteurs qui les accompagnent.
Sont exempts la gendarmerie en tournée et les militaires voyageant à cheval, présentant un ordre de service.
Les généraux, officiers ou intendants militaires sont aussi exempts, en présentant une feuille de route ou ordre de service.

                                                                                                   Ferme
Le prix de la ferme est payable de trois mois en trois mois et d'avance, dans la caisse du receveur des impositions indirectes à la résidence de Plœmeur.
Le prix du bail sera entièrement en argent à l'exception de l'appoint de la pièce de cinq francs qui pourra être payé en monnaie de cuivre ou de billon.

                                                                                          Mise en jouissance
Le fermier s'oblige d'avoir et d'entretenir à ses frais pendant toute la durée du bail, le bateau ainsi que tous les agrès et ustensiles nécessaires et pour l'exploitation et le service régulier du dit passage; lesquels objets lui seront à la fin du bail, remboursés par le nouveau fermier, s'il y a lieu sur estimation qui sera faite alors contradictoirement.
Aussitôt l'entrée en jouissance de l'adjudicataire, il sera tenu de faire placer les tarifs du droit de passage sur un poteau en lieu apparent de l'un et l'autre côté de la rive, sur lequel sera tracé le niveau d'eau au-delà duquel le supplément de taxe sera exigible, et le niveau des hautes eaux au-delà duquel tout passage est interdit en bateau, passe cheval ou batelet.

                                                                                                  Perception
Le fermier et les passagers se conformeront au tarif arrêté par le gouvernement.
Le fermier a la faculté de faire poursuivre toute personne qui se soustrairait au payement des sommes portées au tarif ou qui se permettrait envers le fermier, ses préposés ou mariniers des injures, menaces ou voies de fait.
Le fermier est autorisé à requérir quand le cas y échet, l'assistance de la force armée.
Le fermier, ses préposés ou mariniers ne pourront sous les peines prévues exiger autres et plus fortes sommes que celles portées au tarif, ni se permettre d'injurier, menacer ou maltraiter les passagers.
Le fermier s'oblige de tenir en bon état le bateau servant au passage, afin que le service public soit régulièrement entretenu et que les voyageurs n'aient point à souffrir de retard de la part du fermier ou de ses mariniers, il sera également tenu à l'entretien et aux réparations des chaussées ou cales situées sur chacune des rives du passage.

                                                                                                       Police
Le passage du Kernével sera desservi par deux hommes pour le bateau ayant de longueur (? non précisé) mètres (? non précisé) millimètres, de largeur (? non précisé) mètres (? non précisé) millimètres, garni de 2 avirons, 1 gaffe, planche d'embarquement et par 2 mariniers.
La charge que le bateau pourra contenir est limitée :
                       1° au nombre de 45 personnes y compris les mariniers.
                       2° au nombre de 2 bestiaux soit chevaux, mulets bœufs, vaches etc.
                       3° au poids de (? non précisé) kilogrammes.
Certaines données n'étant pas renseignées, nous ignorons donc l'importance du bateau et la charge qu'il peut embarquer.
Le fermier entretiendra constamment pour le service de son exploitation, le nombre de préposés, mariniers indiqué par le présent cahier des charges. Les salaires de ces mariniers seront à la charge du fermier.
Il ne pourra employer à ce service que des gens âgés au moins de 21 ans, de bonne vie et mœurs, décents envers le public, bien au fait de la navigation et qui auront rempli les formalités nécessaires.
Il garnira le bateau de planches pour sièges, de manière que les passagers y soient avec propreté et sureté et tiendra toujours le bateau vide d'eau.
Le fermier ne pourra passer ni être contraint à passer lorsque la rivière charriera des glaces, et lorsque le vent et les grandes eaux seront assez considérables pour faire craindre des accidents et il demeurera personnellement responsable de tous dommages et accidents auxquels l'inexécution de cet article donnerait lieu.

Le fermier sera tenu de passer une personne seule sans exiger d'autre droit que le droit simple lorsqu'elle aura attendu un laps de temps qui sera d'une heure. Les personnes qui voudront passer isolément et sans attendre ce laps de temps payeront le droit fixé dans ce cas par le tarif (70 centimes).
Le bateau au moment de l'embarquement ou du débarquement sera amarré de manière à éviter les accidents que le reculement pourrait occasionner.

Le fermier sera tenu d'accompagner les ingénieurs des ponts et chaussées dans les visites semi-annuelles que prescrit la loi, de leur donner tous les renseignements qu'ils requerront et de signer avec eux le procès-verbal de ces visites dans lequel il lui sera loisible de faire insérer ses observations.

 

Après lecture faite des conditions ci-dessus, les enchères sont ouvertes au plus offrant. Une bougie ayant été allumée, le sieur Michel Bourique demeurant au Kernével offre une enchère de 30 francs.
Une seconde bougie ayant été allumée et s'étant éteinte sans que la première enchère ait été couverte, le sieur Michel Bourique est resté adjudicataire pour l'espace de 6 ans et pour le prix de trente francs par chacun an, payable comme il est dit en quatre termes de trois mois en trois mois et d'avance.
L'adjudicataire présente pour caution solidaire le sieur Jean-Baptiste Collin, aubergiste au Kernével, qui accepte.

 

Les adjudications se succèdent

Six ans plus tard, le 5 octobre 1825, le sous-préfet de Lorient procède à une nouvelle mise en bail pour les six prochaines années à compter du 1er janvier prochain.

