L'usine Gillet au Kernével


Charles Henry de la Blanchetais propriétaire du "chantier du Kernével" décède en 1817. Il laisse un patrimoine immobilier important, de 102 500 francs à partager entre 7 héritiers.
Peu après, un différend oppose ses héritiers à M. Bisson, propriétaire de la verrerie voisine, au sujet de la propriété d'un terrain vague et sablonneux qu'ils possèderaient depuis 1785. Au terme d'une longue procédure, le 12 juin 1818, le préfet est d'avis que le terrain contesté soit mis en adjudication. Le 30 septembre 1819 cet avis est approuvé par le ministre des finances qui ordonne de faire procéder à la vente. Nous ignorons l'issue de cette affaire.

Suite à un jugement du tribunal de première instance de Lorient, le 10 août 1819 il est procédé au partage des biens de la succession de Charles Henry de la Blanchetais et de son épouse Jeanne Villate. Son fils Antoine Henry reçoit "le chantier de Kernével" composé de trois maisons, deux magasins, une presse à sardines composée de deux corps de bâtiments ; le premier régnant de l'un à l'autre, composé de deux magasins ou chantiers, séparés par un mur de refend et d'un grenier au-dessus ; le second en appentis joignant immédiatement le bout du couchant de la longère du nord du premier et régnant des midi et nord.
Au nord d'un chemin qui le sépare de l'article précédent, un magasin couvert en ardoises et fermé en bois.
Le terrain, tant sous tous les édifices ci-devant décrits, ainsi que ceux sous cour, jardin, chantier et issues ; en un mot, tel qu'il se contient et comporte et qu'il est cerné et borné par des murs, les bâtiments et leurs palissades a de long au levant quatre-vingt-dix-huit mètres douze centimètres, au couchant quatre-vingt-trois mètres quarante-deux centimètres, au midi soixante mètres quatorze centimètres et au nord quarante-trois mètres soixante-deux centimètres.

 

A Hennebont le 4 mars 1832, Auguste Solange Gillet originaire de Bernay en Seine-et-Marne épouse Emilie Anne Marie Agathe Duclos native de Broons (Côtes du Nord). 

Le 1er septembre 1834, Auguste Gillet, son épouse et Marie Yvonne Mignon, veuve de Maurice L'Hostis achètent à Antoine Henry, capitaine de vaisseau en retraite, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis et de l'ordre royal de la Légion d'honneur et dame Jeanne Suzanne Aimée Roche son épouse, "le chantier du Kernével". Il consiste en bâtiments d'habitation, magasins, presse à sardines, enclos, jardin, petite maison sur la côte qu'ils connaissent bien pour en être déjà locataires. Les époux Gillet sont fondés pour trois quarts, la veuve L'Hostis pour un quart, moyennant treize mille francs.

En 1844, Auguste Gillet s'associe à Ouizille. Le 30 juillet 1844, il retourne au préfet un questionnaire qu'il a rempli, à des fins statistiques. Son affaire consiste en : conserves alimentaires, briqueterie, tuilerie, chaufournerie.

Le personnel se compose de 30 à 50 hommes ayant un salaire journalier de 1,25 à 5 francs,
                                               55 à 80 femmes avec un salaire de 0,75 à 1,50 francs,
                                               10 à 20 enfants plus de 16 ans avec un salaire de 0,50 à 1 franc.
Il dispose de deux fourneaux et cinq fours.
La conserverie traite de nombreux produits : sardines, anchois, tous grands poissons, viande de boucherie, gibier, volaille, fruits et légumes.
Il fabrique 100 000 conserves alimentaires en boites, et 10 000 en bouteilles et bocaux. Les sardines à l'huile sont expédiées à Paris et les conserves destinées en particulier à l'approvisionnement maritime.

Il fabrique également des briques, tuiles, carreaux de toutes dimensions, environ 500 000 destinées à tout le pays et aux hauts fourneaux de Bretagne ; et de la chaux hydraulique, environ 2000 hectolitres.
La valeur des produits fabriqués s'élève à 240 000 francs.

