Le passage de Kermélo

 

Il s'est écoulé environ un demi-siècle après la "création" de la ville de Lorient avant de réaliser qu'une liaison maritime entre les deux rives du Ter devient nécessaire pour les échanges entre Larmor et Lorient. En effet à cette époque les échanges se font toujours par voie maritime entre le Kernével et Port-Louis, puis de Port-Louis vers Lorient, et réciproquement.
Par voie terrestre, il n'existe qu'un chemin peu carrossable entre Kernével et le bourg de Plœmeur avant de prendre la route de Lorient, mieux aménagée.

 

A proximité de l'allée de la mer située au manoir de Kermélo il est possible d'embarquer sur un bac faisant la liaison entre les deux rives du Ter.

 

Nicolas Le Hunsec, passeur sous l'ancien régime

Un bail établi le 21 juillet 1783 devant Fraboulet et Cadio, notaires royaux de la sénéchaussée d'Hennebont, nous renseigne sur les fermiers du passage de Kermélo.
En présence :
- du sieur Simon-Guillaume-Gabriel Bruté de Remur, avocat au Parlement, directeur, receveur général des domaines et bois de la Province de Bretagne, demeurant à Rennes près la place du Palais, paroisse Saint-Germain, fondé de procuration devant Boulard et Michelin, notaires au Châtelet de Paris du 3 juin1783,
- de Jean-Baptiste Osmont, fermier général du duché de Penthièvre et dépendances, demeurant à Paris, rue des Amandiers, paroisse de Sainte Marguerite,Ledit Bruté de Remur, est actuellement à Hennebont, logé à l'auberge où pend pour enseigne le Lion d'Or. Au nom d'Osmont, il a baillé et délaissé à titre de ferme et prix d'argent, pour neuf années qui commenceront le premier janvier 1784 et finiront le dernier décembre 1792, aux conditions ci-après énoncées,

 

à : - Marie Le Discot veuve de Nicolas Le Hunsec, demeurant au village de Kervin,
     - Jacques Le Montagner de Kerhouas,
     - et Marc Le Thiec de Kerederne, les trois, paroissiens de Plœmeur, preneurs,
                                                                                                 savoir :
Le passage de Poulmellou en la paroisse de Plœmeur et les droits y attribués qu'ils en ont jouit ou du jouir comme fermiers actuels qu'ils ont dit bien connaitre, à la charge auxdits preneurs de se fournir de bateaux gréés et apparaux à leurs frais aussi qu'ils verront sans que sa dite altesse puisse être recherchée en façon quelconque pour entretien ni autrement. Ils devront se conformer pour la perception des droits aux édits, déclarations, tarifs et règlements du conseil et aux arrêts du parlement de cette province.
Les preneurs ne pourront prétendre à aucune indemnité, ni diminution du prix ci-après, sous prétexte de contestation avec les redevables, ni pour cause de guerre, peste, famine, stérilité, cessation de commerce, troubles publics, inondation, incendie.

Le présent bail est consenti moyennant un fermage annuel de cent livres en espèces sonnantes, sans aucun billet, payable en quatre termes égaux et d'avance à la caisse du receveur du domaine, le premier à la date du 1er janvier 1784. Et pour plus grande sureté, les preneurs seront tenus d'avancer et payer cinquante livres dont il sera tenu compte pour les six derniers mois du bail.
Si les preneurs ne se trouvaient plus en mesure de payer un trimestre, leur bailleur aurait la possibilité, sur simple sommation, de les déposséder, et de procéder à leurs frais à une "folle enchère".

 

Dramatique naufrage

Le 8 septembre 1788, jour de la fête de Notre-Dame de la Clarté à Larmor, la barque chavire au cours de ce petit trajet d'une centaine de mètres provoquant la noyade de dix personnes.
Les inhumations ont lieu le lendemain à Plœmeur. On relève dans le registre paroissial des sépultures, quatre femmes et six hommes noyés hier au passage de Kermélo :

Le bail du passage de Kermélo prend fin le 31 décembre 1792 et n'est pas renouvelé. Il se poursuit néanmoins et le 29 germinal an II (18 avril 1794), le receveur des domaines écrit au citoyen administrateur du district d'Hennebont que le fermier n'entend pas continuer au-delà de l'année en cours.


Concernant le bail à ferme du passage à mer de Kermélo en Plœmeur dépendance du duché de Penthièvre, appartenant à la fille du citoyen Bourbon Penthievre, femme Bourbon d'Orléans, condamnée à la déportation avec confiscation de ses biens au profit de la République, le receveur demande si l'on doit renouveler le bail ou procéder à sa vente.