Le cahier des charges très comparable au précédent, diffère néanmoins au niveau de la police.
Le passage du Kernével sera desservi par deux hommes pour le bateau ayant de longueur cinq mètres quatre cent cinquante millimètres, et de largeur deux mètres, garni de deux avirons, une gaffe et planche d'embarquement.
La charge que le bateau pourra contenir est limitée, savoir :
                        1° en nombre de 30 personnes y compris les mariniers ;
                        2° en nombre de 4 bestiaux, soit chevaux, mulets, bœufs, vaches etc. ;
                        3° en poids de 600 kilogrammes.
En conséquence, le bateau peut maintenant embarquer 30 personnes au lieu de 45 précédemment, mais 4 bestiaux au lieu de 2, ce qui compte tenu de sa petite taille semble beaucoup !

Michel Bourique, fermier précédent, n'est plus candidat. Le sieur Bellanger et la veuve Le Corre sont les seuls à enchérir. La première offre étant faite à 26 francs, la veuve Le Corre offre 35 francs à la cinquième bougie (chaque bougie est prévue pour bruler une minute)Les bougies éteintes, une sixième a été allumée et s'étant éteinte sans enchère, nous, sous-préfet de Lorient déclarons Jeanne Lamour veuve Le Corre, demeurant au Kernével, adjudicataire pour six ans à commencer le 1er janvier 1826 pour le prix de trente-cinq francs par an soit cinq francs de plus que le bail précédent.
Elle déclare avoir fait valoir et être restée adjudicataire pour et au nom du sieur Nicolas Legrand ci présent, demeurant au village de Kerblaisy.

 


 

Passage du Kernével

 

Plaintes contre le passeur

Le 20 juillet 1831 lors du renouvellement du bail du passage de Kernével un nouveau passeur est retenu en la personne de Joseph Mallet demeurant au Kernével.
Mais les plaintes se multiplient contre lui et le service qu'il offre au public.

Le 14 novembre 1835, Bellego, vicaire à Plœmeur s'adresse au maire de Plœmeur. 
Ayant été appelé dans ma famille pour affaire, je m'y rendais lundi dernier 9 du courant, en passant du Kernével au Port-Louis, je recommandai au passager (dénomination habituelle du "passeur") de se retrouver le vendredi suivant avec "le grand passage" (bateau de grande taille) au Port-Louis vers les 4 à 5 heures de l'après-midi car je devais revenir accompagné de ma sœur et ayant chacun un cheval. Il me le promit mais le contraire arriva.
Pendant que je faisais quelques visites en ville, le passager s'empara de mon cheval que j'avais laissé à La Pointe (lieu-dit du point d'embarquement, à la porte des fortifications) et le voulut embarquer dans sa petite nacelle (petit canot).
J'arrivai sur ces entrefaites et vis mon cheval qui avait les deux pieds de devant dans le bateau, un de derrière dans la mer et le quatrième sur la chaussée. Enfin après des efforts inouïs et le secours de plusieurs personnes on parvint à jeter mon cheval dans la mer.
Il y resta longtemps au grand risque de le perdre, vu qu'il était en sueur après une marche de 6 à 7 lieues.
Les scènes se renouvelèrent encore lorsqu'on voulut une seconde fois jeter ou porter ma monture dans le petit bateau qui n'est nullement propre à recevoir des animaux.

Je demandai pourquoi on ne m'avait pas envoyé le grand bateau, on me répondit qu'un nommé Kerlir l'avait pris pour aller à la pêche. Alors des centaines de voix s'élevèrent et me dirent que c'était tous les jours de même, que le passage était très mal servi et qu'on ne concevait pas comment après toutes les plaintes qu'on en avait portées aux autorités locales, le passager y fut maintenu.

Je joins ma voix et mes plaintes à celles du public, monsieur le maire et je demande que justice nous soit rendue. Je demande que vous fassiez connaître que vous avez l'autorité en main pour rendre justice en faveur du public opprimé et pour réprimer l'insolence ou faire cesser un service auquel préside la fainéantise et l'incurie la plus coupable. Cet homme, outre qu'il n'a aucune bonne volonté de bien remplir son devoir, n'en est nullement capable.
Je n'ai pas besoin d'entrer ici dans mille détails ni de vous relater des centaines d'actes vexatoires pour le public et dont un seul suffirait pour le faire casser. La voix publique en a porté plusieurs à vos oreilles.

Je vous prie donc, Monsieur le Maire d'avoir égard au bien général, de vous montrer le père de vos administrés et de montrer enfin que l'autorité en Plœmeur n'est point en mains faibles.
J'attends, Monsieur le Maire pour toute réponse de votre part la nouvelle du changement de passager au Kernével.

Le maire, Guillaume Romieux, ne tarde pas à réagir en rédigeant un procès-verbal qu'il adresse au sous-préfet le 21 novembre.

Le sieur Mallet ne fait que tout ce qui est propre à mécontenter le public par ses mauvais procédés et les dangers continuels auxquels il l'expose en ne se servant que d'un petit bateau qui n'est nullement dans les dimensions voulues, dans lequel on ne peut raisonnablement embarquer des animaux , ni qu'un très petit nombre d'individus sans compromettre la sureté des passagers en mettant cette frêle nacelle en danger de couler.
En outre, les trois quarts du temps tant lui que ses mariniers ne passent le public qu'à leurs commodités parfois après l'avoir fait attendre des demi-journées entières.
En conséquence, il demande au sous-préfet que le bail de ce fermier soit résilié et qu'on puisse le remplacer par quelqu'un qui offrira plus de garantie et de sécurité tant aux étrangers qu'aux habitants de ma commune qui fréquentent journellement ce passage.
Je joins à la présente la plainte qui m'a été adressée par l'un des vicaires de cette commune, à laquelle on pourrait ajouter le témoignage d'une foule de personnes et entre autres celui de monsieur Debroise de Lorient.

