Bisson, nouveau propriétaire

 

 

Le 9 vendémiaire an V (30 septembre 1796) il est procédé à la vente de la verrerie par soumission.

L'acte de soumission comporte une description très précise des biens vendus constitués de deux parties : la verrerie neuve et l'ancienne verrerie. De toute évidence, la verrerie n'a pas fonctionné depuis l'arrestation de Droneau en 1772, et elle tombe en ruine.

La verrerie neuve
D'ouest en est, on trouve :
Une usine de verrerie dite verrerie neuve composée de ses fourneaux, caves, grilles, piliers et autres compartiments nécessaires, mais le tout dans un délabrement absolu. La maçonne anguillée en plusieurs parties, la couverture a très grand jour dans toutes ses parties ce qui menace d'un encombrement prochain occasionné par la dégradation de la charpente et son exposition à l'intempérie des saisons. Cinquante-huit barres de fer et outils, cinquante cannes à souffler les bouteilles, divers ustensiles en bois avec un soufflet de forge, le tout exposé à l'air depuis plusieurs années. Dans la partie nord, attenant à la verrerie, un puits couvert d'une voute en pierre de taille.
Un logement en appentis de deux pièces avec un grenier au-dessus auquel on accède par un escalier intérieur en bois. Le tout couvert en ardoises. Devant, au nord, une cour.
Un atelier, contenant trois fourneaux en ruine, couvert en ardoises, lambrissé en forme de voute faite de lattes et mortier de bourre. Devant, une cour et un petit magasin en ruine dont il ne reste que les murs.
Un hangar en appentis couvert en ardoises, sous piliers en bois, ouvert sur le jardin en mauvais état et sans culture.
Un magasin en appentis couvert en tuiles dont il ne reste que quelques vestiges. La plus grande partie de la toiture, crevée, est tombée à l'intérieur. Devant se trouvent les ruines d'une maison contenant un puits couverte en ardoises, et d'un petit magasin, ainsi qu'une espèce d'écurie ou de crèche couverte en tuiles.
Tous ces édifices en très mauvais état depuis plusieurs années qu'il n'est pas possible d'en donner autres plus grands détails, les matériaux en existant ne valant pas les frais de démolition et de transport.
Ces constructions forment un ensemble de 117 m de long sur 18 de large, établi sur un terrain sablonneux contenant quarante-sept cordes.
Ce bien est estimé à un revenu annuel de quatre cents francs qui multipliés par dix-huit donne en capital la somme de sept mille deux cents francs.

L'ancienne verrerie
Elle est située au levant de la précédente dont elle est séparée par un chemin public. Des vestiges et décombres d'une ancienne usine de verrerie dont on ne peut donner de détails n'étant qu'un monceau de ruine dont il reste seulement quelques parties de murs.
Autour de la cour, on trouve des logements également en ruine. Ceux encore un peu praticables consistent en cinq chambres basses avec quatre cheminées. Il existe également un appentis couvert en ardoises avec rez-de-chaussée et grenier.
Cette ancienne verrerie forme un ensemble estimé en capital à mille huit cents francs.

Les dimensions des bâtiments étant mentionnées dans l'acte de soumission permettent de dresser un plan précis des verreries en 1796.

Les experts Auger pour l'administration centrale et Le Guevel pour les citoyens Bisson et Moligny ont estimés les biens à 9000 francs. Messieurs Magloire Laurent Bisson et François Romuald Alexandre Moligny en deviennent acquéreurs pour cette somme.

Magloire Bisson est alors âgé de 41 ans, originaire du village de Agon dans la Manche. Il est négociant à Lorient, veuf de Marie-Anne de Remond du Chelas décédée lors de la naissance de son fils Hippolyte le 3 février 1796. Celui-ci, futur lieutenant de vaisseau, s'illustrera pendant la guerre d'indépendance grecque le 6 novembre 1827 en se faisant sauter avec le Panayoti qu'il commandait, plutôt que de se rendre.

La remise en état est laborieuse et compliquée par une succession d'événements pénalisants :
- La perte en mer d'un bateau dont Bisson était armateur ;
- Le départ de Moligny, officier supérieur, contraint de lui vendre ses parts en 1798 ;
- Le décès de son gérant en juin 1801. Bisson confie alors la responsabilité de l'usine au maître potier qui se montre incompétent dans cette fonction et laisse s'engluer les creusets. Me voilà donc obligé de faire éteindre le feu et de renvoyer tous mes ouvriers. Une verrerie sans directeur est absolument comme un bâtiment sans capitaine. Tout le monde veut commander, personne ne veut obéir.

