Pont de Kermélo

 

A l'origine, ce pont permettant de relier Lorient à Larmor était situé sur la paroisse de Plœmeur.

De nos jours bien qu'il ne soit situé que pour partie sur la commune de Larmor-Plage et que son entretien incombe à la ville de Lorient et au département, il ne nous parait pas possible de ne pas traiter de cet ouvrage dans une étude sur Larmor.

 

 

 

Le pont suspendu à péage

 

Un projet très contesté

Le 2 juillet 1830, un ingénieur des Ponts et Chaussées, Jean Eugène Laurent De Lyone soumet au préfet du Morbihan son intention de faire édifier à ses frais un pont suspendu permettant de relier Lorient à Larmor destiné aux piétons et aux chevaux, d'une largeur de 1 mètre 20. Il accompagne son courrier de plans et sollicite une concession perpétuelle.
Il soutient son projet en disant que :
Les habitants du pays désiraient vivement qu'un pont fut établi sur la rivière du Ter, à peu près vis-à-vis le manoir de Kermélo ; mais les études qui ont été faites ont démontré qu'il était impossible de réduire la longueur du pont à moins de 132,50 m et les difficultés que présenteraient les fondations profondes et rapprochées avaient fait abandonner l'idée d'entreprendre un travail fort cher pour satisfaire à des besoins de circulation très faibles […] Mais depuis cette époque, l'usine du Kernével remise en activité, la création de plusieurs presses à sardines à Larmor et sur la côte ouest du Kernével, ont augmenté les produits du bac dont le bail expire le 31 Xbre 1831 (décembre).
De nouvelles techniques de construction et l'abaissement du taux de l'argent font que l'établissement d'un pont à Kermélo serait rentable.
Il dit que les voitures ne passeront jamais sur ce pont puisqu'il existe une communication fluviale plus économique entre Kernével et Lorient et propose donc de retenir pour le péage le même tarif que celui du bac.Signature Laurent

 

L'ingénieur subdivisionnaire des ponts et chaussées d'Hennebont est d'avis que monsieur le préfet accueille favorablement la demande de monsieur Laurent, attendu que dans la mauvaise saison les habitants de Lorient et ceux de Port-Louis trouveront dans l'établissement de cette passerelle une communication directe.
Cet ouvrage laissera le passage aux chaloupes démâtées à marée haute afin de ne pas entraver le service du moulin du Ter ou les chaloupes de commerce.

Mais la marquise de la Boissière, propriétaire du domaine du Ter, intervient immédiatement pour faire connaitre sa désapprobation.
Toute la rivière du Ter est ma propriété, elle avait été concédée jusqu'à la rade de Lorient à mes ancêtres par la Duchesse Anne de Bretagne, par lettres patentes du 12 mars 1490, confirmées par Louis XII et depuis par Louis XV, rois de France. C'est en vertu de cette propriété qui n'a jamais été contestée que ma famille y a fait construire les deux chaussées et moulins du Ter.
Elle s'opposera à cette entreprise qui serait un envahissement sur ma propriété et nuirait de manière notable à l'exploitation des moulins supérieurs en entravant la communication par eau de ces usines avec la rade de Lorient et les villes et pays qui l'avoisinent.

 

En septembre 1830, une enquête a lieu en mairie de Ploemeur.
- Le maire, Gabriel Lomenech, s'oppose formellement au dit pont sur la rivière du Ter, en ce qu'il empêcherait toutes espèces de communication par mer avec le bourg, et entraverait son commerce….
Il est bien reconnu que ce pont serait plutôt nuisible que profitable à ses administrés, d'ailleurs un seul quartier y passe et ne forme pas la dixième partie des habitants, de manière que les neuf dixièmes de la commune auraient à souffrir du faible avantage des premiers.
Il est soutenu par le conseil municipal qui est unanimement d'avis de s'opposer à la construction d'un pont comme étant contraire aux intérêts de la commune.