Trois jours après, le sous-préfet saisit le préfet : Depuis longtemps la voix publique réclame contre le service excessivement mauvais du passage de Kernével. Aujourd'hui toutes remarques devenant inutiles ainsi qu'on le constate dans la lettre et le rapport ci-joint de M. le maire de Plœmeur, je crois devoir venir vous demander la résiliation du bail en cours.
Puis il propose de procéder à une nouvelle adjudication à la folle enchère pour poursuivre le service.
Le Directeur des contributions indirectes, consulté à ce sujet, émet un avis favorable à la résiliation du bail et précise que le fermier serait tenu de payer, s'il y a lieu, la moins-value du mobilier.

Bac passage du Kernével

Le 16 décembre 1835, à la demande M. Forestier, ingénieur d'arrondissement, le conducteur des ponts et chaussées procède à la visite des bacs et bateaux, agrès et apparaux desservant le passage de Kernével.
Arrivé à midi, il attend le sieur Joseph-Marie Mallet qui était à Port-Louis avec son petit bac et lui signifie qu'il doit se soumettre à l'inspection.
- Le canot pour le passage des piétons est en bon état. Il a de longueur de tête en tête 5 m 30 et de largeur de bau 1 m 80. Il est armé de deux avirons, une voile, un bout d'aussière, un grappin, une bosse et une planche d'embarquement et de débarquement.
- Le grand canot ou chaloupe est aussi en bon état. Il a de longueur d'une tête à l'autre 8 m et de largeur de bau 2 m. Il est armé de deux avirons, une voile, un grappin, une aussière et une bosse.

Le petit canot est monté par le sieur Mallet fermier, aidé d'un marin. Il est spécialement attaché à passer d'une rive à l'autre tous les voyageurs qui se présentent.
Le grand canot ou chaloupe est monté par deux marins paraissant forts et bien constitués, mais ce canot ne fait pas constamment le service du passage. Il est presque toujours employé au petit cabotage.
Ayant fait remarquer que ce bateau devait aussi faire le service des passagers, le fermier lui répond que la fréquentation de ce passage était trop peu de choses pour employer journellement ces deux canots et quatre mariniers, qu'il lui serait impossible de vivre et qu'en conséquence il employait son grand canot à un commerce plus lucratif et que même l'occasion se présentait fort rarement de le faire servir pour le passage.
D'après les informations prises sur les lieux, il est constaté que le fermier ne remplit pas comme il devrait le faire, les obligations contractées par lui en se rendant fermier du passage de Kernével.

Le 24 décembre l'ingénieur en chef reprend les propos de son subalterne et souligne que le bateau du sieur Mallet ne fait que 5,30 m sur 1,80 m alors que le cahier des charges prévoit 6,56 m sur 2,70 m. Ce bateau doit donc être celui de l'ancien fermier.
Mais il ne se formalise pas de cette irrégularité puisqu'il qu'il écarte toutes les plaintes formulées contre le passeur en étant d'avis que la résiliation proposée ne soit prononcée que dans le cas où le sieur Mallet serait par un acte autre que le cahier des charges obligé d'avoir deux bateaux et que dans le cas contraire les habitants de Plœmeur et des environs soient prévenus que le fermier du bac n'est obligé à avoir qu'un seul bateau afin qu'ils ne se formalisent pas du petit commerce auquel il se livre avec son second canot.

Le 5 janvier 1836, le sous-préfet relance le préfet en lui rappelant son courrier n°1921 demeuré sans réponse. Comme les plaintes continuent, je viens vous prier de bien vouloir vous reporter à ma susdite et m'honorer d'une réponse, pour que par une adjudication nouvelle, je puisse aviser aux moyens de régulariser le service de ce passage fréquenté.

Nous ignorons la suite donnée à cette affaire, faute d'archives, et arrivons quinze ans plus tard.

 

Modifications du cahier des charges

En 1850 il est procédé à l'adjudication pour 3 ans du bac de Kernével. Le cahier des charges type, datant de 1835 est complété par quelques conditions particulières.
Aux exonérations existantes auparavant, il est ajouté : les malles-poste, les courriers et estafettes du gouvernement, les voitures cellulaires, conducteurs et chevaux, les agents de lignes télégraphiques, les agents voyers, les vérificateurs des poids et mesures, enfin les personnes, chevaux et voitures qui marchent sous l'escorte de la gendarmerie.
En ce qui concerne les obligations du fermier : tout le matériel nécessaire à l'exploitation du passage, bateaux, batelets, agrès etc. sera fourni par le fermier et non par l'administration lors de la mise en jouissance. Il ne lui sera accordé aucune indemnité pour dépréciation de ce matériel pendant ou après la durée du bail, pas plus pour les réparations et achats que nécessitera son entretien.
Par ailleurs : la charge que les bacs, bateaux, batelets pourront contenir, est limitée à 12 personnes par tonne.
Pour le grand bateau, à 36 individus y compris les passeurs, ou à 18 chevaux, mulets, bœufs.
Pour le petit bateau, à 12 individus y compris les passeurs.
Il est précisé que le passage sera desservi par deux bateaux, chaque bateau sera garni d'une voile et de deux rames, et conduit par deux mariniers. L'un de ces bateaux devra jauger au moins 3 tonneaux et l'autre pas moins de un tonneau.

