Bénédiction des Coureaux

Les pardons de Larmor sont au nombre de trois : le 24 juin, la Saint-Jean et la bénédiction des coureaux ; le 2 juillet, la Clarté ; le 8 septembre, la Nativité. Chaque année, ils attiraient des foules considérables.

Le Larousse donne la définition suivante du mot coureau ou courau : sinuosité entre des bas-fonds et des rochers que l'eau recouvre. Ici, il s'agit du chenal qui sépare Groix de la côte.
On rencontre aussi ce mot écrit : courrau. Nous retiendrons l'orthographe "des coureaux".

La plupart des textes reproduits dans cette étude sont extraits du journal Le Nouvelliste du Morbihan.

 

 

Paul Féval a écrit : C'est à Larmor, qu'on fête la bénédiction des Coureaux. "Ar mor" veut dire "la mer" en langue bretonne et c'est l'ancien nom de Bretagne. Larmor a donc bien le droit de célébrer comme sien ce pardon de la mer.


C'est Daniel Kerinec, chapelain de Larmor de 1659 à 1673 qui s'entendit avec le recteur et les habitants de l'île de Groix pour fonder ou régulariser la fête des Coureaux.

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1830 Un compte rendu du Cercle Philotechnique, le "Gymnase", repris par le Nouvelliste du Morbihan en 1896, fait la description de la bénédiction des coureaux à cette époque.

Les habitants de Lorient qui voulaient assister à la bénédiction des coureaux s'embarquaient à la cale Ory quand la mer était haute ; à marée basse il fallait aller à l'avant-garde du port de guerre pour embarquer sur les bateaux assurant le service vers le Kernével.
Le prix du passage était de 2 sous. Si le vent était bon, le trajet durait 20 minutes. Avec un vent passager c'est-à-dire bon pour aller et pour revenir, il fallait trois quarts d'heure. Mais avec vent debout et marée contraire, le voyage durait plus longtemps. Il fallait dans ce cas souquer dur pendant deux grandes heures, ou louvoyer paresseusement pendant trois heures et même d'avantage.
Mais ces 3 heures passent rapidement car les passagers sont jeunes et n'ont rien de la mélancolie rêveuse que l'on prête aujourd'hui à cette époque romantique.
Plus d'une intrigue se nouait à bord du passage, qui aurait pu durer toujours, si brusquement on n'avait senti le choc de la barque qui rudement se heurtait au môle de Kernével.

De là, il fallait faire à pied sous le grand soleil de juin, la demi lieue qui mène à Larmor. Les groupes se suivaient épars et joyeux, tout le long des falaises de Toulhars, sur les dunes, sur la plage, que nous avons vues si fréquentées naguère encore, et qui sont de nos jours presque complètement abandonnées.

La cérémonie de la bénédiction se faisait alors exactement comme aujourd'hui (en 1896) : nous n'en ferons pas la description. Nous renverrons plutôt nos lecteurs aux pages émouvantes de "Mer Bénie" où Pierre Maël a tracé une peinture si fidèle de l'imposante solennité.

Puis les pèlerins prennent le chemin du retour entassés et serrés dans de lourdes barques. La traversée souvent contrariée le matin, devenait interminable le soir. Les bateaux surchargés se trainaient avec peine, heureux encore quand un faux coup de barre ne les faisait pas s'échouer sur les bancs de vase à l'embouchure du Ter ou aux abords de Saint-Michel. Il fallait alors attendre le retour de la marée qui remettrait à flot les chaloupes désemparées.

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 1847 Une tempête horrible se déchaine sur nos côtes, dans la nuit du 23 au 24 juin. La mer était calme la veille et de nombreuses barques sont parties pour pêcher la sardine. Mais lorsque la nuit tombe, les nuages arrivent du sud, les éclairs se succèdent, l'ouragan fait rage.

De Gâvres à Kernével, de Lomener à Groix, l'océan furieux brise ses vagues énormes sur le rivage de notre rade, disloquant les jetées, effondrant les falaises, sapant les dunes. Les grottes de Toulhars s'écroulaient sous les coups furieux des lames écumantes, des blocs de rochers énormes roulaient dans les eaux. L'ouragan dura toute la nuit et le lendemain aux premières lueurs du jour, le désastre apparut dans toute son horreur. Le long du rivage dévasté gisaient les goémons arrachés aux fonds sous-marins parmi les varechs et les épaves brisées des barques, des cadavres de pêcheurs.
Le lendemain des familles erraient sur la grève cherchant à savoir quels bateaux avaient fait naufrage, interrogeant les épaves.
Des voiles apparaissent à l'horizon et les marins racontent les horreurs de cette nuit sinistre.
Deux caboteurs avaient sombré et six hommes perdus. Les survivants avaient fait le vœu de se rendre chaque année dans les coureaux devant l'ilot des Errants (aujourd'hui appelés à tort "Les Trois Pierres") et d'y remercier le ciel qui les avait sauvés.
Alors l'année suivante, les barques de Larmor et des environs allèrent processionnellement, ériger sur les roches des Errans, les statues de Saint-Jean et de Saint-Pierre, et bénir les Coureaux. Au bout de la galerie des apôtres du portail de l'Eglise de Larmor on peut remarquer deux niches vides qui abritaient ces statues. Aujourd'hui ces statues sont rongées par les vagues.

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Ex-Voto1862 Le Monde Illustré, évoque "la foi naïve" des paysans bas-bretons, l'originalité de leurs costumes qui donnent un charme saisissant à la fête et aux réjouissances qui suivent le retour des barques ayant participé à la cérémonie religieuse.
Il laisse également entendre que l'origine de la bénédiction des coureaux remonte peut-être à l'époque des druides qui ont laissé à Groix des traces ineffaçables et que rien ne peut ralentir le zèle de nos croyantes populations.
La bénédiction est donnée, alternativement, d'année en année, par l'un des curés des quatre paroisses de Plœmeur, Groix, Riantec et Gâvres.
Puis les pêcheurs partent en mer entre les 24 et 29 juin, jours des fêtes de Saint-Jean et de Saint Pierre.

 

 

 Lithographie signée Félix BENOIST, datée du 24 juin 1865, illustrant le cérémonial devant l'ile de Groix

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1866 M Jégou, dans les "Annales Lorientaises" donne la description suivante.
Le 24 juin a lieu la Bénédiction des Coureaux, fête maritime extrêmement intéressante qui attire chaque année un grand nombre d'étrangers. Le clergé de Plœmeur, à la tête d'une nombreuse procession, sort de la chapelle de Larmor et s'embarque avec croix et bannières dans une nombreuse flottille de bateaux de pêche qui se dirige au milieu des coureaux à la rencontre d'une semblable procession partie de l'île de Groix.
Une fois réunis et les embarcations en panne, les deux clergés entonnent des hymnes et l'on procède à la bénédiction de la mer, des pêcheurs, de leurs barques et de leurs filets.

Embarquement des pèlerins
La croix de la procession de Groix salue celle de Plœmeur en s'abaissant devant elle. Il nous a semblé voir dans cette marque d'humilité un souvenir traditionnel de l'état ancien des choses ; c'est-à-dire qu'il rappelait l'état d'infériorité dans lequel se trouvait le vicaire perpétuel de Groix vis-à-vis du recteur de Plœmeur.

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En 1867, un triste évènement est venu endeuiller la bénédiction des coureaux. Au moment de la bénédiction de la mer, les navires de l'état tirent une salve de coups de canon. Cette année, la canonnière La Mutine est chargée de saluer. Malheureusement, il n'y a pas de canonnier à bord et c'est le matelot de 3e classe Jean-Vincent Le Bail, 22 ans, né à Quiberon qui fait office de canonnier. Au premier tir, il a le bras arraché et la figure brulée. Il n'aurait pas suivant les principes les plus élémentaires, passé l'écouvillon humide dans la pièce, la nouvelle charge s'est enflammée d'elle-même à l'approche des parcelles de gargousses encore enflammées qui se trouvaient dans la culasse.
On se hâte de transporter le malheureux à l'ambulance du port où tous les soins lui sont donnés, mais il expire le soir même à 8 heures.

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En 1870, le journal L'Abeille de Lorient relate la bénédiction des coureaux.
. . . La mer était couverte de bateaux ; à côté des grandes chaloupes de Groix et de Larmor, les embarcations du port militaire, les chaloupes à vapeur, les petites canonnières.
Tous ces bateaux ont pris place autour d'un ponton mouillé au large sur lequel se dressait un autel élégamment orné.
Là, le clergé des paroisses de Groix, Larmor, Etel, Port-Louis, les aumôniers de la marine ont entonné des chants religieux et imploré la bénédiction du ciel en faveur de ces braves pêcheurs qui, tous les jours, parcourent la mer en tous sens, sans soucis des dangers sans nombre qui s'y rencontrent. . .
Sur le ponton se trouvaient les principales autorités parmi lesquelles : M. l'amiral Hugueteau de Chaillé, M. le sous-préfet, M. le commissaire général Hébert, M. le commandant Sousy, etc.
Dans les embarcations respectives, un grand nombre de chefs de services et d'officiers de marine, beaucoup de dames, enfin des yachts de plaisance parmi lesquels on remarquait celui de M. de Francheville, venu de la rivière du Morbihan pour assister à la fête.
A 3 heures la cérémonie était terminée, et le ponton, qui était entouré par de nombreux bateaux s'est tout à coup trouvé désert.

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Le 24 juin 1873, René Kerviler, né à Vannes en 1842, ingénieur, archéologue, bibliographe, auteur du répertoire général de bio-bibliographie bretonne, écrit le poème ci-dessous.