- Pierre Louis Le Quemener, mandataire spécial de Dame Catherine, Armande, Marie, Henriette du Bois de la Féronière, épouse de Monsieur Marc, Antoine, Marie, Hyacinthe, Marquis de la Boissière propriétaire et ancien officier général demeurant en leur château de Malville rappelle que toute la rivière du Ter jusqu'à la rade est propriété de la dite Dame Marquise de la Boissière […].que ce pont nuirait beaucoup à l'exploitation des moulins.

- Antoine et Jean-Pierre Le Guin demeurant au vieux moulin et au moulin neuf, copropriétaires du vieux moulin s'opposent également à l'entreprise du pont qui provoquerait un grand préjudice pour les abords de leur propriété.

 

La décision est prise : le pont sera construit

Le sous-préfet se prononce favorablement sur le projet le 20 décembre 1830.
Le commandant du génie de la place de Lorient expose qu'en cas de guerre maritime cela présenterait un moyen plus facile et plus prompt de communiquer entre la ville de Lorient et la côte de "La-remor", cela pourrait être utile à la défense de la frontière. D'un autre côté cette communication serait dangereuse en procurant à l'ennemi le moyen de se porter avec plus de facilité et de promptitude sur la place de Lorient si importante par ses établissements maritimes.
En conclusion il pense que la demande de construction de pont au passage de Kermélo sur la rivière du Ter, ne doit être accordée que sous la condition de démolir, ou voir démolir à ses frais le dit pont, à la première réquisition de l'autorité militaire, en temps de guerre et ce sans indemnité.

Le directeur des fortifications confirme cette autorisation. Si prompt que fut le débarquement à droite de l'embouchure du Blavet, d'une troupe ennemie capable d'inquiéter Lorient, et sa marche vers cette place, il n'est pas probable qu'elle eut atteint le pont projeté avant la facile et rapide démolition de ce léger ouvrage. En conséquence nous sommes d'avis, avec monsieur le chef du génie, que sa construction peut être autorisée aux conditions qu'il indique.

Le 19 janvier 1831, le préfet décide que la construction soit autorisée et que les travaux soient mis en adjudication sur un cahier des charges établi d'après les propositions de M. l'ingénieur en chef et avec la restriction mentionnée dans l'avis de M. le chef de bataillon ingénieur en chef du génie et avec l'adhésion de M. le Directeur des fortifications.

Le ministère du commerce et des travaux publics, ayant fait examiner le projet par le conseil général des ponts et chaussées, répond au préfet : il y a lieu de demander à l'ingénieur en chef de nouveaux renseignements qui permettent d'apprécier le mérite des oppositions faites par Mme de la Boissière et par la commune de Plœmeur sur les entraves à la navigation.
Monsieur Laurent de Lyone répond point par point à tous les arguments avancés contre son projet.
Finalement, le 19 octobre 1831, la commission des routes relevant de la direction générale des ponts et chaussées autorise la construction du pont et décide :
                              l'intervalle entre les culées sera de 122 mètres ;
                              on donnera 2 mètres de largeur à la voie entre les garde-corps ;
                              le tablier sera élevé de 1 mètre 60 au-dessus des plus hautes mers ;
                              quant à la proposition de démolir le pont, elle reste dans le droit commun.

Monsieur Raduget, demeurant à Locqueltas, qui ne partage pas du tout les décisions de la commune intervient auprès du sous-préfet. Après avoir rappelé le drame de 1788 qui a plongé dans le malheur une vingtaine de familles, il lui demande de remplacer ce passage par un pont, ce qui lui assurerait une vive reconnaissance des amis du bien public et de l'humanité.
Par ailleurs, il est incontestable que la population industrielle est fixée sur les bords de la côte, au Kernével, beau chantier pour navires, belle verrerie, 23 presses à sardines[...] S'il fallait faire attester par 200 notables des communes voisines, la nécessité d'un pont à cet endroit, je le ferais aisément…