 


 

Passage du Kernével

 

Concurrence du bateau à vapeur

Le 22 décembre 1852 à la sous-préfecture de Lorient a lieu une nouvelle adjudication pour les 9 années à venir, de 1853 à 1861. La mise à prix est de 30 francs. Gabriel Le Hunsec est attributaire du bail pour 31 francs. Le tarif du passage est toujours celui fixé par le décret du 17 thermidor an XII. 
Dorénavant, s'ajoute à la liste des personnes exonérées de droit de passage les ministres des différents cultes reconnus par l'état.
Outre ses obligations habituelles, il est précisé que le fermier est chargé des travaux de réparation et d'entretien des cales d'abordage.

Dès le 8 janvier 1853, le passeur Le Hunsec intervient auprès du sous-préfet pour concurrence illégale provoquée par le bateau à vapeur de Lorient à Port-Louis du capitaine Naugard qui prend ses passagers et se détourne de sa route pour les déposer au Kernével sans qu'il perçoive au moins le prix de leur passage.
Si le bateau à vapeur continue à me prendre mes passagers, les bénéfices modiques de mon adjudication deviennent nuls.

Bac de KernévelLe 26 février 1853, un procès-verbal de mise en jouissance dressé par le conducteur des ponts et chaussées, certifie que les deux bateaux sont conformes aux obligations du fermier et en très bon état.

Le 25 mars, l'ingénieur en chef donne son avis au préfet sur la plainte du fermier du bac de Port-Louis à Kernével. Il la juge très fondée et pense que le fermier du bac est en droit de réclamer de l'administration de ces bateaux pour chaque personne transportée, le prix du passage d'après le tarif du bac.

Cinq ans plus tard, le contre-amiral Jéhenne, préfet maritime, demande que la délimitation du port des bacs établis en mer soit effectuée par l'administration des ponts et chaussées. Puis le 22 avril 1858, l'ingénieur en chef entérine les propositions du conducteur Bertrant fixant les limites du port.Plan des ports

1° Sur la rive droite de la rade de Lorient. 
En amont de la cale à 150 m de cette cale.
En aval de la cale d'abordage à 800 m de cette cale en partant de l'origine supérieure de son plan incliné et passant par l'angle le plus avancé en mer du fort de Kernével pour les 190 premiers mètres et pour les 610 autres en partant du point précédent et passant à 40 m en avant de l'angle suivant du fort précité.
2° Sur la rive gauche de la rade de Lorient.
En amont de la cale à 450 m dans la direction du mur extrême du fort de Kerso (face sur Locmalo).
En aval de la cale d'abordage à 620 m de la dite cale à l'angle du dernier bastion de la citadelle de Port-Louis.

 

Pour la veuve de l'adjudicataire, le passage n'est plus rentable

Une nouvelle adjudication a lieu le 21 décembre 1861 pour les années 1862 à 1870 avec un cahier des charges sensiblement modifié. 
Maintenant les limites du port du bac sont bien définies et indiquées par des bornes que l'adjudicataire fera remplacer à ses frais en cas de disparition ou d'endommagement.
Le nouvel article sur la police stipule que le passage sera desservi :
- par un grand bateau jaugeant au moins 3 tonneaux, ayant de longueur 9 m 50, de largeur 2 m 50, muni d'au moins une voile et de 2 rames.
- par un petit bateau jaugeant au moins un tonneau et garni de 2 rames.
Chaque bateau sera conduit par 2 mariniers.
Le nouvel adjudicataire est Michel Stéphan avec une redevance annuelle de 95 francs.

Le 22 décembre 1862, madame Stéphan qui vient de perdre son mari écrit au préfet que cette perte la met ainsi que ses deux enfants en bas âge, dans une situation fâcheuse et l'oblige à confier à un autre patron l'exploitation du bac. Ce qui diminue considérablement son revenu.

Le conducteur des ponts et chaussées chargé d'enquêter rend ses conclusions le 20 janvier 1863.
D'après les renseignements que j'ai pris auprès de différentes personnes, il résulte que le passage de Port-Louis à Kernével est fort peu lucratif et que le prix du bail est trop élevé relativement au bénéfice que l'on peut tirer de cette entreprise.
Bien qu'indispensable, le passage ne sert qu'à relier Port-Louis à quelques villages de Plœmeur dont les habitants vont d'ailleurs s'approvisionner à Lorient.
Je pense qu'une réduction sur le prix du bail est de toute justice, mais comme la Vve Stéphan demande presque gratuitement la possession du passage (20 F au lieu de 95). Comme elle semble disposée à résilier, suite à la mort de son mari qui rend l'engagement nul, il vaudrait mieux lui retirer le passage pour le soumissionner à un autre.
Il suggère de porter le prix à 50 francs seulement, car c'est le passage qui rapporte le moins de tous ceux du département.

Après que le directeur des contributions indirectes ait accepté le principe de la résiliation du bail, à condition que la veuve Stéphan s'engage à s'arranger à l'amiable avec un de ses parents qui prendrait le passage pour 55 F par an, elle demande seulement qu'on lui laisse encore son marché (à prix réduit de 50 F) jusqu'à la fin de l'été.