 

Mises aux enchères

Finalement, le 11 fructidor an II (28 août 1794) le bail du passage de Kermélo est mis en vente aux enchères.
Séance publique où étaient les citoyens André, Parmantier et Laffillé, administrateurs, le citoyen Cochois, agent national, présent, se sont présentés les citoyens Le Cont receveur de l'agence nationale de l'enregistrement à Hennebont et Bouvard receveur aussi à Lorient, lesquels ont dit qu'en vertu de la lettre des agents nationaux des domaines du trente prairial, portant instruction et transmise à l'administration par le vérificateur Bruté, pour parvenir au bail à loyer de diverses propriétés, ils ont fait faire chacun pour ce qui le concerne des bannies et affiches emportant assignation à ces jour, lieu et heure et ont requis la commission administrative de procéder de suite à l'adjudication des dits biens :

La ferme du passage de Poulmélo ou Kermélo commune de Plœmeur, provenant du ci-devant domaine de Penthièvre échu à la Nation, à la charge au fermier de se fournir et entretenir de bateau, agrès, apparaux et ustensiles ; de se conformer aux anciens règlements sur ce péage et sur le droit de perception ; de passer gratis tout ce qui aurait rapport au service des forts de la côte de Plœmeur, le bail pour cinq ans du quinze fructidor.
Le bail reste dans la famille du fermier. Il est adjugé à Nicolas Le Hunsec et à sa mère Marie Le Discot, veuve Le Hunsec, demeurant ensemble à Quélisoy.

La traversée entre les deux rives du Ter demeure assurée tant pour la population que pour l'approvisionnement des forts du Kernével et de Locqueltas.

 

Le 24 décembre 1818, à la sous-préfecture, devant le sous-préfet de Lorient et en présence du directeur des impositions indirectes il est procédé à la mise en bail pour six années du passage de Kermélo. L'adjudication a lieu à la bougie. Charles Le Hunsec porte la première enchère à 300 francs. Ropert surenchérit et c'est à la 8e bougie que Le Hunsec demeurant à Quélisoy en Plœmeur est déclaré adjudicataire pour 500 francs par an, payable tous les trois mois et d'avance. Il sera payé en argent, à l'exception de l'appoint de la pièce de cinq francs qui pourra être payé en monnaie de cuivre ou billon (monnaie de cuivre pur ou de cuivre mêlé avec un peu d'argent comme les sous).

 

Cahier des charges

Le cahier des charges et les conditions préalables nous renseignent sur la façon dont se passait cette traversée.
Plusieurs catégories de personnes sont exemptes de droit de passage : préfet, sous-préfet, maires, juges de paix, ponts et chaussées, facteurs ruraux, fonctionnaires publics, gendarmes en tournée, militaires munis d'un ordre de service, officiers, généraux. Mais aussi les trains d'artillerie, c'est-à-dire les bouches à feu et caissons militaires chargés de munitions de guerre, ainsi que les militaires et conducteurs qui les accompagnent.
Le fermier s'oblige à avoir et à entretenir à ses frais le bateau ainsi que tous les agrès et ustensiles nécessaires pour l'exploitation et le service régulier du passage.

Le tarif est celui arrêté par le gouvernement le 17 thermidor an XII. Le fermier devra l'afficher sur un poteau de chaque côté de la rivière, sur lequel sera tracé le niveau d'eau au-delà duquel le supplément de taxe sera exigible et le niveau des hautes eaux au-delà duquel tout passage est interdit en bateau, passe cheval ou batelet.

Le fermier, ses préposés ou mariniers ne pourront sous les peines prévues par la loi exiger autres et plus fortes sommes que celles portées au tarif, ni se permettre d'injurier, menacer ou maltraiter les passagers.
Le fermier s'oblige de tenir en bon état le bateau servant au passage afin que le service public soit régulièrement entretenu et que les voyageurs n'aient point à souffrir de retard de la part du fermier ou de ses mariniers. Il sera également tenu à l'entretien et aux réparations des chaussées ou calles situées sur chacune des rives du passage.
Le passage de Kermélo sera desservi par deux hommes pour le bac ayant de longueur 5 mètres et 623 mm, garni de deux avirons, une gaffe et planche d'embarquement.
La charge que le bateau pourra contenir est limitée à :
                                             15 personnes y compris le marinier ;
                                             4 bestiaux, soit chevaux, mulets, vaches, bœufs ;
                                             300 kilogrammes.