Des rives de Larmor, de Riantec, de Groix
Le jour de la Saint-Jean, l'on voit, prêtres en tête
Trois flottilles partir en costumes de fête,
Voguant vers les coureaux, au signe de la croix.
Les fronts sont découverts; et par de mâles voix
S'élancent dans les airs les chants du saint Prophète,
Pendant que sur les eaux le ciel de juin reflète
Les voilures de pourpre et les brillants pavois.
Puis, lorsqu'au rendez-vous les barques se confondent,
Au pasteur qui bénit, les antiennes répondent
Que les marins bretons ne craignent point la mort :
Ils savent que Dieu seul peut écarter l'orage,
Qu'au milieu des dangers il double le courage,
Et pour eux la prière est le suprême effort.

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En 1874, le mercredi 24 juin, jour de la Saint-Jean, la bénédiction des Coureaux se déroule par un si mauvais temps, qu'il avait même arrêté les pêcheurs. Une barque seulement pour chaque paroisse et les petites barques pleines de vieillards, de femmes et d'enfants dansent terriblement sur les flots : les vagues entrent par-dessus les bords, sans respect pour les coiffes blanches et les cheveux blancs. On n'en chante pas moins. Les voix des femmes et leurs pieux cantiques dominent le bruit du vent déchainé.

Les prêtres, quant à eux, prennent place sur la dunette de l'"Euménide" qui par sa masse résiste à la violence du vent. Les nombreux passagers, à bord du navire participent avec une gravité recueillie à la pieuse cérémonie, puis les barques reprennent le chemin fort chaotique du retour.

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1875 le Journal du Morbihan rend compte de la bénédiction des Coureaux de Groix.
Il y a quatre-vingt ans, Notre-Dame de Larmor était en telle vénération par le pèlerinage des marins qu'une multitude d'ex-voto couvraient les murs de son église, que chaque vaisseau la saluait, en passant, d'un coup de canon.
L'auteur évoque le village de Larmor qui doit la célébrité dont il jouit depuis des siècles, à la cérémonie curieuse de la bénédiction du coureau de Groix (on nomme ainsi le chenal qui sépare Groix de la terre ferme). C'est dans le coureau que se fait la pêche de la sardine et la bénédiction donnée à la Saint-Jean a pour but d'obtenir du ciel que la pêche soit abondante.

Jeudi dernier, la célébration de cette fête attirait à Larmor une foule de paysans et de pêcheurs des environs, ainsi qu'un grand nombre d'habitants de Lorient et de tout l'arrondissement.
La foule, après avoir visité l'église, se rend sur la grève où l'on jouit du spectacle imposant de l'océan dont les flots viennent se briser sur les récifs et se dérouler ensuite avec fracas sur une plage unie couverte d'un sable fin et émaillé de petits coquillages de toutes couleurs. L'île de Groix apparait dans le lointain, à demi noyée dans le brouillard et entourée d'une ceinture blanche d'écume amoncelée par les vagues qui viennent déferler sur une grève hérissée de rochers.

Croquis de M. MERME (Capitaine d'Artillerie)

Bientôt le clergé de Plœmeur, croix et bannières en tête, sort de la chapelle de Larmor, se rend processionnellement au rivage et prend place dans une embarcation pavoisée.

Un grand nombre de chaloupes et de péniches aussi pavoisées, montées par des pêcheurs et des curieux, entourent la barque et l'accompagnent jusqu'au milieu du coureau, où se rendent directement de leur côté, avec les flottilles qui leur font escorte, et aux chants des litanies et des cantiques, les clergés de Port-Louis, Gâvres, Riantec, Plouhinec et Groix.

Lorsque ces processions flottantes sont réunies et groupées, les six croix paroissiales s'inclinent les unes vers les autres ; les six clergés passent sur un bateau à vapeur orné de banderoles et de drapeaux.
A un moment donné, la citadelle de Port-Louis fait tonner son artillerie et continue la salve pendant la bénédiction.
L'officiant adresse alors une prière à la patronne des nautoniers pour qu'elle se montre favorable aux marins bretons, vivant de leurs filets, comme les premiers amis du Christ, et, se tournant successivement vers les quatre points cardinaux, il mêle aux flots agités de la mer des gouttes d'eau lustrale en prononçant d'une voix lente et solennelle les paroles suivantes :
      "Seigneur qui avez dit : croissez et multipliez, qui avez commandé aux vagues furieuses de s'apaiser soudainement, répandez          d'abondantes bénédictions sur ces eaux, afin que les poissons se multiplient pour notre utilité, et qu'après avoir parcouru la mer        sans naufrage nous arrivions sains et saufs au port du salut."
Pendant cette invocation, on n'entend que le sourd murmure des prières, confondu avec le bruit des flots et le sifflement de la brise à travers les cordages, et les mâts de la flottille. Patrons et matelots ont abandonné leurs manœuvres, ils sont muets, immobiles et l'altération soudaine de leurs traits halés atteste assez combien est profonde leur émotion. Toutes les têtes sont découvertes et inclinées, toutes les mains sont jointes ; et chacun, dans le recueillement de la prière et de la confiance, croit entendre le Sauveur lui-même répéter à ses enfants de Larmor ce qu'il disait à ses apôtres avant la pêche miraculeuse :
..."Maintenant, avancez en pleine eau et jetez vos filets".

La flottille se sépare, les pêcheurs de Groix cinglant vers leur île et les autres vers leurs ports respectifs.

Guy de St André

Publication en 1877 d'un poème de Sylvain RINCAZAUX

Une Bénédiction en mer.
(Ecrit sur la Fauvette, en revenant de Larmor, le 24 Juin 1877)

Lorsque l'été revient sur la côte Celtique
Et que pour la Saint-Jean le soleil d'Armorique
Emplit de rayons le ciel bleu;
Ce jour est le signal d'une charmante fête
Où, parmi les grands bruits du canon sur la tête
Se mêlent quelques mots de Dieu
Qui s'étonne d'entendre encore le bon rosaire
Chanté par des milliers de voix !
Larmor ! Tous les pêcheurs de la rive bretonne
Qui savent se signer encore lorsqu'il tonne
Comme les marins d'autrefois,
Viennent dévotement à ton vieux sanctuaire
C'est que l'on croit encore sur les rives sauvages
Où est la voix du vent au milieu des orages
Qui parle à ces peuples des mers;
Et l'on est bien trempé tout le long de ces grèves
Où Dieu met l'homme seul à seul avec ses rêves
Et les secrets des flots amers.

Oh ! Que Larmor était coquette
Avec son air endimanché
Ses granits où la mer se jette
Son port au vent si bien caché;
Doux tableau que l'on se rappelle;
Avec son clocher de dentelle
Sur les hauteurs, l'humble chapelle
Dominait la côte et les flots,
Quand la flottille pavoisée
Et par le soleil embrasée
Voguait sur la mer apaisée
Aux cris des joyeux matelots.

Quand la procession nautique
S'arrêta devant les coureaux
Ce fut un coup-d'œil magnifique
Que ce défilé sur ces eaux;

Ces mille pavillons de soie
Ces chants pieux, ces cris de joie,
Ces larmes que le soleil noie
Sur tous les plans, de tous côtés;
Et l'ile de Groix estompée
Dans la brume mal dissipée
Et fièrement développée
Pour cerner toutes ces beautés;

Oh ! Tout cela, c'était splendide
Vieille Armorique, ô Velléda !
Surtout quand sur la mer limpide
La voix des gros canons gronda
Et quand des souvenirs antiques
A tous ces échos galliques
Reportaient aux temps druidiques,
Le prêtre éleva dans les airs
La croix par le soleil dorée
Qui commandait à la marée,
Comme autrefois Césarée
Le Christ le commandait aux mers.

Et chaque année à cette plage
On recommence à pareil jour
Et le baptême du rivage
Et celui des flots d'alentour,
Jour de calme, fête féconde,
Paisible, sur la mer qui gronde,
Joyeuse, loin des bruits du monde
Au-devant du temple fêté;
Charmant rendez-vous de la rive
Où la lame chantante arrive
Avec la fauvette plaintive;
O fête de l'immensité !

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En 1877, des évènements que le clergé de Groix réprouve se produisent lors de la bénédiction des coureaux. Il décide de mettre fin à sa participation à la cérémonie, mettant ainsi un terme à l'accord initial entre les deux paroisses de Groix et de Plœmeur.

En effet, quelques années plus tard, en 1891, le curé de Plœmeur, souhaitant revenir à l'ancienne tradition, demande au curé de Port-Louis et aux recteurs de Groix et de Riantec s'ils accepteraient de participer à la bénédiction.
La réponse du recteur de Groix nous révèle le problème. Permettez-moi de le dire tout de suite, je ne suis point d'avis de recommencer en ce qui nous concerne, la fameuse bénédiction. Cela tournait mal et les raisons qui ont déterminé mon sage prédécesseur n'ont fait que l'aggraver.
Notre jeunesse est plus légère que jamais. Ce serait une jolie occasion de mettre le pied sur la grande terre et de valser. Terrible valse que nous avons prise à partie : plaise à Dieu que nous puissions en venir à bout.
Monsieur Le Bayon (recteur de Groix de 1873 à 1886) après avoir consigné dans les archives de pittoresques incidents à propos de cette bénédiction, termine par ces mots : il fallait en finir.
Sur l'avis de Mgr l'évêque de Vannes, communiqué en chaire le dimanche précédent, la jeunesse de Groix fut mise en demeure d'opter entre la danse et la bénédiction des Coureaux.

L'épreuve a eu lieu le 24 juin 1877. Plusieurs barques ont traversé les coureaux : pas une n'a été offerte au clergé qui s'est retiré après avoir donné de terre, aux coureaux de Groix, la dernière bénédiction.

