Fin du pont suspendu


et


Construction d'un pont fixe

 

 

Projet de construction d'un nouveau pont

Le 14 décembre 1906, l'agent voyer en chef Bidu présente un projet de substitution au pont suspendu actuel d'un pont en maçonnerie de 15 mètres d'ouverture. Le moment semble venu de se préoccuper du remplacement de ce pont par un ouvrage robuste, à double voie charretière, muni de trottoirs, permettant de satisfaire en toute sécurité à tous les besoins d'une circulation intense.

M. Lebert, ingénieur en chef des ponts et chaussées, considère que le débouché doit être plus important, qu'il faut aussi se préoccuper de la navigation sur le Ter et des pêcheurs.
Mais l'agent voyer en chef considère que l'on n'a pas à se soucier d'une navigation qui n'existe pas ou des quelques pêcheurs par passe-temps, que la levée projetée ne saurait contrarier pour le passage de leur plate.

Le 22 avril 1907 après une étude approfondie, l'ingénieur ordinaire des ponts et chaussées conclut qu'il serait désirable d'accroitre la portée de l'ouvrage et de lui donner une ouverture de 25 mètres.

arrêtéL'usage des voitures automobiles se répand de plus en plus. La puissance des moteurs leur permet de transporter des poids bien supérieurs à celui de 600 kilos. L'agent voyer cantonal signale que si ces voitures fatiguent moins les organes de suspension que celles à traction animale, le passage se faisant sans à-coups, il y a lieu dans un but de sécurité d'en réglementer la circulation sur le pont suspendu de Kermélo.

Le 14 octobre 1907, le préfet F. du Chaylard prend un arrêté précisant que les voitures automobiles autorisées à circuler sur le pont ne devront pas excéder le poids de 1200 kg et devront passer à la vitesse d'un cheval au pas.

L'administrateur de l'inscription maritime émet un avis favorable aux travaux projetés sous réserve que la question de la navigation par l'unique ouverture soit examinée au point de vue de la force des courants.
L'ingénieur des travaux hydrauliques estime que la digue projetée contenant une arche en plein cintre de 15 mètres d'ouverture gênera sérieusement la navigation. Il est d'avis de demander un agrandissement du débouché offert aux courants qui devrait être porté au moins à 25 mètres.
Ces conclusions concordent avec celles des ponts et chaussées qui, comme représentants du ministère de l'intérieur et du ministère des travaux publics, ne peuvent que se ranger à l'avis de la Marine.
L'ingénieur des Ponts écrit au préfet qu'il est nécessaire de demander au service vicinal de modifier son projet de manière à donner satisfaction aux observations contenues dans le rapport du représentant de la Marine.

Mais M. Bidu refuse de modifier son projet, affirmant qu'au lieu de prétendre que le débouché projeté est notoirement insuffisant, il serait plus rationnel de le démontrer. Néanmoins en janvier 1908 il propose l'édification de deux arches en plein cintre de 15 mètres d'ouverture, à établir à chaque rive du cours d'eau, sur un fond solide que paraissait avoir révélé les sondages effectués en 1905 et 1906 à l'amont du pont actuel.

 

 

 

Le service de l'inscription maritime, le directeur des travaux hydrauliques, le directeur du génie à Brest, le directeur des domaines, le ministre de la Marine et celui des travaux publics adhèrent à l'exécution des travaux projetés.

Mais les derniers sondages effectués conduisent à faire de nouvelles fouilles et à envisager un troisième projet nécessitant une modification du tracé du chemin d'accès au pont. Le milieu de la rivière sera comblé pour y établir une digue et une chaussée. L'eau passera sous deux arches en maçonnerie, de 15 mètres d'ouverture, entre cette digue et chaque rive.
Le coût est évalué à 135 000 francs. L'état y contribuerait pour 36,35%, Le reste serait partagé entre le département 30%, la ville de Lorient 45% et la commune de Plœmeur 25%. 

Lors de l'enquête à Lorient du 14 au 16 septembre 1909, on n'enregistre que deux réclamations.
- Madame veuve Le Coupanec, propriétaire du château de Kermélo proteste contre le projet dont le tracé porte préjudice à ses terres et s'oppose énergiquement aux fantaisies de M. l'agent voyer Bidu.
- M. Le Guenezan proteste également contre le projet qui aurait pour effet de surélever de 3 m sa maison au-dessus du niveau de la route.

Les conclusions du commissaire-enquêteur sont très défavorables. Considérant que le projet de rectification semble très compliqué et fort onéreux, il exprime le désir de voir rejeter son adoption et s'associe aux protestataires.
Le conseil municipal de Lorient, saisi du projet de rectification du chemin, est d'avis de s'associer aux conclusions du commissaire-enquêteur.

Deux mois plus tard l'enquête a lieu à Plœmeur où huit riverains protestent contre le projet.
En conclusion, le commissaire enquêteur est d'avis :
- que le pont projeté soit construit sur l'emplacement du premier projet mais avec une seule arche de 25 m d'ouverture ;
- que si la construction de ce pont est nécessaire c'est surtout pour la défense du littoral (Marine et Guerre) et pour le passage des troupes se rendant au polygone de Kercavès, aussi la part de l'état devrait-elle être augmentée.
Quant au conseil municipal de Plœmeur, il émet le vœu que le pont soit un pont unique à l'emplacement ou aux approches du pont actuel, de 20 à 25 mètres d'ouverture et de 6 mètres de largeur au moins relié aux deux rives du Ter par deux chaussées, et que le tablier soit suffisamment élevé pour supprimer les deux pavillons qui donnent accès au pont suspendu et que la route soit rectifiée de façon à supprimer le coude actuel si dangereux pour la circulation.
Il demande également que la charge tolérée pour les voitures de charrois soit portée à 1200 kilos.

Dans son rapport d'inspection du 27 décembre 1909, M. Boncorps, inspecteur général de la vicinalité apporte un soutien appuyé à M. Bidu. Il estime que son projet est une solution excellente. Le fait qu'on a été obligé de tâtonner pour déterminer le lieu d'implantation du nouvel ouvrage n'autorise personne à prétendre qu'il ne savait pas ce qu'il voulait. Il faut être bien incompétent pour croire possible de déterminer à priori l'emplacement d'un ouvrage important lorsque le terrain est aussi difficile…

Le 20 janvier 1910, dans un très long rapport, M. Bidu, répond point par point à toutes les objections soulevées lors des enquêtes et délibérations des conseils municipaux. L'intérêt public, quoiqu'il en coûte, doit primer l'intérêt personnel avec le souci de l'économie des deniers publics.
En conclusion, il affirme que les protestations émises lors de l'enquête ne sont pas susceptibles d'être prises en considération et ne sauraient suffire à faire avorter un projet dont l'économie n'est pas contestable.