L'ingénieur des ponts et chaussées rédige un second rapport faisant ressortir trois solutions.
1° on peut prononcer la résiliation pure et simple du contrat.
2° on peut réduire pour la veuve Stéphan le prix à 50 F jusqu'à un temps déterminé à la suite duquel l'administration disposera comme elle l'entendra du passage.
3° on peut enfin, conformément à l'opinion de M. le directeur des Douanes admettre la Vve Stéphan à présenter son amodiateur qui reprenne le bail à un prix déterminé.
Il craint qu'on ne trouve personne à un prix supérieur aux 50 francs que la veuve accepte de donner et propose qu'on la garde dans ces conditions jusqu'au mois d'octobre prochain, puis de mettre fin à son contrat à ce moment-là.
Nous laissons le soin à l'administration d'apprécier laquelle est préférable au double point de vue de l'équité et des intérêts qui lui sont confiés.

L'affaire remonte jusqu'au ministère des finances qui le 22 juillet 1863 décide de résilier le bail à partir de l'entrée en jouissance d'un nouveau fermier. Il accepte aussi d'abaisser son prix à 50 francs pour la veuve Stéphan.

 

Nouveaux passeurs, nouvelles plaintesaffiche de l'adjudication

Le mercredi 30 décembre à la sous-préfecture de Lorient, a lieu l'adjudication des droits à percevoir au passage d'eau de Kernével pour les années 1864 à 1870, sur une mise à prix de 40 francs. Seul Marc Marie Rustuel demeurant à Keramzec, se présente. Sur soumission directe, il est adjudicataire moyennant la redevance annuelle de 40 francs.

Le 15 juin 1864, M. Le Gal, percepteur des contributions directes, se plaint du passeur auprès du maire de Plœmeur. 
Vendredi dernier, j'ai été retenu une heure et demie sur la cale de Port-Louis à attendre le bateau qui fait le passage entre Port-Louis et Kernével. Ce laps de temps n'était pas dû au mauvais temps, puisque je vis le bateau partir du rivage de Kernével et qu'il mit moins de 10 minutes à faire le trajet et notre retour fut effectué avec autant de rapidité, mais aux longues escales que fait le bateau lorsque le fermier ne trouve pas un chargement qui paie son retour. Le retard peut être très préjudiciable aux voyageurs pressés qui attendent sur le rivage opposé, sans savoir quand ils passeront ; le passage des voyageurs étant interdit aux autres bateaux.

Le sous-préfet averti de cette plainte la transmet à l'ingénieur des ponts et chaussées, qui intervient auprès du passeur en lui rappelant que l'art. 34 du cahier des charges stipule que le fermier sera tenu de passer une personne seule, sans exiger d'autre droit que le droit simple, lorsqu'elle aura attendu sur le port le laps de temps d'une demi-heure.
Toute autre personne qui voudra passer isolément et sans attendre paiera le droit fixé dans ce cas par le tarif (qui est de 6 personnes à pied).
Il le prie de faire en sorte que ces faits ne se renouvellent plus.

Une nouvelle adjudication du bac pour la période 1871 à 1879 a lieu le 21 décembre 1870. Aucun adjudicataire ne se présente et l'ancien fermier, Marc Rustuel, continue à faire librement et provisoirement le service.

Le 24 mars 1871Jean-Michel Le Gouhir sollicite le fermage. Le conducteur des ponts et chaussées enquête sur le demandeur. Jean-Michel Le Gouhir est né le 11 mars 1840 et demeure à Kerblaye, matelot gabier de 1ère classe, il s'engage à payer une redevance annuelle de cinq francs, et à se conformer strictement aux prescriptions du cahier des charges.
Il résulte des informations qu'il a obtenues de l'Inscription Maritime du port militaire de Lorient que c'est un excellent sujet qui présente toutes les garanties pour faire convenablement le service du bac. 
Attendu que ce service souffre de l'absence d'un fermier et qu'il importe de ne pas le laisser libre plus longtemps dans l'intérêt du public qui commence à s'en plaindre, il est d'avis que l'administration accède le plus vite possible à sa demande. 

Finalement le 25 mai 1871, le sous-préfet consent le bail à Le Gouhir. 
L'acte précise que le fermage aura une durée de neuf ans commençant le 1er mai 1871 et finissant le 1er mai 1880. La redevance annuelle est fixée à trente francs. Le matériel est maintenant la propriété de l'administration.
Après lecture du présent acte, le sieur Le Gouhir ne sachant signer a fait sa croix en présence de deux témoins.

Le tarif en vigueur est toujours celui du 17 thermidor an XII sensiblement modifié par quelques compléments depuis 1861.

 

Le 16 novembre 1872, le commandant du Génie intervient auprès des ponts et chaussées suite à la mésaventure subie par M. Henry, garde du Génie.
En effet les hommes qui font le passage ont refusé de le prendre bien que n'ayant personne dans leur bateau et lui ont fait manquer le bateau à vapeur de Port-Louis à Lorient. Ensuite il a dû revenir à pied de Kernével à Lorient !
Le brigadier de la douane, présent à ce moment, lui assure qu'ils jouent souvent le même tour à ses douaniers.