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1886 Lorsque la flottille se regroupe dans le coureau et que les voix font silence, un vieux prêtre asperge la mer d'eau bénite et prononce une de ces formules de bénédiction que l'église romaine tient en réserve pour attirer sur toute créature un regard favorable du Créateur.
A bord de la Célestine, petit vapeur frété par le généreux catholique M. Méry-Le Beuve, on peut admirer la majestueuse bénédiction des coureaux cent fois décrite et qu'on éprouve toujours le besoin de décrire.

Sur les navires et canots, de nombreuses femmes sont vêtues de robes et coiffes noires, sans doute des veuves et des orphelins de marins.
Le sort cruel qui les a privées d'un père ou d'un époux n'a pas affaibli leur espérance ni leur confiance dans la protection de l'Etoile des Mers. L'Ave Maris Stella revient le plus souvent sur leurs lèvres.
Leurs chants harmonieux et lents, cadencés par le bruit léger de la vague, sont rythmés par l'excellente musique du pensionnat des Frères de Plœmeur.
Ces femmes savent que la mer rendra un jour les cadavres qu'elle a engloutis, brillants de vie et de gloire au jour de la résurrection, car la mer qui symbolise si magnifiquement la Vierge Immaculée, ne garde en son sein rien d'impur.
.....L'océan a beau être immense, la bénédiction est plus immense encore, et la parole du prêtre vient de l'atteindre jusqu'aux rivages les plus reculés.

 


 

Chaque année, le 24 juin, des milliers de pèlerins des paroisses voisines se pressent à Larmor pour participer à la cérémonie qui perd néanmoins de son faste religieux. De très nombreux badauds se déplacent également pour assister du rivage à ce grand rassemblement.
Ils arrivent à pieds, mais aussi par mer à bord de leurs embarcations, accompagnés de leur famille. Certains, venant de Lorient, empruntent les navires de la Compagnie des Vapeurs Port-Louisiens qui pour la circonstance assurent un service régulier de quart d'heure en quart d'heure à partir de 9 heures du matin. Puis au départ de la procession de Larmor, ils prennent du monde pour l'accompagner en mer au prix de 0,50 francs en 1890.

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En 1891 le "Cahier de la paroisse de Plœmeur" nous révèle que ce 24 juin à la grand'messe à Larmor, M. le curé a fait une instruction bretonne sur la fête du jour.

Seule la paroisse de Gâvres s'est unie à la paroisse de Plœmeur pour prendre part à cet acte religieux. Autrefois Port-Louis, Groix et Riantec n'y manquaient jamais.

Cette année monsieur le curé de Plœmeur a écrit au curé de Port-Louis et aux recteurs de Groix et de Riantec pour leur demander s'ils voyaient quelque inconvénient à revenir aux anciennes traditions.
Le curé de Riantec a oublié de répondre.
Celui de Port-Louis déclare qu'il ne viendra pas processionnellement.
Quant à la réponse de celui de Groix, nous l'avons évoquée à propos des évènements de 1877.

Pour "Le Nouvelliste du Morbihan", c'est la fête des pêcheurs, c'est la fête de tout le littoral, c'est en un mot, l'inauguration de la pêche à la sardine.
Il y a quelques années un navire de l'Etat se rendait sur les lieux, mais aujourd'hui ce n'est plus ça, car sur la réclamation de quelques parisiens, il est bien permis au préfet maritime d'envoyer le Caudan aux régates de Nantes ou d'ailleurs, ce n'est pas trop cher, mais le jour de la fête de Larmor, il faut faire des économies. C'est bien compris, n'est-ce pas ?
Heureusement, M. Méry, banquier à Lorient, met gracieusement le vapeur "Tony" à la disposition du clergé et la procession peut se rendre en pleine mer où a eu lieu la traditionnelle bénédiction.
Puisse cette année être plus fertile que les années précédentes, car nos malheureux pêcheurs sont désespérés depuis que la sardine a quitté nos eaux.

"La Croix du Morbihan" évoque la cérémonie :
Une procession religieuse sur la mer immense est quelque chose de magnifique : les matelots de Gâvres chantaient dans notre vieille et sainte langue les cantiques des Gâvrais à Sainte-Anne.
Le curé de Plœmeur évoque l'esprit religieux de la fête, avant de bénir les flots si perfides qui engloutissent tant de braves pères de famille, tant de jeunes gens dans la force de l'âge.

Tandis que "La Semaine Religieuse" estime que cette bénédiction apporte une consolation et une grande espérance au cœur de nos marins. La mer est le grand cimetière où des corps aimés flottent, sans cercueils et sans tombes. Parents ou amis ne s'agenouillent pas sur leurs dalles funèbres. Les morts sont à jamais inconnus.

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Le 26 juin 1892 publication d'un article signé Francis EVA relatant le déroulement de la cérémonie autrefois et cette année.

De tout temps, l'homme s'est senti si petit devant la mer immense, qu'avant de se confier à elle, il veut se concilier un appui surhumain.
Les anciens ne mettaient jamais à la voile sans avoir invoqué sur le rivage, les dieux protecteurs et imploré la clémence du farouche Neptune ; si les présages étaient favorables, ils partaient sans crainte, sûrs qu'Eole n'oserait point déchaîner sur les amis des divinités d'En-Haut la fureur de ses tumultueux sujets.
Aujourd'hui encore, le marin qui va s'embarquer pour un long voyage est plus confiant peut-être lorsqu'il sait que la coque de fer ou de bois qui l'emporte a reçu, avant de plonger dans les flots bleus, la bénédiction du prêtre.

Mais tous ces pêcheurs de la côte, exposés sans cesse dans leurs faibles embarcations à la houle furieuse du "suroît", ont demandé, en un siècle moins incrédule les prières des ministres de Dieu pour obtenir du ciel le calme sur l'océan et l'abondance dans leurs filets.
C'est une cérémonie grandiose et imposante que cette bénédiction de la mer.
Autrefois, elle semblait plus belle encore car la foi, vivace dans les cœurs simples des Bretons, lui donnait un caractère de solennité sublime qu'on chercherait en vain aujourd'hui.

ThonierLe jour de la Saint-Jean, un bateau "grésillon", un de ces solides thoniers qui vont se livrer à la pêche sur les côtes d'Espagne, quittait le petit abri de Port Tudy, portant la croix et le clergé de l'île ; aux mats et aux cordages flottaient des pavillons multicolores, et, derrière, les barques pavoisées suivaient le sillage, lentement, portant les familles des pêcheurs aux visages graves et recueillis.
Dans les coureaux, la procession était rejointe par deux autres venues de Larmor et de la baie de Locmalo.
Les prêtres et les bannières prenaient place sur le thonier, et la longue file des embarcations enguirlandées, se mettait en marche, au chant des cantiques.
Puis, un grand silence se faisait tout à coup, à peine troublé par le clapotis de la vague ou le cri plaintif de la mouette. Et le prêtre faisait le tour du bateau en bénissant la mer. (La bénédiction était donnée chaque année à tour de rôle par l'une des paroisses de Groix, Plœmeur, Gâvres et Riantec.)

Alors le chant du "Te Deum" s'élevait, sorti à la fois de ces centaines de poitrines bronzées, dominant le long murmure des flots et porté au loin par la brise légère.
Le pêcheur rentrait chez lui plus calme, plus confiant dans l'avenir, et touchante croyance ! il jetait ses filets avec un meilleur espoir dans ces eaux que Dieu avait bénites…
Aujourd'hui la procession se fait encore, mais c'est un vapeur qui vient prendre les prêtres à la cale de Larmor.
C'est la curiosité et le simple attrait d'une promenade en mer qui amène là tous ces Lorientais et ces Lorientaises en élégantes toilettes d'été. Ce sont les vapeurs Port-Louisiens qui suivent, amarrés au "Tony" et emportant tout ce monde de joyeux incrédules grisés par le soleil d'une journée de juin.

Derrière, dans cinq ou six chaloupes - pas plus !- quelques fervents, venus de Gâvres et, en grand nombre, des femmes dont les coiffes blanches oscillent comme une tente vivante.

Ceux-là seuls répondent aux cantiques, et ces chants majestueux, mêlés aux bruits du flot et aux battements sourds de l'hélice produisent encore sur l'âme une émotion sincère qui l'élève pour quelques instants. Lorsqu'on arrive dans les Coureaux le prêtre prend la parole, debout à l'arrière du "Tony", et ce sermon pendant la marche vers le large, n'est pas dépourvu d'une certaine grandeur qui fait taire les groupes joyeux et maintient la foule attendrie.

ProcessionAprès la bénédiction et le chant du "Te Deum", le Tony, qui porte à son avant la croix étincelante, évolue lentement et la procession entière se débande : chaque vapeur, dégagé des amarres, reprend sa libre allure et vient débarquer sur le môle de Larmor ses nombreux passagers.
Le clergé prend terre et le cortège reformé sur la cale étroite remonte vers l'église ornée de guirlandes vertes et d'oriflammes.

Il y a sur la place, toutes les petites boutiques qui fréquentent assidument les "assemblées", avec leur léger toit de toile blanche qui garantit à peine l'étalage des rayons du soleil.

Mais la foule, qui, en grande partie suivait de la plage et du môle la marche dans les coureaux, après les avoir entourés un instant, reprend bientôt le chemin de la côte où la vague l'attire.
En haut de la plage, le sable est brûlant mais au bord même de l'eau, on sent une fraicheur bienfaisante qui invite à s'étendre sur le lit moelleux tout parsemé de brillant mica.

Là-bas à l'horizon, dans la ligne bleuâtre qui sépare le ciel de l'océan, entre la pointe de Gâvres et celle des "Chats" on aperçoit la silhouette brune des barques de pêche.