Le 10 mai 1910 au conseil général, la reconstruction du pont fait l'objet de vifs échanges.
M. Bouligand : Je crains qu'avant que les plans ne soient prêts, le pont actuel ne soit démoli et inutilisable.
M. Nail : Je constate que les observations de M. le Préfet ne sont pas de la première heure. Les conseils municipaux de Lorient et de Plœmeur ont exprimé leur avis depuis deux ou trois mois. Tous deux ont été unanimes à reconnaitre que le projet présenté ne pouvait être accepté et qu'il fallait reconstruire le pont de Kermélo à son emplacement actuel.
Le projet de M. l'agent voyer en chef ne tient pas debout. . . Pourquoi ne pas, pour en finir, confier à une autre personne technique le soin de dresser ce projet ?

En août une maison de Nantes propose au préfet un pont en béton armé qui serait construit au même emplacement que le pont actuel.

A l'issue de la visite annuelle du 26 novembre 1910, l'agent voyer en chef fait remarquer qu'on ne peut dissimuler que l'ouvrage atteint son extrême limite de durée et qu'il importe de prendre au plus tôt, une détermination au sujet de sa reconstruction.

Le 21 janvier 1911, sur la proposition de Monsieur Nail, maire de Lorient, à propos du choix du type d'ouvrage, le conseil est d'avis de ne rien préjuger quant au fond et décide la création d'une commission mixte intercommunale associant des membres du conseil de Plœmeur.

L'agent voyer en chef Bidu, saisi de cette demande répond au préfet qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'un projet émanant d'une maison sans mandat et s'étonne que ce projet soit qualifié d'intéressant. […] L'emploi du béton armé est un artifice de construction qui n'a sa raison d'être qu'en pays dépourvu de matériaux propres à une bonne maçonnerie.
Enfin, les ponts en béton armé construits jusqu'à ce jour sont incontestablement laids.

La commission intercommunale se réunit à trois reprises.
Elle entend M. Bidu, qui expose son projet ainsi que M. Chéreau ingénieur de la Maison Hennebique, au sujet de son projet de pont en béton armé. Il s'agit d'un ouvrage de soixante mètres, composé d'un arc central de trente mètres d'ouvertures, reposant sur deux piles en rivière et relié aux rives par deux demi-arcs de quinze mètres.
Au final, la commission conclut au rejet pur et simple du tracé proposé par le service vicinal pour la construction d'un pont à soixante et cent mètres du pont actuel. Elle prie le préfet de mettre à l'examen du service compétent le projet de construction d'un pont en ciment armé présenté par la Maison Hennebique, puis de mettre en adjudication ce projet qui donne satisfaction à tous les intéressés.

Ces conclusions sont adoptées par les conseils municipaux de Lorient le 3 juin 1911 et de Plœmeur le 11.

 

4ème et dernier projet

Le 18 septembre 1911 la commission intercommunale réunie en présence de messieurs Bidu et Chéreau adopte les dispositions suivantes : le pont construit à peu de distance de l'ancien sera constitué d'une seule arche de 30 mètres. Le sommet d'intrados de l'arc sera à 2 m au-dessus du niveau des hautes mers. La chaussée fera 4,90 m et les deux trottoirs 1,20 m.

Le 3 novembre, l'agent voyer d'arrondissement Lenoble constate la présence de 19 à 20 fils cassés sur deux câbles de suspension. La prudence commanderait d'interdire le pont à la circulation des voitures et à ne tolérer que le passage des piétons limités au nombre de 20 et des animaux isolés et non montés.

Le projet de la maison Hennebique, évalué à 115 000 francs, est soumis à enquête.
- A Lorient, du 29 décembre au 12 janvier 1912, aucune réclamation n'est enregistrée. Le commissaire enquêteur est d'avis que le projet est acceptable dans son ensemble sans autre modification. Le conseil municipal l'approuve le 24 juin.
- A Plœmeur, elle a lieu du 25 mars au 9 avril 1912 et fait l'objet d'une seule réclamation de la veuve Guenno au sujet du prix offert pour son terrain. Le commissaire enquêteur est donc d'avis qu'il y a lieu d'adopter le projet présenté par la maison Hennebique, modifié d'après les nouvelles bases du service vicinal. La semaine suivante, le conseil donne son accord.

◊ Compte tenu de l'état inquiétant du pont, M. Bidu réitère son souhait de voir interdire la circulation des voitures et de ne tolérer que le passage des piétons.

Le 23 juin 1912, jour de la fête des Coureaux, sur ordre du préfet les gendarmes à cheval Audran et Puren se rendent au pont de Kermélo pour effectuer des comptages. Ils constatent qu'entre 6 heures du matin et 10 heures du soir il est passé 29 voitures suspendues à deux roues attelées d'un seul cheval allant dans la direction de Larmor et 7 automobiles.
Venant de Larmor dans la direction de Lorient 25 voitures et 2 automobiles.
Vu le grand nombre de piétons passant sur cet ouvrage, plusieurs voitures et automobiles sont passées par le bourg de Plœmeur au lieu de traverser.
L'agent voyer cantonal évalue à 10 000 le nombre des piétons ayant emprunté le pont le jour de la fête des Coureaux.
Les jours de marché à Lorient, la circulation des voitures à traction animale est plus importante : en moyenne 60 dans les deux sens. Quant aux automobiles qui franchissent le pont, elles sont en moyenne de 12 par jour à l'exclusion des jeudis et dimanches où la moyenne doit être portée à 15. Enfin, les jours ordinaires le nombre des piétons à traverser le pont est très variable entre 100 et 1000.

Dans son rapport du 18 juillet sur l'état du pont suspendu, l'agent voyer d'arrondissement Lenoble considère à propos de la solidité des câbles qu'il ne faut actuellement leur demander que d'assurer le passage des piétons et des voitures vides. Il estime qu'il y a lieu de réglementer à nouveau la circulation en revenant aux dispositions de l'arrêté préfectoral du 2 février 1905.
Mais il faudra attendre encore 5 mois pour que le préfet prenne enfin un arrêté dans ce sens.

Le 31 juillet, la commission départementale, agissant par délégation du conseil général, approuve la rectification du chemin d'intérêt commun n°92 aux abords du futur pont de Kermélo. Il déclare d'utilité publique les travaux et admet le principe de la construction du pont selon la méthode Hennebique.

Monsieur Leinekugel-Le Cocq, gendre de monsieur Arnodin, polytechnicien, ingénieur hydrographe spécialisé lui aussi dans la construction de ponts suspendus, en passant sur le pont de Kermélo pour se rendre dans sa famille a fait une constatation d'une très grande importance puisqu'il parait que la chute de l'ouvrage est imminente.
Craintes exagérées selon les agents voyers.