Le Gouhir s'explique : le bateau est resté une heure à la cale du Kernével. Pendant ce temps, les bateliers ont pris des caisses à sardines à destination de Port-Louis. Vers 2 h 30, afin d'être à l'arrivée du bateau à vapeur venant de Lorient, l'un des bateliers a crié, suivant l'habitude et à deux reprises différentes "Embarquement pour Port-Louis".
Quant à lui, patron du bateau, il avait aperçu un monsieur et une dame éloignés de 100 m environ de la cale d'embarquement mais ignorant qu'il devait prendre le bateau, il ne l'a pas prévenu.
Regardant de tous côtés et ne voyant aucun passager se diriger vers le bateau, les marins ont hissé la voile et poussé.
Le bateau était éloigné de la cale de 80 m environ, lorsque le monsieur s'est aperçu du départ et a halé les mariniers qui ont usé de leurs droits en se refusant d'atterrir. Ils avaient dépassé à Kernével les délais réglementaires et en outre ils avaient le vent debout pour gagner Port-Louis.
Il est regrettable que M Henry n'ait peut-être pas entendu "Embarque pour Port-Louis" et se soit trouvé à une si grande distance de la cale d'embarquement au moment du départ du bateau.

L'ingénieur des ponts relate ces faits au commandant du Génie en précisant à mon avis, si ainsi que je le crois, cette version est vraie, le patron du bateau était dans son droit.
Il arrive très souvent que ceux qui utilisent le bac se plaignent de la lenteur des mariniers qui n'hésitent pas à revenir pour prendre de nouveaux voyageurs, ce qui fait toujours perdre du temps. Dans le cas présent, un voyageur se plaint de ce que le bateau ne soit pas revenu.
Je regrette beaucoup ce contretemps. Dans nos instructions nous ne cessons de répéter aux patrons des bacs de chercher à satisfaire tout le monde et de nous éviter des réclamations.

 

Le passeur renonce à assurer le service

En août 1874, Le Gouhir annonce qu'il ne veut plus continuer à assurer le service du bac de Kernével et préfère abandonner son cautionnement que de continuer l'exploitation de ce passage.
Il prétend que le bac est difficile à desservir et ne lui assure pas un bénéfice suffisant pour la peine qu'il se donne.
L'ingénieur des ponts et chaussées estime que l'abandon de ce bac fera souffrir le public, notamment les habitants de Port-Louis, de Kernével et des environs. Il est d'avis que la résiliation de bail du sieur Le Gouhir ne soit pas acceptée.

C'est au plus haut niveau que l'affaire est tranchée puisque le 2 décembre, le ministre des finances prononce la résiliation du bail moyennant l'abandon du cautionnement.

 


 

Passage du Kernével

 

Vers la fin du passage de Kernével

L'absence de bac nuit gravement à la population. En mai 1875, le maire de Plœmeur est saisi d'une pétition des habitants de Larmor, Lomener et Kernével : Le développement du commerce, de la pêche comme spéculation et comme plaisir, la bonne disposition de toute cette côte pour les bains de mer, demandent impérieusement ce passage, soit particulier, soit fait par les bateaux à vapeur de Lorient à Port-Louis faisant escale au Kernével.
Le conseil municipal demande au maire de s'occuper de cette question en se mettant en rapport avec les maires de Lorient et Port-Louis afin qu'il puisse aviser de ce qu'il devra faire en faveur de ce projet d'une haute importance pour la commune.

En août, le maire fait observer à son conseil que celui de Lorient a nommé une commission qui ne s'est pas mise en rapport avec celle nommée dans le même but par Plœmeur. Monsieur de Raime, adjoint au maire de Plœmeur, tient à constater ce fait, et considère que la commission de Plœmeur ne sera pour rien dans les décisions qui seront prises à cet égard.

Le 10 septembre, l'administration des contributions indirectes de Lorient, demande à l'ingénieur des ponts et chaussées de se concerter avec lui pour que le bac soit remis en adjudication et pourvu d'un nouveau fermier, fût-ce à titre gratuit.
Il précise que dans le cas de non exploitation du bac, il y aurait lieu de poursuivre sa suppression.

Aussitôt, le conducteur rend compte de la situation actuelle. Le service est fait sans affermage par le sieur Rustuel depuis la résiliation du bail. Mais il laisse beaucoup à désirer. En effet, Rustuel fait le service quand il ne trouve pas d'occupation ailleurs et seulement pour être utile au public.
Mais personne ne s'est présenté pour affermer le bac, même à titre gratuit. 
Par contre la commune de Port-Louis ayant voté une somme de 300 francs pour ce service, il pense qu'il y aura des candidats.

L'ingénieur des ponts se demande si au nom d'un intérêt purement local l'administration doit intervenir ou s'il n'est pas préférable d'abandonner l'exploitation du service aux seuls intéressés libres d'y affecter telle somme qu'ils jugeront convenable et d'imposer telles conditions qu'ils jugeront utiles.

Le directeur des contributions indirectes répond aux ponts et chaussées qu'il y aura lieu d'accepter le concessionnaire choisi par la commune de Port-Louis et de lui faire souscrire une soumission à titre gratuit.
Son administration ne peut abandonner un bac qui dans l'avenir pourrait prendre de l'importance, mais elle doit garantir au concessionnaire le monopole des droits de passage.

Mais l'ingénieur en chef, Hausser, ne partage pas cet avis. Si une commune juge opportun de subventionner un service de bac, elle en est libre, sans que nous ayons à nous ingérer dans la question. Je vous avais déjà fait connaitre que cette solution semblait la meilleure.

Les "vapeurs" concurrencent de plus en plus les traditionnels bateaux à voile et avirons, tant pour leur confort que leur rapidité et surtout leur régularité, permettant aux voyageurs d'être mieux servis. Le 4 décembre 1875, le conseil municipal de Lorient approuve un cahier des charges imposant certaines contraintes aux constructeurs des vapeurs et à leurs équipages pratiquant le "Service de la Rade". 
Le service à établir a pour but de relier Lorient par des bateaux à vapeurs avec les points principaux de la rade et notamment Port-Louis et Kernével.