Jadis, on n'eut point eu ce spectacle, mais, de nos jours, les temps sont durs et le matelot ne veut pas sacrifier une journée de gain à une vieille pratique trop ancienne qui le laisse incrédule.
C'est pourquoi cette bénédiction des Coureaux, si touchante, est appelée à disparaitre, lorsque la curiosité annuelle des Lorientais, dernier soutien de son prestige, aura fait place à de l'indifférence. Espérons que ce sera le plus tard possible car, Dieu merci, cette dernière qualité leur fait complètement défaut.

"La Croix du Morbihan" publie également un compte rendu de la cérémonie.
La fête avait commencé le matin par la grand-messe dans la curieuse église de Notre-Dame de Larmor ; une foule énorme remplissait les rues du petit bourg, et débordait partout sur la plage et le port.

A l'heure où les vêpres finissaient trois bateaux arrivaient de Gâvres au chant des cantiques…….

 

La musique des Frères de Lorient était venue prêter son concours précieux à la musique des Frères de Plœmeur ; toutes les deux alternativement ont fait entendre les plus jolis morceaux de leur répertoire, ou accompagné les chants liturgiques, le "Magnificat", le "Te Deum", et les beaux cantiques qui sont un témoignage de notre foi toujours vivante.
…….Au milieu des Coureaux, M. le recteur de Gâvres, délégué par M. le curé de Plœmeur, bénit les flots de la mer au nom de celui qui commande aux vents et aux tempêtes…..Nous sommes en pleine mer, le gouffre est sous nos pieds, demandant sa proie ; il ne faut qu'un caprice, une énorme vague venant du large, et ces chants d'allégresse se changeraient en cris de désespoir…..c'est l'existence quotidienne du marin, suspendu par un fil entre la vie et la mort.
Après avoir évoqué les côtes alentour il conclut : Quiconque ne sent pas à ce moment, grand monsieur, belle dame ou gentille demoiselle, envahir son cœur par les sentiments de la petitesse de l'homme devant les œuvres du créateur, celui-là ou celle-là doit avoir dans les veines du sang de barbare.
La mer est belle et Dieu est grand !
……..Puis nous reprenons le chemin de Larmor. On chante un psaume ou un cantique, et dans les intervalles, on jouit du spectacle….
La fête est finie : on débarque à Larmor, où l'on va porter aux pieds de Notre-Dame ses dernières prières, ses dernières hymnes saintes, et le soir on regagne son toit, un peu meilleurs, nous l'espérons, vivifiés dans la foi qui sauve, dans l'espérance qui console, dans la charité qui aime.

Procession"Le Cahier de la Paroisse de Plœmeur" quant à lui, relate dans un tout autre style, cette journée du 24 juin :
Cette année la fête de Saint-Jean-Baptiste tombait le vendredi dans l'octave du Saint-Sacrement. Ce jour-là il n'y eut pas de grand-messe au bourg, (de Plœmeur) mais seulement deux messes basses annoncées l'une à 6 heures et l'autre à 7 heures. Le soir à 8 heures ¼, complies et bénédiction comme les autres jours.

A Larmor grand-messe à 10 h ½ chantée par le curé de la paroisse. Instruction française sur la fête du jour. A 2 h vêpres. Immédiatement après les vêpres, la procession se rend au quai au chant des litanies de la Sainte-Vierge. Ensuite a lieu la bénédiction du Coureau.

Pour cette cérémonie, M. Méry, banquier à Lorient, a la diligence de mettre tous les ans son bateau à la disposition du clergé et de la musique de Plœmeur.
Cette année la musique des Frères de Lorient dirigée par M. l'abbé Le Corre, vicaire de Lorient est venue, sur l'invitation de M. Méry ,- sans avis donné préalablement au curé de Plœmeur -, donner plus d'éclat à la cérémonie.

Dans ces conditions, la musique de Lorient à une fête qui regarde la paroisse de Plœmeur, et dont la présidence revient au curé de Plœmeur, a paru assez inopportune.
"C'était une intrusion. Chacun chez soi". Si le clergé de Lorient tient absolument à rehausser les fêtes de Plœmeur, qu'il ait d'abord le bon goût d'en aviser le curé.
La bénédiction a été donnée par M. Bochez, aumônier de la marine, Chanoine de Smyrne, Corfou et Tinos.

 

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En 1894 pour la première fois depuis de nombreuses années, la bénédiction des coureaux tombe un dimanche permettant ainsi aux Lorientais de se déplacer en masse, d'autant plus que le soleil est présent.

Une foule évaluée à 15 ou 20 000 personnes s'est donné rendez-vous sur l'immense plage de Larmor. Chevaux et voitures avaient été réquisitionnés ; les bicyclettes, reines du jour sillonnaient sur la route ; les péagiers du pont de Kermélo étaient sur les dents.
Mais la cérémonie n'est plus aussi belle qu'autrefois. Cependant, grâce à de généreuses initiatives, la fête semble vouloir retrouver un peu de son ancienne splendeur. Mais qui lui rendra, hélas, sa touchante sincérité d'antan ?
Vers trois heures, le clergé de Larmor et la musique des frères de Plœmeur se sont embarqués sur le Tony coquettement pavoisé, suivi de la Margaëte, de l'Abeille, de la Marie-Ange. . . Tous ces vapeurs noirs de passagers sont rentrés vers 4 h ½ , après s'être approchés de Groix à quelques encablures.
La procession est alors rentrée à l'église et la prise d'assaut des vapeurs par la foule a commencé. Pareille journée ne se verra plus qu'en 1905.

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UNE LEGENDE DES COUREAUX
(Traduction d'un fragment d'une chanson bretonne)

 

Or, Rosyloysis, un soir,
En sa robe de désespoir,
          Frôlait les ondes,
Des fleurs de crainte en ses yeux bleus,
De pâle angoisse en ses cheveux,
          Aux boucles blondes,

Oublieuse de sa chanson,
Elle interrogeait l'horizon
          Avec tristesse,
Pour voir si ne venait là-bas
Le bien-aimé ne voulant pas
          De sa tendresse.

Elle attendait le troubadour
Qui berçait de ses chants d'amour
          Les jolis rêves,
Celui qu'on rencontrait parfois
Par les cieux les monts et les bois
          Et par les grèves.

Mais lasse de l'attendre en vain
Elle prit colère à la fin
          Et, dans sa rage
Elle ameuta les flots aigris
Contre les rochers noirs et gris
          Contre la plage.

C'est pourquoi six marins de Groix
Qui conduisaient le "Saint François"
          Vers La Perrière
Dérivent en quelques instants,
Sans avoir pu trouver le temps
          D'une prière.

Et si, depuis lors, les bateaux
Evitent souvent les Coureaux
          Et leur écume
C'est qu'ils voient errer au ciel gris
La blonde Rosyloysis
          Ou Fleur-de-Brume.
                                         Victor SLANE

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ViergeEn 1895 la veille de cette cérémonie une publicité parue dans la presse signale que la compagnie des vapeurs mettra à la disposition du public autant de navires qu'il sera nécessaire pour suivre la bénédiction, au prix de 0,50 F la place.

De son côté, Le Nouvelliste du Morbihan publie un long article intitulé "Un pardon sur la mer".
Le bourg (de Larmor) est en fête, les familles au complet. A cette occasion la discipline a perdu de sa rigueur. Les cols bleus des matelots s'harmonisent avec les rouges épaulettes des soldats de la France.
Larmor ce jour-là pavoise la flèche de sa vieille chapelle. Les douze apôtres, gardiens muets du sanctuaire, ont la tête ornée de couronnes de fleurs.
La statue de Marie, la vierge aux yeux bleus, se détache dans un nimbe doré au milieu des corbeilles de flambeaux brulés en son honneur.

barqueLe 24 juin de chaque année la côte morbihannaise célèbre la fête de Notre-Dame de Larmor, protectrice des matelots isolés sur les lointains océans.

Cependant les barques des pêcheurs, se détachent des criques du rivage. Marins de Gâvres, pêcheurs au teint bronzé de Riantec, Plouhinec, Port-Louis, hardis gars de Groix, tous accourent, les lourds bateaux chargés de leurs femmes et de leurs filles.
Ils viennent apportant à l'image fêtée, sur leur domaine, les tributs de leurs prières et de leurs vœux.

Sur le rivage, nobles et bourgeois assistent recueillis et silencieux à la grandiose manifestation.
Quand les derniers appels des cloches auront vibré jusqu'au-delà des horizons, une barque toute enguirlandée chargée de bannières, et portant la croix rallie autour d'elle la flottille improvisée. Ces mille bouches chanteront les cantiques de ce grand jour, tel l'appel de la terre aux puissants du ciel.
Et les marins de la Bretagne imposeront pour un moment, silence aux rumeurs des flots. Femmes et vieillards, travailleurs de la mer rappellent en leur poésie simple et touchante que Marie, adorée à Larmor, a reçu de Dieu le pouvoir de protéger les marins.
Leur culte pour elle est l'expression de leur reconnaissance. Combien des acteurs de cette scène émouvante ont échappé à une mort certaine grâce à son intervention.
                                                                    Nous t'adorons, Vierge immaculée
                                                                    Qui protège et nos marins et nos bateaux,
                                                                    Qu'à jamais ton nom soit vénéré…
Voici que tous se taisent ; le silence succède aux cantiques ; c'est l'heure de l'invocation.
Seule la voix du prêtre se fait entendre. Puis la cloche de la chapelle vibre de nouveau et sa voix de cristal s'unit à la voix du ministre de Dieu pour transmettre à Notre-Dame de Larmor les prières des marins de Bretagne.
Quelques gouttes d'eau bénite, une fumée d'encens qui monte droit dans le ciel sans nuage, et la même foule recueillie, reviendra au prochain été avec autant de ferveur fêter Marie patronne des marins.
Qui pourra nous dire la première origine de cette ancienne coutume ? Nous croyons qu'elle est assez peu répandue. Sa rareté fait sa valeur, son théâtre lui donne sa poésie, ses fidèles ajoutent encore à son côté pittoresque.
Osera-t-on soutenir qu'il est venu jusqu'ici le dragon rouge annoncé par Merlin ?