Le 10 décembre 1912, M. Chéreau adresse les plans d'exécution du pont de Kermélo. Il suggère de fournir au préfet la liste des entrepreneurs aptes à donner une bonne exécution des travaux et de procéder à une adjudication restreinte sauvegardant les intérêts du département et donnant l'assurance aux intéressés que le travail sera toujours conçu et exécuté de la façon demandée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 14 février 1913, l'agent voyer en chef met la touche finale à un volumineux dossier qu'il soumet au préfet. Les travaux sont arrêtés à la somme de 124 200 francs, soit 9200 francs de plus que le projet initial, ainsi répartis :
                                                                                        Département        68 863
                                                                                        Lorient                  35 574
                                                                                        Plœmeur              19 763

 

 

 

Le lendemain, M. Chéreau au nom de la maison Hennebique demande de pouvoir commencer les travaux le plus tôt possible.
Les concessionnaires de la maison Hennebique choisis par elle, sont prévenus qu'ils sont admis à prendre part à l'adjudication restreinte qui aura lieu à la préfecture le 28 février.

 

 

 

 

Le conseil municipal de Plœmeur réuni le 16, vote un emprunt de 20 000 francs remboursable en 30 ans au moyen d'une imposition extraordinaire de 2,36 centimes.
Lorient, décide d'un emprunt de 35 600 francs sur 20 ans et d'une imposition de 0,58 centimes.
Le conseil général souscrit également un emprunt sur 30 ans de 68 863 francs.

L'adjudication au rabais a lieu le 28 février 1913. Cinq entrepreneurs ont été convoqués.
Bonduelle-Martineau rue Bayard à Concarneau qui consent un rabais de deux francs par cent francs est déclaré adjudicataire.
Les travaux commencent aussitôt.

Le 24 juillet 1913 le président de la République, Raymond Poincaré, déclare d'utilité publique la rectification du chemin vicinal d'intérêt commun n° 92. 

avis d'enquête

 

Le 11 août, le préfet lance la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'avertissement des parties intéressées sera publié à son de trompe ou de caisse et affiché tant à la porte principale de l'église, qu'à celle de la maison commune. Il est également inséré dans "Le Nouvelliste du Morbihan" du 19 août.
L'arrêté préfectoral d'expropriation des propriétés à acquérir est pris le 13 septembre.

 

 

 

Le jury d'expropriation composé de quatre jurés venant d'Hennebont, Caudan et Guidel se réunit le 26 mars 1914. Il fixe les indemnités à verser aux propriétaires touchés :
                                                 Le Guénézan               1 738
                                                 Le Botlanne                    247
                                                 Le Guenno                   1 780
                                                 Tréhan                          2 620
                                                 Le Pogam                        143

 


 

 

 

 

La fin du pont suspendu

Le 30 mars 1914 l'agent voyer cantonal fait un rapport alarmant sur l'état du pont suspendu. En effet, le remblaiement de la rive droite du Ter pour mener au futur pont produit des mouvements dans la pile du vieux pont suspendu. La pile se dirige vers Lorient, mais la tête se couche sur Larmor. Les câbles qui raidissent les garde-corps aux appuis sont très tendus du côté de Larmor. Dans la travée côté Lorient, le garde-corps et le tablier présentent un dos d'âne très visible et une flèche vers la rade.
Nous estimons que la pile ne présente pas toute la sécurité désirable et que l'époque de la rupture ne peut pas être prévue.
Dans ces conditions, nous sommes d'avis que toute circulation soit interdite sur le pont.

1914 Arrete 2S83L'agent voyer en chef vient se rendre compte de la situation. Il la juge si dangereuse qu'afin d'empêcher tout passage, il fait enlever cinq mètres du tablier et établir des barrages en planches à chaque extrémité du pont.
Le 3 avril le préfet Roth prend un arrêté interdisant toute circulation sur le pont.

Les usagers privés de la possibilité de traverser le Ter, sont ramenés plus de cent ans en arrière. Ils réagissent aussitôt en faisant deux pétitions. 

L'une le 8 avril à l'initiative de monsieur Le Guénézan signée par 108 personnes. Elles demandent qu'une commission de personnes compétentes soit nommée d'urgence pour savoir si oui ou non le danger est immédiat et fasse le nécessaire pour assurer un passage provisoire et gratuit pour tous les piétons.

L'autre en faveur d'un passage fixe au pont de Kermélo. Les 69 signataires :
- protestent contre les lenteurs apportées à leur donner un passage au pont de Kermélo ;
- déclarent n'être pas satisfait d'une demi-mesure. Ils veulent un passage fixe ;
- demandent à monsieur le sous-préfet un pont provisoire fait avec des radeaux ou chalands.

Les démarches du sous-préfet auprès de la marine pour établir un pont flottant s'avèrent infructueuses. Tout cela est bien ennuyeux, car à marée basse, c'est-à-dire pendant de longues heures, le bateau de Lenoble ne peut faire le service et la petite plate qui le remplace en ces moments est dangereuse. 

L'administration s'active pour trouver une solution pour passer le Ter.
Jean-Marie Evanno, vétéran de la marine en retraite à Lorient moyennant un salaire de 7 francs par jour effectue la traversée des passagers jusqu'à 8 heures du soir à l'aide d'un canot lui appartenant. Il est aidé par son fils. Pour faciliter l'embarquement et le débarquement, il a été nécessaire de construire des débarcadères de fortune.

Le 22 avril 1914, le préfet Roth vient sur les lieux se rendre compte par lui-même des travaux du nouveau pont. Il considère le transbordement des piétons d'une rive à l'autre insuffisant.
L'idée d'une passerelle en bois d'un mètre de large, garnie de balustrades, est envisagée. Elle serait située en amont et latéralement à celle actuellement en usage pour les travaux de l'entreprise. 

1914 Adjudication 3O2678La stabilité du pont suspendu est très précaire et sa conservation constitue un danger pour la sécurité publique, notamment pour les ouvriers employés à la construction du nouveau pont.
La démolition immédiate de la suspension et du tablier, aussi bien que celle des supports métalliques de cette suspension s'impose.
Le 16 mai, Louis Denoël, entrepreneur à Hennebont, enlève le marché pour 310 F.

Le 27 avril 1914, Bonduelle et Martineau, déjà adjudicataires des travaux de construction du pont de Kermélo s'engagent à réaliser une passerelle en bois pour assurer le passage des piétons d'une rive à l'autre du Ter.
Le 30 l'ingénieur en chef Bidu émet des réserves quant à la sécurité de l'accolement d'une passerelle à piétons aux échafaudages instables de l'entreprise.