Après remise en état du matériel, la production reprend, toujours marquée par des difficultés d'approvisionnement en soude provenant des Glénan, malgré des contrats avec M. de Kergos.

L'annuaire statistique, civil, maritime et commercial du Morbihan pour l'an XII (1804) nous donne un aperçu du fonctionnement de la verrerie du temps de M. Bisson.
"La verrerie du Kernével près L'Orient était abandonnée depuis plus de trente ans et ses édifices étaient absolument en ruine, quand en l'an V M. Bisson fit l'acquisition de cet établissement et le fit réparer à grands frais.
"On y faisait de très belles bouteilles et des verres à vitre qu'on appelle plats. A peine la manufacture commençait-elle à travailler que M. Bisson perdit le directeur de ses travaux. Après la mort de leur chef, les ouvriers livrés à eux-mêmes négligèrent leur travail et en peu de jours, le propriétaire de cet établissement vit déchoir toutes ses espérances par la perte de tous ses pots ou creusets : ses travaux furent suspendus, la guerre survint ensuite et il ne put continuer cette fabrication. Cette manufacture occupait à cette époque de 36 à 40 ouvriers. On y faisait deux sortes de bouteilles, celles forme de Rouen coûtaient 30 francs le cent, et celles façon de Paris ou de Bordeaux, 28.
"Le manufacturier, manquant du charbon nécessaire à ses opérations, était obligé de brûler du bois. Il en consommait environ 8 cordes par jour.
"On faisait journellement de 1000 à 1200 bouteilles et l'équivalent en verre à vitre.
"En temps de guerre, on tirait de Paris la terre à pot, et en temps de paix on la faisait venir de Forges, à neuf lieues de Rouen.
"On faisait faire la soude aux iles des Glénan, à 9 ou 10 lieues de L'Orient, avec du varec ; cette soude était de première qualité.
"A Belle-Ile et dans les environs de L'Orient, on s'approvisionnait de charrées ou cendres lessivées. Quant au sable, il se trouve au pied même des murs de l'établissement.
Tels sont les matériaux nécessaires pour activer cette manufacture et les moyens de se les procurer.
"Cette manufacture, située sur le bord de la mer, serait de la plus grande utilité pour le canton, si elle avait toute son activité, mais il faudrait que le gouvernement soutienne l'industrie du propriétaire et secondât son émulation.
"Un encouragement serait de lui accorder, la faculté de couper des bois à prix modérés. […] il désirerait jouir du privilège qu'avaient ses prédécesseurs, celui d'avoir la franchise du charbon de terre nécessaire à sa fabrique."

 

Puis Lorient perd le privilège du commerce avec les Indes. Les débouchés de la verrerie pour ses bouteilles, dames-jeannes et verrines se font de plus en plus rares.

La verrerie cesse de fonctionner à Pâques 1811, sans avoir connu la prospérité d'antan, mais Bisson a toujours l'espoir de relancer son activité.

 

Magloire Laurent Bisson décède à Lorient à l'âge de 67 ans le 6 septembre 1823. Sa veuve, Marie Marguerite de la Roche Poncié renonce à la communauté par acte du 24 novembre 1823, mais se réserve le service d'une rente viagère de 2000 francs prévue par son contrat de mariage du 12 janvier 1805.
Les deux enfants de Magloire Bisson sont donc les seuls héritiers : Hyppolite, enseigne de vaisseau et Marie Antoinette sa demi-sœur, mineure émancipée de justice sous la curatelle de Jean Joseph Lavaud, capitaine de frégate en retraite. Ils sont représentés par Me Ollivier.

Par jugement du 24 décembre 1823, ils font procéder à la vente des immeubles de leur père composés :
                 - de l'usine verrerie du Kernével ;
                 - d'une maison rue Poissonnière à Lorient, servant de sous-préfecture, louée 1200 F ;
                 - de la terre et dépendances de Saint-Gildas en la presqu'île de Rhuys ;
                 - deux pièces de terre à Agon, sa commune natale.

Le cahier des charges nous donne une description précise de la verrerie à cette époque :
Article premier
Une maison de maître composée au rez-de-chaussée d'une chambre à feu carrelée, éclairée d'une fenêtre et une porte vitrée ayant une armoire d'attache et une cheminée à jambage et tablette en taille. Elle communique avec un cabinet également carrelé. Une autre chambre pavée en petit blocage avec une porte ouvrant sur le jardin potager. Une cuisine. Cette maison est occupée par M. Gourden.
Au premier étage desservi par un escalier extérieur en pierre, une chambre éclairée par deux fenêtres donnant sur le jardin, une cheminée à jambage avec tablette en marbre, une armoire d'attache. Un cabinet. Un grand appartement à feu avec deux armoires, deux fenêtres.
Sur le tout est un grenier desservi par une trappe intérieure, éclairé par deux lucarnes.
Cette maison couverte d'ardoises est estimée 3150 francs.