La bénédiction a eu lieu près des côtes de Groix où l'un des vapeurs a accosté. A ce propos, nous avons appris que 200 barques de cette île vont partir incessamment pour la pêche au thon, sur les côtes d'Espagne.

"La Croix du Morbihan" souligne l'affluence de monde ce lundi malgré les retraites de premières communions de toutes les paroisses Lorientaises et note que l'on revient de plus en plus à la piété antique. 

M. le curé-doyen de Plœmeur présidait : M. le Recteur de Gâvres a béni la mer.
Espérons que cet acte de piété attirera sur la pêche la bénédiction de Dieu, et que nos braves marins auront du pain pour leurs familles si nombreuses, si attachées encore à la vieille Foi.
Qu'ils n'oublient pas de sanctifier le jour du Seigneur car des exemples et des souvenirs douloureux sont là pour montrer que le travail du dimanche ne porte pas bonheur.
                                                             Signé Un Matelot

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1896 La vapeur a tué la voile. Les élégants et confortables petits bateaux à hélice de la compagnie des vapeurs Port-Louisiens détrônent à jamais les lourdes barques qui conduisaient à N.-D. de Larmor, les promeneurs d'autrefois. La cale Ory est déserte et seule, une plaque de faïence émaillée désigne par ce nom l'une des rues de la ville.
Les passagers n'ont que quelques pas à faire pour atteindre le ponton de l'avant-port de commerce et embarquer en un clin d'œil pour une traversée de moins d'une demi-heure. Les vapeurs ne tiennent pas compte des marées ni du vent.
Les Lorientais partent sans crainte et l'heure du retour est exactement précisée. Ils se confient avec une foi aveugle à l'habileté des capitaines chargés de la conduite de "Marie-Ange", de "Marie-Rose" et de " Margaët".

L'affluence est telle qu'il a été nécessaire d'avoir recours à cinq vapeurs pour conduire l'imposante procession en mer, avec en tête la "Célestine" bientôt suivie par le "Tony", le "Louis", etc... Et les barques font voile vers le large en suivant les navires.

Au départ de Larmor, a eu lieu un accident qui heureusement n'a pas eu de suite fâcheuse.
En faisant machine arrière, la "Célestine" ayant très peu de place pour évoluer, a faussé un des porte-manteaux du "Tony". Les capitaines, aidés de l'équipage ont sur les lieux porté remède à ce léger incident.

Parmi le clergé nous remarquons de nombreux prêtres des paroisses de Lorient, Kerentrech, Merville, M. l'abbé Scanvic, curé du Marin (Martinique) qui officiait à la grand-messe et aux vêpres a cédé la place à M. le Chanoine Duparc, curé de Lorient, qui préside la procession.
On chante le magnificat, l'Ave Maris Stella, le Veni Creator, puis on dit un De Profundis pour les marins décédés. L'abbé Duparc prend l'eau bénite et fait le tour du navire en aspergeant la mer.
Le retour promptement effectué, la foule des passagers emplit le village d'une joyeuse animation.

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En 1898 depuis la veille au soir la fête est commencée. Sur toutes les falaises, sur les plages et sur les rochers flambent mille feux de joie. Ce ne sont plus les feux criminels d'autrefois que les écumeurs de mer, les pilleurs des côtes allumaient pour multiplier les naufrages mais le feu de vie, la flamme d'espérance.
Saint-Pierre, Saint-Jean, bénissez la mer, épargnez-nous des naufrages, donnez-nous bonne pêche et année heureuse aux pêcheurs, nos frères.

La bénédiction est présidée par M. le recteur de Gâvres. Outre le clergé de Plœmeur, y assistaient MM. Le Tohic curé doyen de Pluvigner, Tabourny supérieur de l'institution Saint-Louis (Lorient) avec quelques-uns de ses professeurs, Le Maner recteur de Silfiac, Le Blavec aumônier des petites sœurs des pauvres (Kerentrech), Jouanno vicaire à Cléguérec.

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"La Semaine Religieuse" de juillet 1899 évoque rapidement la cérémonie puis nos marins et pêcheurs exposés à tant de périls.
Leur barque est si petite et la mer est si grande, qu'ils ont bien raison d'appeler la bénédiction du ciel sur cet océan qui les nourrit et, trop souvent hélas ! devient leur tombeau.
La fête est présidée par l'abbé Le Bras qui après avoir fait tant de bien à Larmor en tant que vicaire, vient d'être nommé recteur de Riantec.

 


 

1900 La bénédiction des coureaux, qui depuis toujours se célèbre le 24 juin, a lieu cette année le 1er juillet. La coïncidence de la Fête-Dieu survenant ce jour-là a été la seule cause de cette dérogation à un usage consacré par le temps. On pouvait compter que la fête reportée au premier dimanche de juillet attirerait une affluence beaucoup plus nombreuse ; mais le temps incertain et menaçant a retenu les timides.

Malgré cela, les trains de voyageurs débarqués à chaque instant des vapeurs Port-Louisiens eurent bientôt fait de garnir comme aux plus beaux jours les cales et les jetées du petit village.

Les pèlerins embarqués, la flottille s'ébranle et bravant la fureur des éléments soulevés par une forte brise du sud, elle s'avance vers le large. L'épais brouillard qui couvrait la mer faisait bientôt disparaitre les vapeurs aux regards des curieux restés sur le rivage.

De grosses lames, arrivant du large, venaient à chaque instant se briser contre les flancs des navires et leur imprimaient des secousses redoublées. Aussi furent-ils nombreux les passagers et passagères qui durent payer aux flots l'inévitable tribut, sans que leur infortune éveillât le plus léger sentiment de commisération chez les témoins de leurs efforts !
La cérémonie ne dure que quelques minutes car la tempête ne s'apaise pas. Puis les bateaux de retour débarquent aux jetées les passagers heureux en grand nombre de sentir sous leurs pas un sol moins mouvant que les planches fragiles des vapeurs.

"Le Morbihannais" relate cette journée sur un ton beaucoup plus lyrique.

Le Casino sur la plage de Port-Maria

Assis à la terrasse du Casino…j'écoute la chanson de la vague…elle est verte de fureur…elle se met à rugir, l'écume aux lèvres, bardée de goémons sombres.
Puis elle fuit et avide de nouvelles forces, appelle au large des sœurs de renfort. Et ces sœurs accourent pour venger leurs amies mortes ; elles bondissent, se dressent, se creusent, et quoi ? s'abattent sur la grève, laissant après chaque assaut le flot en déroute se contempler dans son miroir.
                                           Elle monte, elle monte, la Belle que tout Breton adore…
                                           Et toujours c'est le même chant, et jamais ce n'est le même !
                                           Et toujours c'est la même vague, et jamais ce n'est la même !
                                           Et toujours ce sont les mêmes tons, verts, bleus, glauques et blancs et jamais ce ne sont les mêmes……
…Las de voir cette mer agitée et mauvaise, le ciel lui-même s'est tout attristé cet après-midi et il pleure sur ces méchantes vagues qui ont empêché tant de nos amis Lorientais de venir à la bénédiction annuelle. […].Le clergé s'est embarqué cependant sur le vapeur "Nantes-Lorient" et sur la mer grondeuse au milieux de la brume intense se transformant en petite pluie qui fouette le visage, nous sommes partis tanguant, roulant au milieu des cantiques. Le prêtre la bénit, cette gueuse pour tâcher de la ramener au Bien, de faire une Chrétienne de cette toujours païenne, broyeuse des braves marins bretons.

De retour vers quatre heures les Lorientais se sont engouffrés au Casino dont la terrasse et la salle ont été combles tout l'après-midi.
A six heures le dernier bateau à vapeur quitte la cale, ne laissant que peu de Lorientais à Larmor.
Au dehors, dans les ténèbres, la mer et le vent grondent furieusement et la pluie tombe à torrents. La "garce dure aux matelots" sera méchante cette nuit.
                                                                                                                                                                              Johel d'Armor.

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CroixBannièreEn 1901 le clergé sortait de la chapelle en habit de chœur, précédé de la croix et de la bannière de N.-D. de l'Armor, patronne vénérée des marins bretons et prenait place sur le vapeur Célestine.
La mer était couverte de barques de pêcheurs et de bateaux de plaisance venus des petits ports environnants.
Plusieurs milliers de spectateurs réunis sur la plage ou entassés sur les jetées observent la cérémonie.
M. Le Bras, recteur de Riantec, et ancien vicaire résident à Larmor, a béni la mer, pendant que la musique des Frères de Lorient, dirigée par M. l'abbé Martin faisait retentir sur les flots le chant de l'Ave Maris Stella.
Au retour, un petit incident s'est produit dans la traversée : les vapeurs "Tony" et "Célestine" naviguaient de front à deux encablures l'un de l'autre, lorsque le bateau de pêche "Fleur de lys de Saint-Jean", toute sa voilure au vent, est venu occuper l'espace qui séparait les deux bateaux. Il était gouverné par une main habile et gagnait de vitesse, aussi l'homme qui tenait la barre, offrait-il gracieusement aux capitaines des vapeurs de les prendre en remorque !
Puis changement de route, le voilier manœuvra pour passer à l'arrière du Tony, mais le beaupré du Fleur de lys heurtant la hampe du pavillon placé à l'arrière du vapeur le coupa net au ras du bord. Le drapeau rattrapé fut remis en place.