Le même jour, le préfet Roth soutient devant la commission départementale le projet de construction d'une passerelle en bois qui est la solution la plus avantageuse. Dès le 5 mai, elle est mise à la disposition du public.

 

Arrêt de la construction du pont

Le 1er mai 1914 l'agent voyer d'arrondissement fait un rapport sur la reconstruction du pont de Kermélo. Il rappelle les problèmes constatés au niveau de la culée du côté de Larmor du fait de la très grosse couche de vase à cet endroit. Les remblais effectués provoquant une inclinaison des pieux ont donc été arrêtés et la maison Hennebique propose de nouvelles modifications et dispositions qu'elle soumet à l'approbation du préfet.

Le préfet réagit auprès de l'ingénieur en chef. La lecture de ce dossier et de vos conclusions provoque de ma part les observations suivantes :
Des instructions doivent être adressées à l'entrepreneur et une copie à l'administration. Mais ce n'est pas à l'administration à donner des ordres aux entrepreneurs qui travaillent sous la direction et la responsabilité de la maison Hennebique.
Monsieur Bidu, une fois de plus, se décharge de l'affaire en demandant à l'agent voyer d'arrondissement de s'en occuper.

Le très mauvais état du chemin d'intérêt commun N° 92, qui de Lorient mène au pont de Kermélo, est souligné le 23 septembre par l'agent voyer Allias. En de nombreux points, l'épaisseur de l'empierrement est infime ou nulle et des ornières multiples sillonnent la chaussée.
L'agent voyer en chef lui répond de commencer par le déroctage des roches qui émergent et met à sa disposition un crédit de 300 francs.
Il parait que les prisonniers Allemands qui vont arriver à Lorient seront distribués, sur demande, dans les chantiers de travaux d'intérêt public. Leur utilisation à cette tâche serait intéressante au point de vue du prix de revient.

Alors que la construction du nouveau pont est quasiment terminée et qu'il ne reste que les accès à terminer, une fissure s'est produite à la culée côté Larmor le 3 octobre 1914. Aussitôt les entrepreneurs en avertissent l'agent voyer en chef afin qu'il prenne les mesures utiles. Il se contente de répondre qu'il se rendra sur place le 10 ou le 12, sans donner d'instruction. La fissure ne fait que s'accentuer et l'extrémité de la culée commence à s'enfoncer. L'entrepreneur télégraphie le 10 à monsieur Bidu pour lui demander à nouveau ses instructions. Ce n'est que le 13 qu'il vient se rendre compte de l'état du pont. Il estime que les remblais peuvent être continués, mais ne veut pas donner d'ordre pour parer à tout éventuel accident.

La situation s'aggravant de jour en jour, Bonduelle et Martineau écrivent à nouveau à M. Bidu qui fait répondre que le service vicinal n'avait aucune initiative à prendre en vue des dispositions que les circonstances imposaient, pour parer au mouvement anormal de la culée du pont.

Deux jours plus tard, l'agent voyer en chef se défend en écrivant au préfet. Si le service vicinal doit veiller à l'exécution stricte des dispositions prévues pour la constitution de l'ouvrage d'art et donner tous ordres nécessaires en ce sens, il ne lui appartient aucunement d'y apporter aucune modification. Dans le cas présent, c'est à l'entrepreneur de concert avec la maison Hennebique à présenter toute proposition qu'il jugera opportune pour parer à la situation actuelle.
1915 Bonduelle 3O2673

Devant une telle situation, Bonduelle et Martineau saisissent le conseil de préfecture le 29 octobre. Ils lui demandent de statuer en référé et d'ordonner :
1° faire d'urgence toutes constatations utiles afin d'établir les causes de l'accident qui se produit actuellement ;
2° exiger de l'administration vicinale qu'elle continue à assurer la direction des travaux, l'inviter à nous donner tous ordres et instructions qu'elle jugera utile ;
3° nous allouer une indemnité à établir ultérieurement, tant pour le montant des travaux supplémentaires que pour le retard apporté à l'achèvement des travaux.

 

Le conseil de préfecture statue le 2 novembre. Il sera procédé d'urgence à un constat matériel des accidents survenus dans les travaux en béton armé du pont de Kermélo.

Monsieur Le Brun pour la maison Hennebique expose à monsieur Bidu que si les instructions qu'ils ont données avaient été suivies, le mouvement du pont n'aurait pas dû se produire. Le renversement des pieux qui avait déjà commencé nécessitait des précautions minutieuses qui devaient être strictement observées.
Puis il donne des instructions à exécuter immédiatement pour préserver les parties de l'ouvrage qui peuvent l'être. Ensuite, ils examineront les travaux nécessaires pour la réparation ou même la reconstruction de la culée de Larmor.
Enfin il déplore l'attitude de l'agent voyer en chef dans cette affaire. Nous ne pensons pas qu'en vous abstenant de donner aucune indication ni aucun ordre aux entrepreneurs, vous pouviez éviter à votre administration des responsabilités qui sont encourues ou même qui seront encourues dans l'avenir.

L'agent voyer cantonal estime que la maison Hennebique est dans l'erreur car les travaux qu'elle a ordonnés, en son temps, ont été faits.

Le 10 novembre, le préfet met en demeure les agents généraux de la maison Hennebique, d'avoir à produire dans le délai de dix jours, tous les dessins et autres documents relatifs aux dispositions qui s'imposent pour assurer l'exécution du projet qu'ils ont présenté.
La semaine suivante, ils adressent au préfet leurs rapport et conclusions. Ils exposent que l'administration ne semble pas se rendre compte du rôle et des responsabilités incombant à chacune des trois parties en cause.
- Celui des agents généraux consiste à fournir sous leur responsabilité à l'administration, les plans du béton armé, avec les feuilles de détail et emploi des aciers à mettre en œuvre.
- Celui de l'administration est de faire observer par l'entrepreneur toutes les prescriptions, de donner sous sa responsabilité les ordres nécessaires à l'entrepreneur en conformité avec les plans qui lui ont été fournis et de s'assurer que les entrepreneurs ont bien exécuté et atteint le but indiqué par les plans et les prescriptions.
- Celui de l'entrepreneur est celui d'un entrepreneur au sens le plus large du mot et non pas d'un tâcheron qui se trouve couvert de toutes responsabilités. Sa compétence d'entrepreneur l'oblige à prendre toutes les mesures subsidiaires utiles pour la bonne réalisation des ouvrages.
Puis ils rejettent entièrement la situation actuelle sur les carences du service vicinal qui sont longuement dénoncées une à une et conseillent la démolition de la culée côté Larmor.