 

Entre le sieur Gillet et la dame Mignon, il existe une participation pour l'exploitation du commerce du sieur Gillet. Des augmentations et améliorations ont été apportées par la construction de nouvelles usines, l'addition de nouveaux terrains.
Il faudrait établir des comptes entre les parties. Pour mettre un terme à cette situation un accord est trouvé le 28 février 1850 au terme duquel Marie Yvonne Mignon vend à Gillet tous ses droits indivis dans la copropriété moyennant le versement d'une rente annuelle et viagère de six cent francs.

 

Auguste Gillet décède au Kernével à 61 ans le 26 juin 1858, étant veuf. La veille il a rédigé un testament olographe par lequel il révoque tout autre testament antérieur, nomme Edme Jeanson demeurant à Arcis-sur-Aube pour légataire universelle et choisit le docteur Louis Bodélio pour tuteur de ses enfants, voulant absolument en exclure son gendre Louis Binda. Il laisse 3 filles dont une mineure, Zoé et un fils naturel qu'il a reconnu, également mineur, Ludovic.

Le 14 septembre 1859 a lieu la vente judiciaire des immeubles dépendants des successions d'Auguste Gillet et de son épouse Emilie Duclos.

Le cahier des charges, dont nous avons extrait l'essentiel, donne une description très précise des immeubles mis en vente.
Premier lot : usine du Kernével.

Art 1er
Une maison de maître composée, au rez-de-chaussée, d'un grand salon à manger, d'un cabinet de travail, d'un grand salon, d'une bibliothèque, d'un petit salon à manger, d'un cabinet de bains et de lieux d'aisance ; au premier étage, de cinq chambres et deux cabinets. Il existe un second étage qui n'est pas encore distribué ayant la même superficie que le premier étage. Le second étage est recouvert par une plate-forme en zinc sur laquelle est établi un belvédère et un réservoir d'eau pour les besoins de l'usine. Il existe des caves sous le rez-de-chaussée.

Art 2
Un bâtiment composé d'une cuisine et d'un salon à manger au rez-de-chaussée, de deux chambres et d'un cabinet noir au premier et d'un grenier au-dessus. Ce bâtiment communique par un escalier avec le premier étage de la maison de maître composant l'article premier.

Art 3
Une petite maison servant actuellement de restaurant, composée d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage avec grenier au-dessus.

Art 3bis
Une petite construction établie en appentis, contenant un foyer et servant de cuisine pour les pêcheurs.

Art 4
Un bâtiment composé de rez-de-chaussée et grenier, contenant le magasin à sel et l'atelier pour la préparation du poisson.

Art 5
Un autre bâtiment composé d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, recouvert d'une plateforme en zinc.

Art 6
Un grand atelier, dit l'atelier de friture et de mise en boites.

Art 7
Une construction en appentis dans laquelle les boites sont remplies d'huile, puis soudées par les ferblantiers.

Art 8
Un bâtiment composé de rez-de-chaussée, premier étage et grenier, communiquant avec la maison principale.

Art 8bis
Un atelier dans lequel il existe divers fourneaux et aménagements ainsi que la chaudière d'ébullition.

Art 9
Une tour en briques servant de magasin à fourrages sous laquelle il existe un passage.

Art 10
Une construction composée de divers magasins au rez-de-chaussée, d'un magasin au premier étage et greniers.

Art 11
Magasins divers.

Art 12
Une maison composée d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage, servant de magasins et d'ateliers pour la confection des boites.

Art 13
Un jardin contenant sous fonds environ neuf ares.

Art 14
Une cour, en partie plantée de fleurs et d'arbres, contenant sous fonds environ neuf ares vingt-cinq centiares.

Art 15
Un bassin entièrement construit en briques et ciment.

Art 16
Une autre cour ayant une contenance d'environ deux ares, trente-huit centiares.

Art 17
Un magasin.

Art 18
Une cour contenant sous fonds environ un are cinquante-six centiares.

Art 19
Un terrain dans lequel il existe une rangée d'arbres. Il a une contenance d'environ deux ares quarante centiares.

Art 20
Une partie d'un terrain maritime dépendant de la plage de Kernével d'une contenance d'environ soixante ares ; elle est limitée à l'est par la ligne des basses eaux.