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Le 23 juin 1904, veille de la bénédiction des coureaux, les transporteurs maritimes rappellent leurs horaires. La Compagnie des Vapeurs Lorientais-Port-Louisiens assurera un service au départ de Lorient à partir de 9 heures. La Compagnie Union Groisillonne établira un service à partir de 8 heures du matin ; dernier départ de Larmor à 5 heures du soir au prix de 0,30 franc aller-retour.
Une foule nombreuse a profité du beau temps pour se rendre à la bénédiction des Coureaux. Malheureusement le départ a été marqué par un grave accident survenu à bord du vapeur de l'Union Groisillonne.
Au moment de l'appareillage vers neuf heures, un tube de vapeur a crevé dans la chaufferie. Le jet de vapeur a grièvement brulé le mécanicien Bouillard, demeurant rue Beauvais et le chauffeur Saliou. Le mécanicien surtout a été profondément atteint à la tête et l'on craint pour ses yeux.

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Deux ans tard, le 24 juin 1906 tombe un dimanche et la bénédiction attire une affluence considérable, le beau temps favorisant les départs vers Larmor. Depuis midi une foule de passagers se presse pour prendre les bateaux de la Compagnie Port-Louisienne mais il est impossible de transporter tout le monde et plusieurs centaines de personnes doivent renoncer au voyage. Ce qui provoque un grand mécontentement, dont celui de M. Le Frapper, premier adjoint au maire de Lorient qui adressera une lettre de protestation au Nouvelliste.
De 2 h jusqu'à 3 h ¾ il n'y a pas eu un seul bateau pour transporter les voyageurs. Pendant deux heures, 300 personnes au moins se sont morfondues sous le soleil ardent pour attendre un vapeur. Il considère cela comme une forme d'impolitesse envers le public.

Malgré les mesures d'ordre prescrites par l'Administration, il y eut un tel encombrement que les vapeurs, chargés à couler bas, ne purent suffire au transbordement. Quelques femmes tombèrent à l'eau et furent assez facilement repêchées. Pour sa part, le gendarme maritime Allaire en sauva plusieurs.

"La Croix du Morbihan" rend compte de la cérémonie. La mer étant houleuse, de nombreuses personnes sont incommodées par le mal de mer.
Au milieu des coureaux la flottille forme un cercle autour du "Port-Tudy" et l'abbé Toulliou, curé de Grézac, (Charente inférieure), natif de Larmor, bénit les coureaux dans un geste large et majestueux.
A l'arrivée à Larmor, la flottille est accueillie par les cloches de N.-D. de Larmor, patronne des marins d'Arvor, qui jettent dans les airs leurs plus beaux carillons. Une foule de plus de 20 000 personnes, assistait à Larmor, au retour des pèlerins de la mer.

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La veille de la bénédiction de 1908 les transporteurs maritimes proposent leurs meilleurs tarifs et publient leurs horaires :

Le service des chaloupes automobiles du Kernével sera assuré toutes les demi-heures à partir de 9 h. du matin, et, si l'affluence du public le demande, toutes les 10 minutes à partir de 1 heure. Dernier départ du Kernével à 8 h ½ du soir.

La Cie des vapeurs Lorientais-Port-Louisiens à partir d'aujourd'hui assure un double service toutes les demi-heures de 11 h ½ du matin, jusqu'à 7 h de Port-Louis, et 7 h ½ de Lorient.
Et à l'occasion de la bénédiction des coureaux de Groix, un service spécial sera fait sur Larmor mercredi 24 juin, à partir de 8 h du matin. Des vapeurs accompagneront la procession dans les coureaux. Prix des places 0,50 F.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

              Vapeur La Célestine                                                                                                                                 Vapeur La Cécile

Vapeur Le Port-Tudy

Le vapeur "Port-Tudy" brillamment pavoisé, quittait l'avant-port (de Lorient) emportant vers Larmor les organisateurs de la fête et s'arrêtait à la cale est du petit village, autour de laquelle se pressait la foule endimanchée.
Une soixantaine de bateaux-pêcheurs et autres, tous pavoisés, attendent le signal du départ……Au milieu des coureaux, plus de cent bateaux forment un immense cercle autour du "Port-Tudy".

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En 1909, la fête qui tombe un jeudi promet d'être exceptionnellement brillante si le temps se maintient au beau. Monseigneur Gouraud, évêque de Vannes, doit présider la cérémonie.

Malheureusement le temps est exécrable et l'évêque ne viendra pas.
Malgré tout, les offices religieux sont célébrés au milieu d'une foule compacte et il était difficile de pénétrer dans la chapelle que remplissait une foule recueillie.
En raison de la tempête qui depuis trois jours se déchaine sur nos côtes la bénédiction des coureaux perd de son éclat. On se demande même si elle aura lieu. Cependant le "Port-Tudy" accoste à marée basse à la cale sud et embarque clergé et passagers, puis semble faire route vers le large.
Il y aurait eu quelque témérité à s'éloigner du rivage, tant la mer était furieuse. Après avoir franchi une distance de moins de deux kilomètres, le capitaine jugea bon de revenir au port. Avant de toucher à la cale, le prêtre officiant fit le tour du bateau et bénit la mer, pendant que les passagers chantaient.

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En 1911 à cause de la température inclémente et d'une forte brise la fête a perdu son éclat des jours passés et tout semble se conjurer pour que nos arrière-neveux ne connaissent de la bénédiction des Coureaux, qu'une vague et obscure tradition.

Le "Port-Tudy" après avoir évolué dans les Coureaux de Groix, s'arrêta à un point fixé et, pendant que les fronts s'inclinaient, pendant que les pavillons tricolores saluaient le prêtre officiant, M. l'abbé Méry-Le Beuve, recteur de "Nore-Dame Auxiliatrice", monté sur la passerelle, bénissait l'océan immense.

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1912 voit un important changement en ce qui concerne la date de la cérémonie qui jusqu'à présent avait toujours lieu le 24 juin, jour de la Saint-Jean. Mais l'église a déplacé la date de la fête de Saint-Jean et l'a fixée au dimanche le plus rapproché du 24. Dorénavant, la bénédiction des coureaux suivra cette date.
La fixation de la bénédiction des coureaux au dimanche, aura pour résultat d'attirer à Larmor un plus grand concours de fidèles, toujours heureux d'assister à cette cérémonie si touchante et si émouvante.

Pont de Kermélo

 

 

Si beaucoup profitent en cette circonstance, des vedettes et vapeurs mis à leur disposition, le bon et brave élément populaire qui n'hésite pas à franchir les 6 kilomètres à pied, se demande, si le pont de Kermélo a encore assez de solidité.

 

Le pont de Kermélo vers 1900 Collection privée

Ce bon vieux pont de Kermélo, chanté jadis par Brizeux, comme toute chose, s'use, s'effrite, se décompose……bien qu'il fléchisse de plus en plus et qu'on en ait interdit l'accès aux charges lourdes, charrettes ou camions, il semble qu'aucune règlementation en ait interdit le dangereux passage aux pesantes automobiles.
La veille de la cérémonie, le préfet rappelle les arrêtés en vigueur pour le franchissement du pont et donne des instructions au gardien pour règlementer la circulation des automobiles à l'occasion de la fête des coureaux.
Dès le matin, vapeurs et vedettes déversaient sur la belle et vaste plage de Larmor des flots de pèlerins et de curieux en toilettes claires, pendant que, sur le pont branlant de Kermélo la foule des piétons était telle que, pour éviter un effondrement toujours possible de la vieille passerelle, on avait organisé un service d'ordre n'y permettant la circulation que par petits paquets.
Selon l'agent voyer, environ 10 000 piétons auraient emprunté le pont ce jour-là.

Le clergé local entouré de plusieurs prêtres des paroisses voisines en habits sacerdotaux, a pris place à bord du Port-Tudy gaiement pavoisé pour la circonstance. Le cortège, aux chants des cantiques et aux excellents accords de la fanfare des Enfants du Plessis, s'avança dans les coureaux. L'abbé Le Dortz, curé-doyen de Plœmeur, préside la cérémonie. Le goupillon à la main, d'un geste large il asperge la mer aux flots agités, champ fécond parfois en ressources pour nos braves pêcheurs, trop souvent, hélas, en revers et en catastrophes mortelles.

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L'année suivante, 1913, journée magnifique et affluence au village de Larmor. Vapeurs et vedettes regorgent de monde, tandis que par tous les chemins aboutissant au vénérable sanctuaire de Notre-Dame de la Mer se presse une foule innombrable et joyeuse soulevant des nuages de poussière ; à la vérité, plus de curieux que de pèlerins.

Au pont branlant de Kermélo qui va bientôt disparaître un service d'ordre dût être organisé pour n'y permettre le passage que par groupes de 10 personnes. La précaution n'était pas inutile.

Larmor est maintenant paroisse et pour la première fois, c'est son recteur, M. Jourdan, qui préside la cérémonie, accompagné de l'abbé Le Bars, aumônier du lycée de Lorient. Avec les enfants de chœur, les porte croix et bannières, et la fanfare des trompettes Port-Louisiennes, ils prennent place sur " L'Ile de Groix".
Trois autres vapeurs, des vedettes blanches et vertes recueillent la foule qui se précipite pour y trouver place puis l'escadre escortée de quatre thoniers aux coques bariolées, se dirige vers le large, aux accents du cantique français et breton : "Chrétiens et bretons ignorent la peur…"
A un mille de Groix se déroule l'habituelle cérémonie.
Et voici que sur le cimetière infini, où dorment tant de générations bretonnes, s'élève grave et lugubre, le cri d'appel angoissé du "De Profundis".
Au retour à la chapelle, l'abbé Le Bars parle de la Grande Bleue, mangeuse d'hommes, enjôleuse et traitresse, et montre en Notre-Dame de Larmor le refuge assuré des pauvres marins qui lui disputent, à si grande peine, le pain quotidien des familles.

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En 1914 la bénédiction des Coureaux aura lieu le dimanche 28 juin et si le temps le permet, la cérémonie sera encore plus grandiose et impressionnante que les années précédentes, dans l'ignorance qu'un mois plus tard ce serait le début de la Première Guerre mondiale.