Le 6 décembre 1914, l'entreprise Bonduelle-Martineau fait savoir que quant à la démolition de la culée et à sa reconstruction, étant donné le cas de force majeur créé par l'état de guerre, qui nous prive de notre personnel et qui nous a mobilisé nous-même; nous avons le regret de ne pouvoir pour le moment effectuer la direction de ce travail.

Le 20 décembre, le vice-président du conseil de préfecture écrit au préfet : Il me semble que cette affaire est aiguillée dans une mauvaise voie. M. Bidu considère les entrepreneurs Bonduelle-Martineau comme les délégués de la maison Hennebique, tandis qu'il résulte des pièces que j'ai eu sous les yeux lors de l'ordonnance de référé, qu'ils sont indépendants de cette maison. Bien différente est la responsabilité d'Hennebique vis-à-vis du département. Cette responsabilité est entière, grâce à la garantie donnée.

L'agent voyer en chef répond point par point, avec toujours les mêmes arguments, aux griefs formulés un mois plus tôt par les agents généraux de la maison Hennebique.

Alors qu'un cultivateur s'est noyé en passant sur la passerelle, la presse locale dénonce les conditions faites aux piétons.

Il y a bien incurie de la part de l'entreprise ou de l'administration. Des deux côtés, la passerelle provisoire est bordée de fondrière. Une épaisse couche de terre glaise ou de boue gluante empêche presque les piétons de s'y aventurer. A l'heure de la pleine mer, on ne peut passer d'une rive à l'autre sans prendre un bain de pied ou s'exposer à toutes sortes de périls.
Et à notre tour, nous devons dire que si le brevet d'ingénieur mène à tout, il ne couvre pas tout et, pour nous borner au pont de Kermélo, il est surprenant que de nouveaux malheurs ne se soient pas déjà produits par ce temps de tempête.
                                                                                                                     Le Nouvelliste du Morbihan 3 janvier 1915

Le préfet demande si l'accès de la passerelle est aussi défectueux que l'indique le journal. L'agent voyer cantonal avance une explication. Samedi 2 janvier, il y a eu une forte marée qui poussée par la tempête atteignit la hauteur des plus grandes marées d'équinoxe. Pendant une demi-heure, les vagues balayèrent l'extrémité Larmor de la passerelle.
Les abords de la passerelle sont boueux en raison des pluies persistantes et de la grande circulation des piétons bien que l'entrepreneur fasse ébouer presque journellement. La description faite par le journal est outrée et tendancieuse.

Les 4 et 15 mars 1915, l'agent voyer en chef informe le préfet que les travaux de déblais et remblais à Kermélo sont arrêtés, suite à l'instabilité de la culée du pont. Par ailleurs, eu égard à la mobilisation du personnel de Bonduelle et Martineau, la démolition de la culée ne peut être poursuivie et il n'est pas possible de l'y contraindre pour le moment.

"Le Nouvelliste du Morbihan" consacre à nouveau un article au pont de Kermélo dans lequel il fustige le rôle de l'administration.
"Tout le mal vient de cette éternelle plaie du rond-de-cuirisme administratif qui ne désarme jamais. Et parce que les deux directions chargées des travaux de reconstruction – entreprise et ponts et chaussées – ne peuvent se mettre d'accord, se renvoyant la balle au bond, se déchargeant l'une sur l'autre des responsabilités encourues."

Le 24 mars, l'agent voyer en chef répond à une note du préfet relative aux conclusions du conseil de préfecture. Je n'aperçois pas que le service vicinal ait à présenter sa défense alors qu'il n'est absolument pour rien dans la conception du projet qui lui a été imposé.

Le 19 août Bonduelle et Martineau adressent une lettre recommandée à l'agent voyer d'arrondissement pour lui signaler que la passerelle pour piétons ne sert pas seulement à la destination pour laquelle elle a été construite. En effet, un capitaine l'a franchie à cheval, ainsi qu'un capitaine d'artillerie à bicyclette. Dans ces conditions, ils émettent toutes réserves sur l'entretien de la passerelle.

Le 4 octobre, un nouvel incident est révélé par Bonduelle Martineau. Une corvée de soldats a été employée aux abords du pont au repêchage des plates coulées lors de l'exercice de passage de la rivière. Il a été nécessaire que les soldats fassent des manœuvres sur les charpes des pieux et passent par-dessus la palissade de la passerelle. Ils protestent auprès de l'agent voyer.
Celui-ci répond que les faits se sont produits hors de la passerelle et le garde-corps franchi se trouve en bordure des terrassements sur la rive droite. La passerelle n'a subi de ce fait aucune dépréciation. La protestation et le dédommagement éventuel est affaire entre les entrepreneurs et l'administration de la guerre.

Le 12 octobre, nouvelle réclamation de Bonduelle Martineau.
Le perré en maçonnerie commencé du côté Lorient a été démoli par suite des fortes eaux de cette grande marée. Pour éviter que les dégâts s'accentuent nous faisons réparer la brèche et vous prions de nous tenir compte de ce travail.
Aussitôt, l'agent voyer cantonal répond qu'ils doivent l'entretien des modifications apportées de leur propre initiative. Leur demande n'est susceptible d'aucune suite.

Le 16 novembre 1915, nouvelle lettre recommandée à l'agent voyer pour l'informer que la tempête a causé de graves avaries à la passerelle provisoire et à ses perrés d'accès.
Ils vont faire les réparations d'urgence. Mais nous protestons contre l'entretien de cette passerelle que nous prétendons ne plus devoir depuis que les travaux sont arrêtés. Il y a dans le cas actuel un fait indépendant de notre volonté qui justifie le cas de force majeure et nous vous prions de tenir compte des dépenses que nous allons faire.
L'agent voyer estime que leur demande est irrecevable parce que le cas de force majeure ne peut être invoqué en leur faveur ; les mesures qu'ils ont prises pour exécuter leur marché étant insuffisantes et dénotant une imprévoyance incontestable.

 

Négociations et reprise des travaux

Le 3 mai 1916, le conseil de préfecture est saisi d'une nouvelle requête présentée par Bonduelle et Martineau ayant pour avoué maître Latouche à Lorient. Ils demandent de statuer sur les revendications suivantes :
1° allocation d'une indemnité de 10 000 F pour retard dans la présentation du décompte annuel de 1914.
2° majoration du prix pour l'extraction et le transport des déblais du fait de la différence entre la nature du terrain trouvé dans une partie (rocher) et celle établie par les sondages.
3° exonération des frais d'entretien de la passerelle provisoire depuis la mobilisation qui a suspendu les travaux et de toute responsabilité en cas d'accident.