Le fermier entretiendra les préposés ou mariniers nécessaires qui sont à sa charge.
Il ne pourra employer à ce service que des gens âgés au moins de vingt et un ans, de bonne vie et mœurs, décents envers le public, bien au fait de la navigation et qui auront rempli les formalités prescrites par la loi du 6 frimaire an VII. Il garnira le bateau de planches pour sièges, de manière que les passagers y soient avec propreté et sureté et tiendra toujours le bateau vide d'eau.
Le fermier ne pourra passer ni être contraint de passer lorsque la rivière charriera des glaces et lorsque le vent et les grandes eaux seront assez considérables pour faire craindre des accidents.
Le fermier sera tenu de passer une personne seule sans exiger d'autre droit que le droit simple lorsqu'elle aura attendu un laps de temps qui sera d'une demi-heure. Les personnes qui voudront passer isolément et sans attendre ce laps de temps payeront le droit comme pour six personnes à pied, 30 centimes.
Deux visites annuelles sont prévues par l'ingénieur des ponts et chaussées qui en dressera un procès-verbal.

En 1824, c'est Nicolas Le Hunsec de Kerentrech en Lorient qui obtient le bail pour 7 ans au prix de 745 francs, soit plus de 50% de plus que le bail précédent.

 

Joseph-Marie Salo, dernier passeur

Deux ans avant la fin de son bail, par acte notarié du 7 juillet 1829, Nicolas Le Hunsec, ancien capitaine au commerce, loue et afferme le passage de Kermélo à Joseph-Marie Salo marinier et à sa femme Marie-Jeanne Le Grand pour les deux années restantes.
Les conditions sont spéciales : 2,20 F par jour pendant les mois de novembre à février et 2,50 pendant les autres mois, le tout payable et portable en la demeure du bailleur le samedi de chaque semaine. De plus le bailleur recevra du preneur après déduction des frais la moitié de la recette des jours d'assemblée à Larmor, estimée à 10 francs l'an.

Le 20 juillet 1831 lors d'une adjudication qui a lieu à la sous-préfecture, Joseph-Marie Salo demeurant à Kerhouas, déjà titulaire du bail de passage, obtient la concession pour 9 années supplémentaires.
Les enchères ont lieu à la bougie. M. Le Hunsec offre 375 francs. Finalement c'est M. Bellanger qui l'emporte pour le compte de M. Salo à la 4e bougie pour la somme de 800 francs.
L'adjudication est approuvée par le ministre des finances près d'un an plus tard le 26 juin 1832.

 

Mais déjà le projet de construction d'un pont franchissant le Ter est à l'étude. La passerelle construite par les frères Seguin est ouverte au public le 7 avril 1838. Aussitôt, le sous-préfet de Lorient écrit à monsieur Salo : je viens vous prévenir que votre bail du bac de Kermélo, en date du 20 juillet 1831, demeure résilié et annulé et qu'en conséquence vous devez accepter du dit jour huit avril, de cesser de passer qui que ce soit sur la rivière du Ter et de percevoir aucun droit de péage.

 

Quelle indemnité ?
Aussitôt Joseph-Marie Salo entreprend les démarches nécessaires pour obtenir l'indemnité à laquelle il a droit. L'ingénieur en chef des ponts et chaussées, saisie de cette question, précise que l'article 2 du cahier des charges imposées aux concessionnaires du pont est clair. L'adjudicataire sera tenu également d'acquitter l'indemnité qui pourrait être due au fermier actuel du bac pour la résiliation de son bail.
C'est donc à messieurs Seguin frères que doit s'adresser pour être indemnisé, le sieur Salo propriétaire du matériel du passage qu'il exploitait.

Le sous-préfet répond que les frères Seguin ne demandent pas mieux que de donner au sieur Salo une indemnité raisonnable et lui avaient en conséquence offert le montant d'une année de sa ferme. Le dit Salo en exigerait plus.
N'est-ce pas au conseil de préfecture qu'il appartient de fixer cette indemnité due par l'Etat quoique payée des deniers des adjudicataires du nouveau pont ? S'il n'en était pas ainsi, il en résulterait un procès onéreux pour les deux parties.

 

Le préfet ne sachant comment trancher la question de l'indemnité à accorder au fermier du bac, demande son avis au directeur des contributions indirectes tant sur la fixation de l'indemnité à accorder au fermier que la valeur de son matériel.