La commission mixte du département de l'intérieur, de la guerre et de la marine se réunit le 16 janvier 1832. Elle est chargée de donner un avis sur le projet de pont suspendu en remplacement du bac. Après avoir revu tous les avis précédents, la commission passe à l'examen de la question qui porte uniquement sur la clause de démolition qui ordonnée en présence de l'ennemi ne donne pas lieu à indemnité d'après la jurisprudence qui régit la matière….
Et il n'y a pas de motif pour excepter du droit commun la construction dont il s'agit.
Sur sa proposition, le 8 février 1832, le ministre décide qu'il y a lieu d'autoriser la construction d'un pont suspendu sur le Ter à Kermélo.

Le 9 mars, M. Laurent estimant que l'autorisation qui est donnée, n'est pas autre chose qu'un véritable refus libellé en des termes de consentement, écrit au préfet : mon parti est pris, je me retire complètement et je vous demande de considérer ma pétition comme nulle et non avenue.
L'ingénieur en chef déplore la polémique qui oppose la commission mixte à M. Laurent sur le principe d'une indemnité. Comme il est très probable que la commission persistera dans son avis, il ne nous reste que le regret d'être forcé d'abandonner un projet utile.

 

 Un nouveau projet mis à l'étude

En 1833, messieurs Charles Vrignault, conseiller municipal de Lorient et conseiller de préfecture, et Détroyat proposent de se charger de la construction du pont en se soumettant aux conditions déjà imposées à condition que le gouvernement leur accorde une subvention de 2400 F avec une concession de 99 ans. Ils rédigent un projet de cahier des charges.

Le 4 février 1834 le ministre du commerce et des travaux publics indique au préfet les clauses et conditions que doit contenir le cahier des charges. Par ailleurs une subvention de 4000 francs sera accordée à l'entreprise.

Le cahier des charges élaboré par l'ingénieur en chef compte 12 articles et un tarif.

Il précise entre autres qu'avant son ouverture, le pont sera soumis à une épreuve de 200 kg qui restera 3 jours sur le pont et un procès-verbal sera dressé. Puis le préfet autorisera l'ouverture du pont et la perception des droits de péage. Le concessionnaire entretiendra de jour et de nuit un préposé à chaque extrémité du pont. Ils interdiront que plus de 200 personnes s'y trouvent à la fois.

Pour indemniser l'adjudicataire de ses dépenses, le produit du péage lui sera concédé. 

Pour une personne à pied, seule chargée ou non      0,05 francs
Pour un cheval et son cavalier, valise comprise         0,10
Pour un cheval ou mulet, chargé                                0,10
Pour un cheval non chargé                                         0,05
Pour une vache ou un âne                                          0,05
Pour un porc, mouton, veau                                        0,025

Sont exempts de droit : préfet, sous-préfet, maire de la commune, ingénieurs, conducteurs, piqueurs des ponts et chaussées, juges de paix, agents des contributions directes et indirectes, préposés de la douane, inspecteurs de navigation, gendarmes, gardes-champêtres, militaires en corps ou isolément porteurs d'ordre de service ou de feuille de route, facteurs ruraux faisant le service des postes de l'état.

Une ordonnance royale de Louis-Philippe publiée le 16 octobre 1834, autorise le préfet à procéder à l'adjudication et approuve le droit de péage.