M. Bidu, agent voyer en chef, est chargé par le préfet de lui fournir les renseignements nécessaires à sa réponse.
1° il n'est rien dû à l'entrepreneur qui a reçu des acomptes jusqu'à concurrence de 70 000 F représentant le montant total des travaux exécutés,
le cahier des charges précise que "Les déblais sont payés à un prix unique quel que soit la nature des terrains rencontrés et le mode d'extraction employé".
enfin concernant les frais d'entretien de la passerelle, rien n'autorise à y donner satisfaction. Le texte de la soumission est formel.

Bonduelle-Martineau contestent ces arguments. 

Le 20 mai 1916, le conseil municipal de Lorient émet le vœu que les travaux soient repris dans le plus bref délai possible et que la circulation normale soit ainsi rétablie pour le plus grand bien des populations de Lorient et de Plœmeur dont les intérêts sont gravement lésés par la prolongation d'une semblable situation.
Louis Nail, sous-secrétaire d'état de la marine marchande, sollicité par ses compatriotes Lorientais, intervient dans le même sens auprès du préfet.

Le préfet animé par le désir d'en finir avec les travaux de reconstruction propose de procurer une main d'œuvre d'internés civils "austro-allemands". De leur côté, Bonduelle-Martineau vont s'enquérir du personnel technique nécessaire car étant encore à la disposition de l'autorité militaire, ils ne peuvent assumer la direction des travaux.
Cependant, nous déclinons d'avance toute responsabilité au cas où l'administration croirait devoir maintenir le projet primitif. Sous cette réserve, nous sommes toujours à l'entière disposition de l'administration pour l'exécution des ordres qu'elle voudra bien nous donner.

Quelques jours plus tard, l'agent voyer en chef fait savoir au préfet qu'il ne voit aucune objection à la reprise des travaux par Bonduelle-Martineau s'il dispose des moyens nécessaires dont il se déclarait dépourvu il y a 18 mois.

Le 9 septembre le préfet, la maison Hennebique et l'entrepreneur Bonduelle-Martineau, tout en faisant chacun en ce qui concerne les intérêts des trois parties en causes toutes réserves de droit, se sont mis d'accord sous réserve de l'approbation du conseil général.
- Au point de vue de la marche des opérations :
                        1° on procédera à la démolition de la culée côté Larmor.
                        2° on envisagera le rétablissement d'une nouvelle culée par les procédés les plus appropriés au terrain.
                        3° on terminera l'ouvrage en rétablissant la seconde travée.
- Au point de vue de l'exécution :
                     Ces travaux seront confiés par extension du marché de la maison Bonduelle-Martineau qui pourra avec l'autorisation de l'administration sous-traiter tout ou partie des travaux.
- Au point de vue des crédits nécessaires :
                        La dépense résultant de ces travaux sera couverte par un crédit spécial à ouvrir par le conseil général.

Lors de la séance du conseil général du 11 septembre, le préfet Grimaud rend hommage à son prédécesseur le préfet Roth, mort au combat à la tête de sa section le 3 juillet à l'âge de 37 ans.
Pour ce qui est du pont, il serait de bonne administration de ne pas laisser plus longtemps les choses en l'état.
Monsieur Brard, au nom de la 2e commission, rappelle la situation et le fait que les trois parties se refusent énergiquement à endosser la responsabilité de cet état de choses. Toute tergiversation ne peut que compromettre la solidité de l'ouvrage tout entier et rien ne serait plus imprudent que de baser le maintien du statut quo sur l'éventualité d'un procès dont l'issue lointaine nous obligerait à envisager un ajournement indéfini du projet complet.
Le préfet reçoit les pouvoirs nécessaires pour immédiatement mener à bien la reconstruction.

Cette décision prise à l'encontre de l'avis de monsieur Bidu, provoque sa demande de mise à la retraite à compter du 30 septembre. Pour le remplacer, le préfet prend l'initiative de nommer aussitôt monsieur Lebert, actuel ingénieur en chef des ponts et chaussées.

Joseph Morvan soldat de la classe 1898, affecté au 85e territorial à Vannes, qui a été blessé au front, vient de rentrer au dépôt. Bonduelle et Martineau interviennent auprès du préfet afin qu'il soit mis à leur disposition pour diriger le chantier.

Dès le 29 septembre, le conseil de préfecture, désigne monsieur de Larminat, directeur des travaux hydrauliques de la marine à Lorient, à l'effet de procéder aux constatations afin de fixer les responsabilités encourues.
Il signale que l'on pourrait avoir des ouvriers du camp de concentration de Sarzeau, 3 ou 4 cimentiers, des forgerons, des manœuvres, des terrassiers.
Un ordre de service est adressé à l'entrepreneur pour qu'il soit en mesure de commencer les travaux de démolition le lundi 16 octobre.

 


 

 

 

 

Vers la fin du litige

Fin octobre 1916, l'ingénieur en chef des ponts et chaussées Lebert estime que pour la démolition de la culée, le travail ne durera pas plus d'un mois et qu'il sera terminé vers le 15 novembre. Il pense qu'il est imprudent de reficher des pieux dans le terrain mouvant de Kermélo et envisage un autre mode de fondation à l'air comprimé au moyen d'un caisson dont dispose la maison Kessler. Ce procédé ne laisse place à aucun aléa et il est regrettable que l'on n'ait pas songé à l'utiliser en 1914.
Nous n'envisagerions la solution de fondation par pieux que si la maison Hennebique arrivait à un marché engageant sa responsabilité d'une façon absolue sans qu'il lui soit possible d'ergoter comme elle le fait actuellement.

Le coût est évalué à 96 040 francs, soit 40 000 de plus que le budget alloué pour la reconstruction. Néanmoins, devant l'urgence le préfet demande à la commission départementale de l'autoriser à traiter directement avec la maison Kessler et Gaillard. 

 

M. Edouard Corfmat confirme réserver en son magasin 50 000 kilos de ciment pour livraison au pont de Kermélo.

M. Lebert fait le point sur le chantier le 29 décembre 1916. La culée défectueuse est démolie et la grosse opération consiste maintenant à avoir une fondation solide. Il n'y a qu'une solution possible, c'est d'avoir recours à une fondation à l'air comprimé.
Il faut compter deux mois et demi pour le fonçage d'un caisson sur une profondeur de 13 mètres. Nous proposons d'une façon ferme de traiter directement avec la maison Gaillard & Kessler à qui nous donnerons l'ordre de prendre de suite en charge les 50 tonnes de ciment que nous avons fait réserver par M. Corfmat.

Le lendemain, l'agent voyer en chef s'adresse à la maison Hennebique. Prenez-vous entièrement à votre charge et quoi qu'il arrive la responsabilité de la conception et de l'exécution (des fondations en pieux) au moyen d'un prix à forfait unique ? Suivant votre réponse que je demande aussi nette que possible, monsieur le préfet prendra la décision pour la continuation immédiate des travaux.