Le directeur des contributions indirectes du Morbihan renouvelle au sous-préfet sa demande concernant la résiliation du bail du passage afin de régler le compte de cet assujetti.
Aucun renseignement officiel ne le dispense d'acquitter le trimestre courant et je suis d'autant plus obligé de rappeler votre attention sur cet objet qu'une décision ministérielle du 3 janvier 1809 règle ainsi ma conduite :
"Aucun motif, aucune considération ne doivent empêcher le recouvrement du prix des baux à leur échéance ; et si des réclamations sont élevées par le fermier même pour le fait de son bail, les termes échus ne doivent pas moins être exigés, sauf la décision à intervenir".
Il me semble qu'il faudra donner l'assurance au ministère des finances que ce fermier est désintéressé et a donné acte de son acquiescement à la décision qui l'a privé de la jouissance de ses droits.

Le directeur des contributions indirectes de l'arrondissement de Lorient, Rivallan, répond le 17 juin 1838 au directeur du Morbihan. J'aurais désiré pouvoir vous donner d'une manière précise et satisfaisante les renseignements que vous me demandez pour juger la réclamation du sieur Salo mais je n'ai trouvé aucune donnée positive pour apprécier l'indemnité ni évaluer le mobilier de son bac.
Il pense cependant que cela appartient à l'autorité administrative des ponts et chaussées exclusivement.
Mais il connait particulièrement bien le passage et dit que les prétentions du sieur Salo sont exagérées et qu'il a du s'estimer heureux de la résiliation d'un traité qui lui offrait plutôt des chances de pertes que de bénéfices.

Puis il rappelle qu'à un loyer annuel de 800 francs auquel on peut ajouter une dépense obligatoire d'environ 400 francs, le passage n'a pas dû lui rapporter d'avantage. Si on lui donnait une indemnité de 400 francs pour les 2 années et 9 mois d'interruption de jouissance et si l'on constatait l'état de vétusté de son bac actuel, ses prétentions seraient satisfaites au moyen d'une allocation de 6 à 700 francs.
Il ne partage pas l'opinion de l'ingénieur en chef sur les suites données à cette affaire. Le sieur Salo ayant joui sans trouble de son exploitation jusqu'au 7 avril dernier n'avait aucune démarche à faire antérieurement, n'étant pas intéressé par un apport considérable de bénéfices à réclamer pour son éviction.
Il aurait mieux valu, écrit-il, faire une expertise contradictoire et lui faire l'offre en résultant, en lui notifiant l'ordonnance royale du 16 8bre 1834.
Le sieur Salo aurait alors pu porter ses prétentions devant les tribunaux et refuser de s'entendre avec les frères Seguin qui ont pris l'engagement de supporter les frais d'indemnité quand ils seront fixés.

Je dois maintenant vous entretenir, monsieur le directeur, des démarches que j'ai faites pour régulariser la cessation à partir du 1er avril du recouvrement du prix de la ferme. Le 16 de ce même mois j'ai demandé à monsieur le préfet de me faire connaitre à quelle époque avait eu lieu cette résiliation et si l'on devait réclamer quelques sommes […]. J'ai renouvelé cette demande en mai et n'ayant pas reçu de réponse j'ai écrit à ce magistrat le 15 du courant qu'en conformité de la décision ministérielle du 3 janvier 1809, je me trouverais forcé de poursuivre le recouvrement du 2e, 3e trimestre...
Je ne doute pas de l'empressement que M. le préfet mettra à me répondre maintenant qu'il sait que cette affaire exige une prompte solution, et je n'attribue ce retard qu'aux travaux importants dont il est accablé.
Il n'est pas possible d'être plus rempli de bienveillance qu'il ne l'est dans ses relations et si cette affaire est encore en souffrance, c'est qu'il n'a pas pu s'en occuper par lui-même et qu'elle a été mal entamée.

 

Le 12 juillet 1838, le directeur du Morbihan répond au préfet que suite à sa dépêche du 12 juin il lui adresse en communication une lettre du directeur de Lorient près duquel j'ai dû prendre des renseignements que sa proximité des lieux et ses relations avec le receveur devaient lui rendre plus facile à se procurer. Je me bornerai à reconnaître comme lui que les prétentions du fermier sont exagérées. Il me semble qu'en les réduisant au taux indiqué dans la lettre de cet employé supérieur on concilierait à la fois les intérêts du trésor et ceux du sieur Salo.

 

Nous ignorons la suite donnée à cette affaire.