Les immeubles ci-dessus décrits forment un seul tenant contenant environ un hectare sept ares soixante-six centiares, se divisant comme suit :
                                                     Sous cours, jardins et issues      31 a 79 ca
                                                     Sous constructions                      15 a 87 ca
                                                     Sous terrain maritime                  60 a 00 ca
                                                     Ensemble                             1 ha 07 a 66 ca

◊ Matériel d'exploitation
                         neuf chaudières en cuivre, établies sur fourneaux dans le grand atelier ;
                         les étagères du grand magasin ;
                         dix tables garnies de zinc ;
                         environ 20 chevalets ;
                         environ 300 claies, tant en bon qu'en mauvais état pour le séchage du poisson ;
                         environ 400 tablettes portatives ;
                         environ 30 lampes à réverbère ;
                         environ 300 grilles et paniers pour la friture du poisson ;
                         une grande chaudière pour l'ébullition établie sur fourneaux dans l'atelier décrit sous l'article 8bis ;
                         une machine servant à verser l'huile sur les boites et diverses tables recouvertes en zinc, établies dans la                                            construction décrite sous l'article 7 ;
                         ustensiles divers, veltes et bidons.

◊ Marque de fabrique
La propriété de la marque de fabrique de M. Auguste Gillet, pour les conserves alimentaires, appartiendra exclusivement à l'adjudicataire du premier lot. Il aura donc le droit d'apposer ladite marque sur tous genres de produits en conserves alimentaires et profitera seul de tous les avantages attachés à ladite marque, sans en rien excepter ni réserver, et à la charge seulement de se conformer aux prescriptions de la loi.

◊ Articles destinés à rester communs entre les propriétaires du premier et du deuxième lot.
Art 1er
Un quai établi donnant de l'est sur le terrain maritime décrit sous l'article vingt de ce même lot. Ce quai sera limité au nord par la prolongation de la ligne déterminée pour le partage du terrain maritime entre le premier et le second lot. Le second lot y aura donc accès par le passage existant entre l'angle N-E de l'article dix-sept du premier lot et la plage ou terrain maritime.

Art 2
Une cale embarcadère édifiée sur partie du terrain maritime annexé au premier lot et établie perpendiculairement au quai décrit en l'article qui précède.
Les deux articles ci-dessus resteront propriété commune entre les adjudicataires des deux premiers lots. 

La mise à prix de ce premier lot est fixée à 50 000 francs. Aucune enchère n'est prononcée le 14 septembre. La vente est reportée au 19 octobre 1859 et le juge commissaire est autorisé à abaisser la mise à prix jusqu'à l'adjudication définitive.
L'huissier de service ayant présenté des bougies préparées pour briller environ une minute chacune, a crié la vente de l'usine du Kernével sur la mise à prix de quarante-cinq mille francs.
Sur cette mise à prix, deux bougies allumées successivement s'étant éteintes sans enchère, M. le juge commissaire a ordonné l'ouverture des enchères sur la mise à prix de 40 000 francs.
Deux bougies successivement allumées sur cette mise à prix s'étant éteintes sans enchère, M. le juge commissaire a de nouveau abaissé la mise à prix à 35 000 francs.

Sur cette nouvelle mise à prix deux bougies allumées successivement s'étant encore éteintes sans enchère, M. le juge commissaire a de nouveau baissé la mise à prix à 30 000 francs.
Sur cette mise à prix, une première bougie étant allumée, Me Lagillardaie a déclaré prendre l'immeuble à la mise à prix. Il agit au profit du sieur Auguste Ouizille fils, banquier demeurant à Lorient.

Charles Auguste Ouizille est né à Lorient en 1822 et l'époux de Rosalie Lestrohan. Il est à l'origine d'une grande famille qui a marqué de son emprunte la pointe du Kernével et la vie de la région lorientaise.
L'usine est transformée en Société Commerciale de Lorient.

 

Le 23 avril 1891 la presse locale fait état de la fermeture de l'usine à sardines et du transfert de son activité vers celle de monsieur Deveze ainé, à Gâvres. A cet endroit les enfants Ouizille construisent deux autres magnifiques villas.