Le 5 novembre 1834, une entreprise parisienne dirigée par les frères Seguin, demande au préfet, de lui adresser une affiche ou des renseignements sur un pont suspendu à construire sur le Ter. La grande habitude que nous avons de ces sortes de constructions nous met à même de nous présenter à l'adjudication avec quelques avantages…

 

                                                               

                                     Marc Seguin et ses frères
Marc Seguin est né à Annonay en Ardèche le 21 avril 1786. C'est le petit neveu de Joseph de Montgolfier célèbre pour la découverte des aérostats. Ingénieur de grand talent, il est l'inventeur des ponts suspendus. Il construit son premier pont en 1822. Avec ses 4 frères, il fonde plusieurs compagnies spécialisées dans la construction de ponts suspendus. Ils en construisent 186, tant en France qu'à l'étranger. Le principe consiste sur la base de l'invention de l'utilisation des fils de fer pour la suspension des ponts, à financer leur construction, puis en accord avec les communes concernées de se rémunérer par un péage pour une durée donnée. Marc Seguin est aussi l'inventeur de la chaudière tubulaire. Il conçoit en 1824 le premier bateau à vapeur. Plus tard, il applique son invention à la construction des locomotives.
Membre de l'Académie des Sciences, il est fait Officier de la Légion d'honneur en 1866. Il meurt en 1875, à l'âge de 89 ans.
En 1834, c'est la "Société Seguin frères" composée de Jules, Camille, Paul et Charles Seguin qui construit le pont de Kermélo.

 

Le 5 décembre 1834 il est procédé à l'adjudication du pont suspendu, en présence du préfet Lorois, de 5 conseillers de la préfecture et de l'ingénieur en chef Le Blanc.

Le préfet ouvre les soumissions qui donnent le résultat suivant quant à la durée de la concession avec perception du péage :
              1 Vrignault et Détroyat 87 ans
              2 Seguin frères 83 ans
              3 Boulland Adolphe 84 ans 7 mois
L'offre des frères Seguin reconnue la plus avantageuse, est acceptée et approuvée par le ministre de l'intérieur le 31 janvier 1835.
Le cahier des charges est complété par un article supplémentaire prévoyant l'exemption du droit de péage en faveur des employés du service des douanes.

Le 24 novembre les Seguin adressent au directeur général des ponts et chaussées et des mines "un nouveau projet de pont de Kermélo" consistant à substituer un pont à voitures à la passerelle.

Le préfet et les ingénieurs trouvent avantage à le substituer au projet de passerelle suspendue qui n'aurait pas présenté autant de garantie de stabilité.
Les Seguin sont prêts à commencer le travail dès que la décision leur sera connue.
Le ministre de l'intérieur également favorable au projet donne ses instructions, en particulier la nécessité d'appeler les conseils municipaux à délibérer tant sur les tarifs supplémentaires que sur les engagements à prendre pour l'élargissement et l'amélioration du chemin vicinal.

Le 28 janvier 1836, un devis descriptif et des plans sont adressés au préfet. Il ne s'agit plus d'un pont suspendu, mais d'un pont fixe en charpente, composé de 11 fermes de 11 m et de 3,50 m de large.

Le maire de Lorient se déclare favorable au projet, mais il ne fait pas l'unanimité dans son conseil municipal.
Quant au conseil municipal de Plœmeur, il rejette à l'unanimité la demande faite pour substituer un pont fixe à la passerelle suspendue, comme étant inutile ni d'aucun intérêt aux habitants de cette commune et est d'avis unanime que le premier projet de la passerelle suspendue soit maintenu pour avoir sa pleine et entière exécution.

Le sous-préfet déplore les décisions de Lorient et de Plœmeur qui ont traité la question sous l'influence d'un trop grand égoïsme local et sous un point de vue mesquin et erroné. […] A Plœmeur, commune populeuse et riche, tout à la fois, agricole, commerçante et maritime, la délibération du conseil est d'un négatif difficile à qualifier.
La rumeur et la voix des cabaretiers, des boulangers, des marchands et autres domiciliés du bourg, dominent dans la décision du conseil.

Le 18 août 1836, le ministre de l'intérieur décide et ordonne au préfet de mettre les sieurs Seguin frères en demeure d'exécuter purement et simplement leur marché.
Les Seguin proposent d'élargir la passerelle de 30 cm afin de donner à leur pont une voie permettant le passage des charrettes agricoles. Mais en 1837, le ministre se prononce contre cette modification.