 

Journée radieuse, idéale, fête des yeux, fête encore plus du cœur […] nombreux sont les pèlerins qui en début de période sardinière venaient implorer la protection du ciel sur leur dur métier de travailleurs de la mer.
A Larmor, la foule était tellement compacte qu'on y étouffait littéralement.
L'abbé Driannic, curé-doyen de Port-Louis célèbre les offices. Au port, la mer monte, clapote contre les cales d'embarquement et des passagers trop pressés prennent un bain de pied.
Le Port-Tudy portant le clergé est escorté des vapeurs Margaëte, Cécile, Louis, Rienzi, et d'une centaine de barques de toutes sortes, yachts, chaloupes, canots, etc.

 

 

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1915 Sauf à faire le trajet en vapeur ou vedette surchargée, le franchissement du pont de Kermélo est le passage obligatoire pour les piétons venant de Lorient.
C'est l'occasion pour la presse de polémiquer, une fois de plus, sur l'ancienne passerelle et le nouveau pont.
La blanche route qui descend de la buvette du Polygone à la Fontaine des Anglais, puis remonte vers Quélisoy et descend à nouveau délicieusement ombragée cette fois, à ce qui fut le pont de Kermélo, semblait couverte d'une noire fourmilière.
Malheureusement le pont risque de s'écrouler. Un autre ouvrage est en construction malgré les difficultés dues à la guerre, et pour le moment il faut emprunter une provisoire passerelle en bois. Toute la journée, il faut affronter le danger sur ce passage étroit et plus que branlant, de milliers de personnes que des gendarmes, postés aux deux extrémités, avaient toutes les peines à contenir pour que le poids d'une trop lourde masse ne fit pas céder le frêle appontement, fragilisé par la marée de solstice qui bat son plein et un violent souffle de vent.

Ceux qui ne craignent pas les Boches (de Alboche, vulgairement un Allemand), craignent encore moins les brutalités fantasques de la mer. Elle est pourtant si changeante qu'on ne sait vraiment à quoi s'en tenir avec elle. Mais elle est aussi si douce et si bonne quand elle le veut bien, notre sauvage mer bretonne, que si mangeuse d'hommes qu'elle soit, jamais n'ont été si nombreux nos petits gars d'Arvor qui brûlent de l'affronter chaque jour.
Et cet état d'âme s'est bien manifesté encore dimanche à Larmor, dont les plages si appréciées ont été envahies par de véritables flots de pèlerins et de curieux accourus d'un peu partout.

Ce serait au dernier point oiseux de revenir sur la cérémonie en soi : sauf les aménagements modernes, bateaux à vapeur et autres, c'est toujours à peu près la même chose.
Mais de cette même chose on ne se rassasie pas : c'est pourquoi nous avons pu avoir le plaisir de constater, dans ce joli village de "Notre-Dame de la Mer", un très appréciable afflux.
La cérémonie elle-même, si connue, surtout depuis les ouvrages de Souvestre et de P. Féval, (Le Poisson d'Or), s'est quelque peu accommodée au "modernisme". Mais l'essence en est restée telle.

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1916 Cette année, les deux dimanches de la Fête Dieu coïncident avec deux des principaux pardons de Larmor. Les cérémonies sont organisées ainsi :
- Dimanche 24 juin, le matin office et procession de la Fête Dieu. L'après-midi procession aux Coureaux, suivie de l'allocution de M. le curé-archiprêtre de Lorient, puis salut et bénédiction des petits enfants.
- Dimanche 2 juillet : L'après-midi, procession de la Fête Dieu et de la Clarté.

Le 27 juin, Le Nouvelliste du Morbihan titre :

Dimanche splendide et affluence record en raison surtout de l'appoint fourni par les mobilisés de toutes armes. Les routes sont noires de monde et les vapeurs combles à chaque voyage. Et malgré cela, pas de désordre, on se distrait, on s'écarte un peu pour un court instant des douloureuses préoccupations de l'heure présente; mais on est Français, on est Breton : ceux qui sont morts glorieusement, ceux qui se livrent en ce moment, là-bas, corps et âme, pour la victoire peut-être prochaine, ne sont pas oubliés….

Comme pour corser la fête, un navire de l'air - un hydravion - monté par un jeune officier de marine et un Belge, est venu survoler la procession navale se dirigeant vers les coureaux, au-dessus desquels il paraissait comme un messager divin chargé d'apporter à nos braves pêcheurs, une réconfortante promesse.

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En juin 1917 sous le titre "Propos d'un Lorientais", M. Léo Le Bourgo évoque la cérémonie telle qu'elle se déroulait au siècle dernier, lorsque la flottille des pêcheurs de Groix y participait. Le clergé de l'ile passait dans la chaloupe de celui de Larmor. Les deux croix paroissiales s'inclinaient et s'embrassaient. Le recteur de Plœmeur, debout sur un banc de rameur, après avoir récité une prière, aspergeait la mer en face des quatre points cardinaux.

Mais, depuis longtemps, les Grésillons ne prennent plus part à la fête; et cette année il leur serait impossible d'y assister ; la plupart d'entre eux ne ferait pas leur campagne de pêche, car ils ont presque tous abandonné leur ile pour faire une autre campagne !
Le 24 juin, la bénédiction des coureaux n'aura comme spectateurs que les gens de la côte et les Lorientais qui iront passer, s'il fait beau, le dimanche à Larmor.

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1919 Bien triste, cette fête de la mer bretonne pendant toute la période de la guerre qui vient de se clore victorieusement ce jour même de la Saint-Jean.
Mais hier, tout était à la joie, le temps du reste était superbe, et c'est au milieu des pavois de la Victoire, que les vedettes et vapeurs ont transporté à Larmor une véritable foule de pèlerins et de curieux.
L'officiant, assisté d'un nombreux clergé venu de Lorient, de Larmor, de Port-Louis, de Gâvres et de Groix bénissait les flots pour que Dieu acceptât, après tant d'épreuves d'être enfin clément à nos vaillants travailleurs de la mer, hier encore soldats et marins de France pour le Salut du Pays et de la Civilisation.

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Le jeudi 24 juin 1920 (et non plus le dimanche le plus proche), le pardon de Saint-Jean et la bénédiction des Coureaux, ont lieu sous la présidence de Mgr Le Hunsec, nouvel évêque de Dakar et enfant de la paroisse de Plœmeur.
A Lorient, il fait très beau et chaud à l'excès : aussi n'a-t-on vu que des toilettes tout à fait estivales, canotiers et panamas pour les hommes, jupes et corsages roses, azurés ou blancs pour les dames et les jeunes filles qui se pressaient, dès une heure sur les quais où les vapeurs et vedettes, bien que nombreux, menaçaient de ne pas suffire à les contenir tous.

Pour la procession maritime, le "Port-Tudy" est réservé au clergé, à la famille Méry Le Beuve qui l'affrète et à quelques amis de choix.
Une vedette de la Préfecture Maritime est destinée à M. l'amiral Belzons, préfet maritime par intérim, à sa famille et à ses invités.
La flottille fait escale à Larmor, pour assister aux vêpres. Puis elle reprend la mer, suivie par les embarcations des pêcheurs et des accompagnateurs en direction des coureaux pour la bénédiction des flots par Mgr Le Hunsec, évêque et Préfet Apostolique de Sénégambie.

Après le retour à Larmor, certains engagent la route à pied, en bandes joyeuses, les autres rentrent à Lorient par transports maritimes.

 


 

Le 12 juin 1921 a lieu à Groix la bénédiction instaurée en 1913, de la flottille groisillonne depuis qu'elle ne participe plus à la bénédiction des coureaux en 1877.
Près de 300 dundees sont rassemblés dans le port, pavoisés du haut en bas. La population vient en procession à Port-Tudy où se donne le sermon de départ avant la bénédiction de la mer.
A cette occasion, les "voyageurs" peuvent prendre les vapeurs à Lorient ou à Port-Louis.

Le 24 juin à Larmor, c'est la bénédiction des coureaux. Le recteur informe les habitants et les pèlerins qu'en vertu d'une permission épiscopale et en raison du pardon de Saint-Jean et de la bénédiction des coureaux, ils peuvent faire gras le vendredi 24 juin.

 

Les temps ont changé ; le nouveau pont de Kermélo est ouvert à la circulation automobile permettant de se rendre à Larmor plus rapidement. Il est toujours possible de continuer à emprunter les vedettes. Les sociétés de transports automobiles proposent leurs services.

 

 

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En 1922 le mauvais temps fait craindre pour la réussite de la fête et le Nouvelliste du Morbihan écrit : un bon conseil : que les voyageurs ne s'embarrassent pas de paniers ni de colis avec des provisions ; ils pourront excellemment déjeuner, soit à l'Hôtel de la Plage, soit au Restaurant des Touristes, dirigés par MM. Daniels et Gretener, où le repas ne coute que six francs, cidre compris.

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En 1923 les restaurateurs Larmoriens font leur publicité pour le 24 juin.

La Saint-Jean et les Coureaux seront présidés par M. l'abbé Forbin, professeur à l'Institution Saint-Louis à Lorient.

Les propriétaires de bateaux de plaisance, et de canots à voile se feront un plaisir de venir aux Coureaux. Les bateaux à vapeur prendront une direction, et une vitesse, qui permettront aux embarcations de toutes les dimensions de les suivre.

....Ce fut une admirable journée !