Devant son refus de donner une réponse immédiate, M. Lebert répond sèchement : depuis plus de deux ans que l'accident est arrivé, depuis quatre mois où il est convenu que l'on va rétablir la partie démolie du pont, vous devez avoir une solution à proposer ou bien vous n'en aurez jamais.

Fin janvier 1917, monsieur Le Brun pour la maison Hennebique, adresse une lettre à l'agent voyer. Il ne partage pas du tout son avis. Nous ne redoutons pas les responsabilités et lorsqu'un projet sort de nos bureaux nous sommes certains de pouvoir le faire mener à bien, à moins que, comme c'est le cas ici, on ne fasse le contraire de toutes les règles de l'art. Et il conclut il y a, vous le voyez beaucoup de raisons pour que nous n'acceptions aucune des éventualités ou suggestions de vos lettres.

Le 3 février MM. Lebrun et Lebert sont reçus par le préfet. La maison Hennebique soutient que son projet est exécutable et rejette la fondation au moyen d'un caisson à air comprimé. L'entente ne pouvant se faire, le préfet informe Bonduelle-Martineau de sa décision : la résiliation du marché entre eux et le département pour l'ensemble du projet et le paiement de la partie des ouvrages encore utilisables.
Bonduelle-Martineau ne peuvent accepter une telle décision.

Le 3 mars a lieu à la préfecture une conférence à trois, réunissant la maison Hennebique représentée par M. Lebrun, M. Bonduelle-Martineau, et le préfet. Un projet de transaction est adopté sur les bases suivantes :
Hennebique et Bonduelle acceptent la résiliation de leur contrat avec le département moyennant le paiement des travaux pris en attachement par le service vicinal soit 78 600 francs. La différence avec ceux réellement effectués par Bonduelle est partagée entre Hennebique, Bonduelle-Martineau et le département.
Ainsi le département recouvre sa complète liberté d'action.
Cette solution résout par avance toutes les instances auxquelles le département était exposé et qu'il n'était pas certain, loin de là, de voir terminer à son avantage. Elle lui permet de terminer le pont dans les meilleures conditions.
Mais au final, le pont aura coûté deux fois plus cher que les prévisions initiales.

 

Fin des travaux

Le 31 mars 1917, monsieur Jammet pour le compte de Gaillard-Kessler adresse à l'ingénieur en chef deux bordereaux. L'un indique le taux normal et courant des salaires des ouvriers, l'autre les prix des matériaux nécessaires à l'exécution des travaux.
En raison de l'augmentation constante de ces prix, nous nous voyons dans l'obligation de demander à ce que toute augmentation pouvant survenir sur ces prix nous soit remboursée mensuellement au fur et à mesure de l'exécution des travaux.
Le marché préparé par l'ingénieur en chef est évalué à 90 000 francs.

Début août, monsieur Le Halpert, agent voyer cantonal, informe l'agent voyer en chef de l'évolution des travaux : Le caisson s'enfonce normalement en restant constamment horizontal.
Un mois plus tard, il fait un point détaillé sur la reconstruction du pont. Il reste à exécuter la culée en maçonnerie, la travée en béton armé reliant la pile à la nouvelle culée, les terrassements et l'empierrement de la chaussée.
Il pense qu'il pourra être livré à la circulation avant l'été 1918.

Le 30 janvier 1918, l'entreprise Nazat de Lorient écrit aux forges de Trignac (Loire-Inférieure) Veuillez m'expédier pour un service intéressant la Défense Nationale (construction d'un pont) 25 barres d'acier carré de 40 mm et 3 barres de 50 mm. Elle joint une attestation de l'agent voyer cantonal certifiant l'extrême urgence de cette commande pour sauvegarder les intérêts nombreux de toute la population de Lorient et d'une grande partie de celle de Plœmeur. Copie est remise en main propre à M. Nail, ministre de la justice et député de Lorient.

Les travaux ont pris du retard depuis le mois de décembre et les crédits alloués ne suffisent plus du fait de l'augmentation des prix de la main d'œuvre et des matières premières à cause de leur rareté. Le ciment est passé de 100 F la tonne il y a 18 mois à 206 F actuellement. Les ouvriers étaient payés de 4 à 6,50 F la journée suivant les spécialités et le sont maintenant de 6 à 9,50 F.
Il manque 85 000 F pour terminer les travaux. On pourrait continuer les travaux d'urgence en escomptant un vote favorable du conseil général lors de sa plus prochaine session.

Le 21 mai, le ministre de l'intérieur adresse aux préfets une circulaire leur demandant les quantités de chaux et de ciment qui leur paraissent nécessaires pour donner satisfaction aux divers services départementaux et communaux. Pour le pont de Kermélo, le préfet demande 10 tonnes par mois pendant 3 mois. Mais le directeur du Génie l'informe qu'il n'est pas possible de lui donner satisfaction.
1918 Ministere 3O2678Début juin, l'ingénieur en chef passe une nouvelle commande de 25 tonnes de ciment.
Il précise que le rétablissement du pont intéresse toute la circulation au sud de Lorient, notamment pour le champ de tir de l'infanterie et demande l'appui de monsieur Nail, ministre de la justice. A la fin du mois, le ministère de l'intérieur écrit au Garde des Sceaux que les deux commandes ont été transmises au service des ciments. La première vient d'être rappelée à ce service avec prière d'en assurer la prompte livraison.

Quelques jours plus tard, Gaillard & Kessler signalent à leur représentant local, qu'il leur est impossible de trouver les fers ronds dont il a besoin. Ils suggèrent de demander à l'administration de les lui fournir sur le contingent qui lui est attribué en forges.
Le directeur des constructions navales demande que des recherches soient faites en vue de lui donner satisfaction. Cette demande est officialisée par un courrier de l'ingénieur en chef au directeur des constructions navales. Pour la construction de la travée démolie du pont de Kermélo, le service vicinal est très embarrassé pour se procurer les fers nécessaires à la reconstruction des armatures secondaires.
S'il vous était possible de céder au service vicinal tout ou partie des barres nécessaires, vous nous rendriez un très grand service.

L'entreprise Vernery, chargée de faire les pierres de taille écrit le 8 juin au préfet. Vous pouvez être assurés que malgré les grandes difficultés que j'ai pour exécuter en ce moment un pareil travail, je vais faire le nécessaire pour en hâter l'achèvement.
Le 12, monsieur Le Halpert se rend à Pontivy pour voir la pierre et en rend compte.
J'ai examiné les gabarits des corbelets qui se trouvaient sur le chantier, tous sont conformes aux dessins. Un ouvrier a fait sonner la pierre devant moi, elle rend un son clair sous le marteau et montre bien qu'elle n'est pas gélive. Elle parait en tous points excellente.
M. Vernery m'a assuré que dans 15 jours tout serait prêt. Dans 8 jours, il écrira à M. Marcesche d'envoyer un bateau pour les prendre, si bien que dans 3 semaines toute la pierre pourra se trouver à Kermélo.