Article deux
Une cour dans laquelle on trouve un puits, un fruitier, une cage à latrine, un poulailler. Le tout évalué 300 francs.

Article trois
Un magasin sur terrasse couvert en tuiles, estimé 700 francs.

Article quatre
Un hangar couvert en ardoises, estimé 750 francs.
Un jardin planté de fruitiers 500 francs.

Article cinq
Un terrain en partie sous pâture et sous légumes cerné de murs, d'une contenance de 15 ares 72 centiares.
Deux autres petites parcelles cernées de murs partiellement tombés.
Le tout évalué 1350 francs.

Article six
Le bâtiment dit l'usine de la verrerie composé d'une cave dans laquelle sont quatre galeries voutées conduisant chacune à une ouverture extérieure aux quatre aires de vent et dans l'intérieur aboutissant au centre en forme circulaire où était autrefois le cendrier et au milieu duquel sont deux piliers carrés soutenant les barres de trémie sur lesquelles repose la plateforme portant le fourneau au rez-de-chaussée et dont il sera parlé ci-après. Pour desservir cette cave, un escalier extérieur descendant par treize marches en taille à un dépôt ayant un fourneau en ruine et un puits […]
Dans l'intérieur, entre quatre forts piliers tout en taille, le fourneau remis à neuf avec ses ouvriers. Dans les angles, trois fourneaux pour la recuite tout en briques.
La couverture en ardoises compte deux lucarnes.
En dehors, un petit enfoncement en tuiles servant de latrine, et un autre ni fermé ni couvert destiné pour fausse d'aisance.
L'ensemble estimé 10 200 francs.

Article sept
Un petit bâtiment à feu dans lequel est une cheminée, servant actuellement d'écurie, en appentis couvert en tuiles. Estimation 150 francs.

Article huit
Une cour estimée 250 francs.

Article neuf
Un petit terrain estimé 200 francs.

Article dix
Un grand bâtiment en appentis couvert en ardoises avec trois lucarnes, composé au rez-de-chaussée d'un appartement ou magasin à soude et un autre appartement dit la forge. Un escalier en bois pour communiquer à deux greniers.
Le tout estimé 750 francs.

Article 11
Un bâtiment dit le magasin, couvert en ardoises avec quatre lucarnes. A l'intérieur, les ruines d'un fourneau. Estimation 1500 francs.

Article douze.
Une cour 50 francs,
Un petit enclos sous pâture 100 francs,
Un bâtiment dit la remise avec couverture en tuiles, contenant quatre fourneaux en mauvais état, évalué 350 francs.

Article treize
L'emplacement d'une ancienne verrerie sous laquelle sont également des galeries voutées et en pierre conduisant à un centre où étaient des barres de trémie actuellement sous un petit jardin où existent encore quatre piliers en pierre de taille et entre lesquels était le fourneau. Le dit jardin planté de fruitiers. Evalué 600 francs.

Article quatorze
Un logement composé au rez-de-chaussée d'un appartement à feu et au-dessus d'un grenier desservi par une échelle au moyen d'une gerbière dans le pignon. Estimation 340 francs.

Article quinze
Un logement couvert en ardoises composé au rez-de-chaussée de trois appartements à feu, au-dessus de trois mansardes aussi à feu et desservies par deux escaliers. Des greniers desservis par des échelles. Un caveau vouté auquel on descend par un escalier en pierres de taille extérieur. Le tout estimé 1100 francs.

Article seize
Une cour avec un puits ayant sa margelle en taille, valeur 200 francs.

Article dix-sept
Une autre cour de logements composée au rez-de-chaussée de deux appartements à feu séparés par un péristyle. Au-dessus deux mansardes à feu desservies par un escalier conduisant également au grenier. Cet ensemble est loué cent quarante-quatre francs et estimé 1200 francs.

Article dix-huit
Une issue servant d'entré à plusieurs bâtiments 75 francs.

Article dix-neuf
Un bâtiment en appentis couvert en ardoises composé au rez-de-chaussée d'un appartement à feu, d'un magasin avec un escalier conduisant à l'appartement du premier. Un caveau couvert en tuiles. Estimé 550 francs.