 

Port-Louis prend en charge le bac

Le 31 janvier 1876, les ministères concernés donnent leur accord à la demande de la municipalité de Port-Louis de se charger du passage d'eau à ses risques et périls moyennant une redevance annuelle de 1 F destinée à affirmer le droit de l'état.

En février, le maire de Plœmeur donne connaissance à son conseil d'une lettre du maire de Lorient qui propose un service de vapeur entre Lorient et Port-Louis avec escale à Kernével. Le conseil ne prend pas cette demande en considération et prie le maire de s'entendre avec celui de Port-Louis afin d'établir un bateau de passage entre le Kernével et Port-Louis.

Les choses vont bon train puisque le 15 mars le conducteur des ponts et chaussées dresse le procès-verbal d'entrée en jouissance. Il constate que le nouveau fermier possède un grand bateau jaugeant 4 tonneaux, garni de 2 voiles, de 3 avirons, d'une gaffe et d'une planche de débarquement. Il porte l'indication de la ligne de flottaison à l'avant et à l'arrière.
Par contre l'adjudicataire, ne possède pas encore de batelet, mais il va s'en procurer un.

Le 12 du mois suivant le sous-préfet Alphonse de Pistoye signe avec le maire de Port-Louis l'acte d'abonnement par voie directe relatif au fermage du passage d'eau. Il commencera le 1er avril 1876 pour se terminer le 31décembre 1879.
Le montant de la redevance est de 1 franc au lieu des 30 f versés précédemment.

La commune de Port-Louis pense être parvenue à rétablir la liaison maritime avec le Kernével. Mais le fermier trouvé en 1876 s'est retiré et le 26 avril 1879, le maire de Port-Louis est contraint de demander la résiliation du marché qui existe pour l'exploitation du bac de Kernével. Malgré mes offres de subvention, je n'ai pu jusqu'ici trouver un entrepreneur voulant se charger de faire ce service.

Il lui est répondu que cela ne peut être fait qu'après acceptation par les départements des travaux publics et des finances. La prochaine adjudication des bacs devant avoir lieu dans quelques mois, il semble préférable de renouveler ultérieurement cette demande.

Le bac du Kernével n'est pas le seul à poser problème puisque lors de l'adjudication du 15 octobre 1879 deux autres bacs de l'arrondissement de Lorient (Lac et Bonhomme) n'ont pas trouvé preneur. Un mois plus tard, M Rondineau, préfet, demande à l'ingénieur en chef de lui adresser des propositions dans le but d'arriver d'une manière quelconque à les affermer.

 

Le bac ne trouve plus preneur

Les ponts et chaussées pensent qu'on arriverait probablement à affermer le bac du Kernével, soit en augmentant les prix du tarif, soit en demandant une subvention aux communes intéressées.

Le lundi 8 décembre 1879, le conseil municipal de Port-Louis réuni en séance extraordinaire reconnait à l'unanimité l'impossibilité de trouver un adjudicataire pour l'exploitation du passage si le tarif n'est pas doublé pour tous ses articles. Il est d'avis d'offrir à l'adjudicataire une subvention annuelle de 300 francs pendant toute la durée du bail.
De son côté, la commune de Plœmeur est décidée à voter une subvention de 200 francs.

Le conducteur des ponts et chaussées prend acte de ces offres de subvention et propose d'augmenter le tarif du bac. Dans ces conditions, il pense qu'on trouvera facilement un adjudicataire. Le service sera alors assuré à la satisfaction de tous.

Affiche de l'adjudicationIl faut attendre un an pour qu'une nouvelle adjudication soit organisée en 1880.
Monsieur Boudvilain, conducteur est chargé de rédiger un rapport sur les modifications à apporter au cahier des charges.
Il prend des renseignements auprès de celui qui fait aujourd'hui le passage, le seul qui se soit présenté aux deux adjudications successives.
Il pense qu'on n'aura des chances de trouver des soumissionnaires qu'aux conditions suivantes :
1° modification du tarif ;
2° cautionnement prélevé sur les allocations des communes de Port-Louis et Plœmeur ;
3° résiliation facultative après chaque période triennale en prévenant 3 mois à l'avance ;
4° modification de l'art. 27 consistant à n'exiger des fermiers que le grand bateau prévu au cahier des charges.

Début décembre 1880 M. Herpin, ingénieur ordinaire interroge le conducteur Boudvilain.
Il lui demande de faire connaitre la distance de parcours du bac entre les deux cales de départ et d'arrivée, dire au besoin un mot de la difficulté du voyage, du temps, etc. Quelques renseignements complémentaires sont nécessaires.

Le conducteur lui répond : la distance entre les cales est de 1100 mètres en ligne droite.
Si le vent est favorable pour aller d'un point à l'autre, il sera défavorable pour le voyage en sens contraire, c'est-à-dire vent défavorable une fois sur deux, et dans ce cas la distance réelle parcourue peut être évaluée au triple de la distance en ligne droite.
Ces distances à parcourir montrent immédiatement la difficulté du service du bac ; mais pour s'en pénétrer d'avantage, il suffit de savoir que sur une longueur de 600 mètres en ligne droite, le bateau dans son parcours se trouve en face de la passe (entrée de la rade) sans aucun abri, recevant la lame par le travers et ayant à vaincre un courant de 5 nœuds dans les grandes syzygies. (nouvelle ou pleine lune)
L'on peut dire avec certitude que le service du bac entre Kernével et Port-Louis est difficile et parfois dangereux.