Le 6 juillet, une nouvelle lettre du ministère de l'intérieur au Garde des Sceaux l'informe que les deux commandes de ciment ont été autorisées, mais qu'en raison des difficultés actuelles de transport la livraison peut subir un retard important.

La commande de barres d'acier faite début juin aux constructions navales n'est toujours pas honorée. Finalement, le 9 août l'agent voyer en prend livraison à l'arsenal.

Le 17 août, le préfet intervient auprès du ministère de l'armement et des fabrications de guerre pour appuyer la commande passée, aux forges d'Hennebont, pour 850 kg de bandes de tôles indispensables à l'achèvement du pont.
Le 27 août 1918 les établissements Gaillard-Kessler signent une nouvelle soumission pour la construction du tablier en béton armé de la travée rive droite et l'achèvement des travaux, à la condition que tous les matériaux nécessaires soient à pied d'œuvre et qu'aucun arrêt ne sera apporté jusqu'à la fin des travaux.

Le 5 septembre, l'agent Le Halpert fait le point : Après avoir été ralentis pendant quelques mois les temps derniers pour défaut de matières premières, les travaux de reconstruction viennent de reprendre une nouvelle vigueur.
En ce moment les maçons travaillent à l'élévation de la culée construite l'an dernier et à la pose sur cette culée des corbelets en pierre de taille, nécessaires à lui donner la largeur de 5,80 m sous trottoirs que doit avoir l'ouvrage.
En résumé, nous pouvons dire que tous les travaux restant à exécuter peuvent être achevés dans un délai de trois ou quatre mois et le seront si, comme il y a lieu de le croire, l'arrivée du ciment ne nous retarde plus et si les intempéries de l'hiver ne nous obligent à suspendre quelque temps la fabrication du béton.

En réponse à une lettre anonyme se plaignant de l'arrêt des travaux, M. Lebert, ingénieur en chef et agent voyer en chef, écrit : Les travaux de Kermélo ont été poursuivis aussi activement que les approvisionnements l'ont permis, mais nous n'avons pas encore reçu le ciment nécessaire pour l'achèvement des travaux, bien que la commande soit du 6 juin 1918. L'hiver arrive et cela ne va pas faciliter les travaux, quand la pénurie de ciment a empêché de profiter du beau temps.

Au début de l'année 1919 la presse se fait l'écho de la violente tempête qui s'est abattue sur la région de Lorient après plus de 40 jours de pluie continue. Le baromètre est descendu jusqu'à 726 !
"Le Nouvelliste du Morbihan" soulève à nouveau le réel danger qu'occasionne chaque jour et surtout la nuit, le passage des piétons sur la frêle et branlante passerelle de trois planches, obligeant parfois à se déchausser quand elle est recouverte par la mer. 

Le jour même, une note préfectorale s'inquiète de cette situation : ne pourrait-on pas faire à cette passerelle les réparations les plus indispensables ? Des accidents sont à redouter. . .
Mais une fois de plus, l'administration répond que comme d'habitude le Nouvelliste exagère abondement et atteste les déclarations, mêmes grossies, qui lui sont faites.

M. Allias pense que le travail peut être achevé fin février et que l'ouvrage pourrait être livré aux piétons le 15 mars et aux véhicules le 15 avril.

 

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Reconstruction de la travée rive droite avec ci-dessus, au premier plan, la passerelle en bois réservée aux piétons.

 

Monsieur Lebert, ingénieur en chef des ponts et chaussées et agent voyer en chef a mené à bien la mission qui lui avait été confiée. Il est remplacé par monsieur Verrière.

Le pont est livré au passage des piétons le 15 avril 1919.

En juin, après avoir rappelé toutes les vicissitudes qui ont affecté la reconstruction du pont, le préfet demande au conseil général d'inscrire à son budget la somme de 135 000 F nécessaire à son complet achèvement.

Le 28 juin, en présence du préfet du Morbihan, du sous-préfet, des maires de Lorient de Plœmeur, de l'ingénieur en chef des ponts et chaussées, de l'architecte municipal, des agents voyer cantonal et d'arrondissement, on procède aux épreuves de résistance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                1° Epreuves par poids mort.
L'ouvrage entier a été chargé de gueuses de fontes constituant un poids mort de 300 kg par m² de tablier, trottoirs compris, soit une charge totale de 68 tonnes. Les résultats sont consignés dans un tableau pour chaque travée.
                2° Epreuves par poids roulant
On disposait de deux files de véhicules à engager simultanément en sens contraire. La file aval comprenait 2 camions à 2 chevaux portant 6000 kg tare comprise, 1 rouleau compresseur de 11 tonnes, 1 auto camion de 6,3 tonnes, tare comprise.
La file amont comprenait 3 camions à 2 chevaux portant 6000 kg, 1 auto camion de 6000 kg.
Les trottoirs étaient restés couverts de 300 kg par m².
Les deux files se sont engagées à 15 h 15 sur l'ouvrage. Le convoi s'est arrêté en entier sur le pont, sauf un attelage côté amont qui n'a pas été engagé. Il est resté jusqu'à 16 h dans cette position, les deux travées couvertes sans qu'on puisse le faire circuler. Ce qui représentait une charge de 69,3 t. Le dégagement a eu lieu véhicule par véhicule.
Les indications des appareils laissent apparaître des résultats très satisfaisants.

Désormais les véhicules autos et hippomobiles franchissent le pont gratuitement.

Depuis le 14 décembre 1906, date de la présentation du premier projet de construction d'un pont fixe en remplacement du vieux pont suspendu, il aura fallu attendre 13 ans pour qu'un nouvel ouvrage soit réalisé. Son coût initialement prévu de 124 200 F, aura finalement été 3 fois plus élevé : 373 303 F. Il a été financé par :
                                                                                      Le département pour      315 043 F
                                                                                      Lorient pour                      37 453 F
                                                                                      Plœmeur pour                  20 807 F

Le 24 septembre 1919 l'agent voyer procède à la réception définitive des travaux de fondation à l'air comprimé exécutés par les établissements Gaillard-Kessler.

Un an plus tard, le 15 octobre 1920 il est procédé à la réception définitive de la réfection des travaux de construction de la culée rive droite et de l'achèvement des terrassements sur une longueur de 347,95 m.