Article vingt
Un petit terrain sous semis où sont encore les ruines d'un pignon avec cheminée estimé 110 francs.

Article vingt et un
Une parcelle de terre chaude 300 francs

Articles vingt-deux à trente
Diverses parcelles de terre pour une valeur totale de 745 francs.

 

Pour la vente, les biens sont répartis en vingt lots.
Le premier constitué par la maison de Lorient est évalué à 5200 francs.
Le second lot au Kernével, composé de la maison de maître et des articles 2, 3, et 4, évalué 5400 francs.
Le troisième lot composé de la nouvelle verrerie, des terrains et objets en dépendant et propres à l'exploitation de l'usine, soit les articles 5 à 12, évalué 14 850 francs.
Le quatrième lot composé de l'ancienne verrerie soit les articles 13 à 20, évalué 4375 francs.
Le cinquième lot composé d'une parcelle de terre chaude, article 21, estimé 300 francs.
Les sixième à douzième lots sont constitués de diverses parcelles de terre, pour un total 745 francs.
Le treizième lot est composé de la maison conventuelle de Saint-Gildas de Rhuys, etc.

  

La vente commence le 20 octobre 1824 à l'audience publique des criées du tribunal de première instance de Lorient. Chaque lot est successivement mis en adjudication et à chaque fois les trois bougies s'éteignent sans enchère.
L'adjudication définitive est alors renvoyée à l'audience de quinzaine le 3 novembre.
Seuls trois lots consistant en diverses parcelles de terre trouvent preneurs :
- le 7e lot estimé 45 francs est vendu à M. Louis Marie Debroise pour 50 francs.
- le 8e lot au même Debroise pour 35 francs.
- le 9e lot mis à prix 40 francs est vendu le même prix à Me Le Leslé, avoué.
La maison de Lorient et la verrerie du Kernével restent invendus.
La propriété de Saint-Gildas de Rhuys est vendue à Me Lagillardaie pour le compte de madame la comtesse Marie Louise Elisabeth de la Moignon, veuve de M. Edouard François Mathieu Molé de Champlatreux, supérieure générale des filles de la Charité de Saint-Louis.
Les parcelles de terres situées à Agon trouvent également preneur. 

 

Le 1er décembre 1824, il est procédé à une nouvelle adjudication des biens invendus aux audiences précédentes, sachant que le conseil de famille a autorisé à vendre au-dessous de la valeur estimée au cahier des charges.
Le 1er lot, la maison de Lorient, estimé 5200 francs est finalement vendu 13 400 francs à Me Ollivier pour le compte de Jean Louis Nicolas René Le Déan, ingénieur de la marine royale, chevalier de Saint-Louis et de la Légion d'honneur et de dame Anne Marie Regnier son épouse.
Le 2e lot, la maison de maître du Kernével, estimé 5400 francs est vendu 2800 francs à Me Ollivier pour le compte d'Hyppolite Bisson, héritier.
Le 3e lot, la nouvelle verrerie, estimé 14 850 francs est acheté par Me Delattre pour 7000 francs qui agit pour le compte de François Michel Foucard, commis de marine, négociant et entrepreneur de travaux publics.
Le 4e lot, ancienne verrerie, estimé 4375 francs revient à Me Le Bras pour 2300 francs, ainsi que les 5e et 6e lots constitués de parcelles de terre. Il agit pour le compte de Louis Marie Debroise, rentier commis de marine.

A l'issue de cette vente, la propriété du Kernével est maintenant divisée en 3 parties : la maison de maître appartient à Hyppolite Bisson, l'ancienne verrerie à Debroise et la nouvelle verrerie à Foucard.

 

Louis Marie Debroise transforme l'ancienne verrerie et la loue à l'administration des douanes qui y établit une caserne.
Le 19 novembre 1854, Clémence Delmestre, veuve de Louis Marie Debroise et ses enfants Emilie Zoé, Jean-Baptiste Marcellin et Amédée Marie vendent à Auguste Gillet moyennant la somme de six mille francs une propriété située au Kernével consistant en deux corps de logis servant de caserne avec cour intérieure et jardin aux deux extrémités avec galerie voutée. Et une pièce de terre servant de jardin à la douane séparée des maisons par une route privative.
Cet ensemble servira de caserne jusqu'au départ de la douane du Kernével en 1908.

 

Hyppolite Bisson vend la maison de maître à François Michel Foucard et à François Ducouedic pour la somme de 5000 francs le 15 mars 1827.