Le 15 mai 1881, suite à l'insuccès des dernières adjudications le conseil municipal de Plœmeur décide d'augmenter le montant de sa subvention de 100 F supplémentaires, la portant ainsi à trois cents francs.

Le 21 septembre, informé de la modification du tarif du bac, il maintient les 300 F précédemment votés à condition que le passage ait lieu tous les jours, du soleil levant au soleil couchant, mais trouvant le tarif un peu compliqué, il propose les articles suivants :
- 0,10 F par personne ayant un colis à la main. Le complet pour partir étant de 6 personnes, nul ne pourra forcer le passager (passeur) à mettre à la voile à moins de lui assurer le prix du passage de six voyageurs,
- 1 F par bœuf, vache, cheval, âne et mulet,
- 0,50 F par veau et porc,
- 0,10 F par chien, mouton, cochon de lait, couple d'animaux de basse-cour.

Le 10 novembre, l'ingénieur Herpin estime que les propositions de la commune de Plœmeur sont trop vagues et pourraient être une cause de discussion entre le passeur et les passagers. Il pense également qu'il n'y a pas lieu d'imposer aux voyageurs l'obligation d'assurer au batelier une recette égale à celle qui est due pour 6 personnes à pied, lorsqu'ils auront attendu un certain laps de temps sur la rive.

Ce n'est que le 11 juillet 1882, qu'un décret fixe le tarif qui retient des augmentations très substantielles. Par ailleurs, les exemptions du droit de passage de plus en plus nombreuses sont de nature à anéantir le bénéfice du passeur. 
Un nouveau cahier des charges approuvé par le ministère des finances le 28 juillet prend en compte toutes ces modifications.

Le 25 novembre, une nouvelle adjudication ne donne aucun résultat.

A la demande du ministère des travaux publics, le préfet, Marc Dufraisse, prie l'ingénieur en chef de se concerter avec le directeur des contributions indirectes, pour assurer par soumission directe l'exploitation du bac.

 

Un candidat preneur découragé

Un mois plus tard, le conducteur des ponts et chaussées a trouvé un candidat : le sieur Le Corre Théophile marin demeurant à Kernével faisant actuellement le passage de Kernével à Port-Louis (passage irrégulier jusqu'à ce jour) nous a déclaré qu'il accepte toutes les conditions du cahier des charges nouveau, qu'il désire devenir fermier du bac ; qu'il ne s'est pas présenté à l'adjudication du 25 novembre dernier pour la raison que de faux bruits lui avaient fait croire que les subventions des communes de Port-Louis et Plœmeur étaient supprimées.
On peut maintenant traiter avec le Sr Le Corre et assurer ainsi le service régulier de ce bac.

Trois mois plus tard, l'ingénieur Herpin précise que Théophile Le Corre a servi dans la marine de l'Etat pendant 10 ans en qualité de quartier maître de manœuvre, a navigué pendant 21 ans au commerce et fait ensuite sur nos côtes la pêche de la sardine. 
Il possède toutes les connaissances requises pour diriger le bac de Kernével, qu'il exploite d'ailleurs pour son compte en dehors de l'administration depuis près de trois ans, c'est-à-dire depuis l'expiration du dernier bail. Il remplit en outre toutes les conditions de conduite et de moralité requises.
Et de conclure qu'il y a lieu de lui concéder le passage jusqu'au 31 décembre 1888.

Il faut attendre le 15 juin 1883, pour que le ministère des travaux publics autorise le préfet à traiter directement avec Le Corre.

Lettre de renonciation de Le CorreAlors qu'on lui demande de verser 15,75 francs pour les frais de soumission, Le Corre refuse finalement de se charger de l'exploitation du passage mettant l'administration dans l'embarras.
L'ingénieur en chef explique que la subvention des communes n'est acquise qu'après approbation régulière de la soumission et les retards des décisions ministérielles ont sans doute contribué au découragement du soumissionnaire.
Pour arranger les choses, il suggère qu'afin de lui éviter les frais qui sont réclamés, le préfet peut prendre un arrêté qui lui permettrait d'exploiter officiellement le bac et d'encaisser la subvention de 500 francs.

Mais rien ni fait, Le Corre confirme son refus par écrit.
Depuis le temps que l'on me promettait la somme, on m'a assez joué, maintenant je n'en veux plus des conditions.

Les ponts et chaussées se résignent : il ne reste plus qu'à faire de nouvelles recherches.
Ils reprennent contact avec Le Corre, qui par courrier du 21 novembre 1883, persiste dans son refus. Faîtes en sorte de trouver un autre individu qui pourrait traiter pour cela, car quant à moi, je renonce totalement.

 

Courte expérience du service avec un bateau à vapeur

Le 4 octobre 1884, M Contesse de Monbouton, armateur à Port-Louis, se propose d'effectuer le passage avec un bateau à vapeur donnant une moyenne de traversée de 5 à 6 minutes, quel que soit le temps.
Considérant que ce vapeur a toutes les qualités voulues et que le service serait assuré dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes que celles imposées par le cahier des charges, l'administration est d'avis qu'il y a lieu de concéder à M Contesse de Monbouton le produit des droits à percevoir sur le bac.

Le 1er décembre 1884, soit dix ans après la résiliation de bail de Le Gouhir, est enfin publié un arrêté préfectoral réinstaurant officiellement le service du bac. 
M Contesse de Monbouton est autorisé à exploiter le bac de Kernével à partir de ce jour jusqu'au 31 décembre 1888, moyennant une redevance annuelle de 1 franc.