Il faut dire que le Lorientais n'avait que l'embarras du choix. Préférait-il l'air de la campagne ? Il n'avait qu'à prendre le petit train pour Le Faouët et gravir la montagne où règne Sainte Barbe. Au contraire, la mer l'attirait-il ? Il n'avait qu'à choisir entre vedettes, vapeurs, autobus, pour s'en aller vers Larmor assister à la fête de la mer, la bénédiction des Coureaux.
Qui dira le nombre des citadins qui désertèrent leur foyer pour aller à Larmor ? Ce serait bien difficile mais les commerçants de la plage préférée doivent en savoir quelque chose.
…..Voici le "Tudy" qui apparait tout pavoisé sous Port-Louis et arrive à Larmor au moment précis où, les vêpres terminées, la procession descend vers la cale.
Puis après embarquement du clergé, de quelques privilégiés, des croix et bannières le Tudy prend le large… La plage est impressionnante avec ce fourmillement de monde où la coiffe blanche jette sa note éclatante.
Un chant s'élève répété par mille bouches :
                                                                       Reine de l'Arvor, nous te saluons,
                                                                       Vierge immaculée en toi nous croyons !
……Un coup de sifflet prolongé pour signaler aux vapeurs de ralentir et de s'approcher car la cérémonie va commencer.
……Après le chant du "Te Deum" qui s'élève majestueux comme un hymne de triomphe, le "Libera" vient jeter sa plainte désolée pour ceux qui dorment dans la profondeur des eaux. Un dernier geste de bénédiction sur eux et c'est fini. La flottille vire de bord et le Tudy fait route sur Larmor. Le peuple attend son arrivée. Il est étonnant de constater combien le Lorientais adore voir une procession quand elle se passe hors des murs de sa ville ! (à Lorient, les processions sont interdites sur la voie publique depuis les incidents survenus lors de la fête Dieu en 1898)

ThonnierDe retour à l'église, l'abbé Fortin prononce avec éloquence son allocution finale. Le journaliste lui rend hommage car il sait parler des marins pêcheurs et des Bretons. Il est natif de Gâvres et sait brosser des tableaux de la vie des pêcheurs. Il faut avoir perdu des siens dans l'orage ou dans la tempête, pour savoir les représenter roulant leur corps au fond des eaux, leur tête se heurtant de roche en roche et ne devant jamais connaitre la douceur d'une fleur sur une tombe que des parents entretiennent pieusement.

Parmi les navires perdus corps et biens, ce thonier disparu il y a moins d'un an, en septembre 1922. Le Suzanne Henriette immatriculé sous le numéro G 730, construit en 1898 est venu faire sa toilette sur la plage de Toulhars, en vue de la Bénédiction.

 

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1924 Le vapeur "Ile de Groix" est à la tête du cortège.

Au chant du Libéra semble répondre la voix des trépassés, ceux dont la mer garde jalousement les corps, mais dont les âmes en ce jour planent et protègent leurs parents et leurs camarades agenouillés dans les barques de pêche.
Le journaliste souligne un certain faste dû à la présence de nombreuses personnalités militaires : Parmi les embarcations, on avait reconnu les vedettes du préfet maritime, le contre-amiral d'Adhémar de Cransac, du contre-amiral Chauvin, chef d'état-major du vice-amiral Jéhenne, le contrôleur général Le Marquant, etc. etc.

La réaction ne se fait pas attendre. Le ministre de la Marine, Gaston Dumesnil, adresse aux ports une circulaire rappelant les règles à observer.

Je crois devoir vous rappeler les dispositions administratives qui règlent la participation du personnel militaire de la marine aux cérémonies civiles ou religieuses, et qui me paraissent avoir été perdues de vue le 24 juin dernier dans un de nos ports, celui de Lorient.

Individuellement et à titre privé les militaires de tous les grades de la marine de l'Etat ont toute liberté pour assister, sans autorisation, à des cérémonies de cette nature, sauf à répondre hiérarchiquement de l'exercice abusif de cette liberté.
Mais pour prendre part à ces mêmes cérémonies, collectivement et à titre officiel, il est de règle qu'ils se réfèrent préalablement à l'autorisation civile, en l'espèce le préfet du département avec lequel ils doivent se mettre d'accord.
De même, la participation par ordre, du personnel subordonné et celle des bâtiments de l'Etat dont l'usage peut être envisagé, doivent nécessiter l'autorisation expresse du ministre de la Marine.

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1926 Le journaliste du Nouvelliste du Morbihan rédige un article très détaillé.
C'est jeudi et il fait un temps splendide.
Le Port-Tudy, qui a arboré le grand pavois, attend au port de commerce de Lorient les invités lorientais. Sur une mer d'huile, il remonte vers la rade et met le cap sur Larmor où il arrive une demi-heure après et attend la fin des vêpres pour permettre au clergé de venir à bord.
Deux vapeurs port-louisiens et deux vedettes sont là aussi avec leur complet de passagers ; on remarque de nombreux enfants du sanatorium de Kerpape sous la surveillance des infirmières et des sœurs.

A 2 h 30, les croix, les huit bannières, les jeunes filles portant la statue de N.-D. de Larmor, charmantes sous leurs voiles blancs et leurs coiffes lorientaises, arrivent en procession sur la jetée et l'embarquement a lieu aussitôt.

Le chanoine Pouëzat, curé-archiprêtre de Saint-Louis de Lorient préside la bénédiction, accompagné de M. Le Néchet, recteur de Larmor et de nombreux prêtres, vicaires, aumôniers et même des professeurs qui profitent du jeudi de libre.
A bord, l'Ave Maris Stella monte dans le ciel, répété par mille poitrines. Deux vapeurs sont venus se ranger bord à bord avec le Tudy et les vedettes suivent derrière. On pourra suivre la cérémonie aussi bien qu'à bord du bateau amiral !
Et voici que ce mot venu sous notre plume, nous fait songer précisément à l'absence de la vedette de l'amiral qui apportait, il n'y a pas longtemps encore, le salut de la marine militaire à la marine marchande dans cette fête de la mer, si belle et si touchante. Brutalement, sans aucun motif sérieux, brisant une tradition que chacun aimait et respectait, un ministre de la Marine, il y a deux ans, interdisait le salut de l'amiral aux marins-pêcheurs. Le ministre a passé… mais l'interdiction est restée !...
Sept dundees mouillés sous Larmor, ne purent rallier la procession dans les coureaux, à cause de la faible brise, et c'est bien dommage.

Après l'Ave Maris Stella, le cantique "Sainte-Anne, ô bonne mère" s'élève à son tour.
……….Un coup de sifflet déchire l'air. Les machines cessent de battre, les fronts se découvrent, et c'est dans un silence solennel que le chanoine Pouëzat entonne les chants et dit les prières liturgiques. Puis, faisant le tour du bateau, il bénit la mer.
Le "Te Deum", chant de triomphe, monte vers le ciel, suivi de la plainte désolée du "Libera" pour ceux qui dorment au fond des eaux.

Puis la flottille fait demi-tour et retourne vers Larmor où une foule attend l'arrivée de la procession qui remonte vers la vieille église. Le chanoine monte en chère et s'inspire de la cérémonie qu'il vient de présider pour adresser à la foule une émouvante allocution.
"Ah! la vie du marin est pénible. Et cependant combien peu se l'imaginent telle qu'elle est ! Quand la campagne est ravagée par le mauvais temps, quand la récolte et la moisson sont en péril, on plaint le travailleur des champs parce que le malheur est là, tangible. Mais si sa récolte est perdue, lui, du moins, est à l'abri. Tandis que le marin isolé entre le ciel et la mer en furie, perd souvent sa vie avec sa récolte.
Le marin semble perdre de sa foi ; cependant quand il est en péril de mort, sa foi se réveille et il invoque le secours de Sainte-Anne d'Auray.
Ah! Certes, je vénère Ste Anne, moi qui ai vécu tant d'années auprès de son sanctuaire. Mais Ste Anne n'est toute puissante que parce qu'elle est la mère de Marie ; elle n'est toute puissante que parce qu'elle est la bonne grand'mère de l'enfant Jésus. C'est Dieu que le pêcheur doit reconnaitre avant d'aller en mer, c'est vers lui qu'il doit se retourner dans le péril de la mort".
La voix du chanoine tremble d'émotion car il connait bien la vie des marins pêcheurs. Il a bénit et prié pour ceux qui ont disparu dans les coureaux, dans la mer immense et dans ce nombre n'a-t-il pas lui-même des parents ?
Et par une pente naturelle, il en arrive à parler magnifiquement des morts de la Grande Guerre.
"Quand je voyais un soldat tomber pour ne plus se relever, je me promettais de demander pour lui des prières." Il dit avoir tenu le plus possible sa parole envers les soldats, mais n'a pas eu l'occasion de le faire autant pour les marins tombés au champ d'honneur ou qui dorment au fond des eaux.
"Aujourd'hui pensons à eux et prions pour les marins morts pour la France".

Le recteur de Larmor remercie le chanoine et tous ceux qui ont assisté aux cérémonies, puis la foule se répand dans le bourg. Les trompes des autobus et les sifflets des bateaux appellent les retardataires qui se décident à rentrer.
En mer, les dundees, toutes voiles dehors, prennent le large et certains, mentalement leur adressent leurs vœux.

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1928
Le journaliste commente une fois de plus l'absence remarquée de la marine. On reste stupide devant cette autre stupidité qui éloigne, en ce jour, le marin au col bleu de son frère, le marin au suroit, comme si le marin de l'Etat et le marin du commerce n'étaient pas égaux devant le péril de la mer en furie !...
Cette année, c'est le chanoine Kerhino, Supérieur de l'Institution Saint-Louis, qui préside la cérémonie.
De retour à l'église, l'abbé Fonteny, vicaire à St-Christophe, va s'adresser à la foule qui remplit l'antique sanctuaire et lui dire les raisons pour lesquelles les bénédictions du ciel doivent être attirées sur la mer, afin que celle-ci donne au pêcheur ses trésors et que le pêcheur soit conservé à sa famille.
La patriote de Merville a prêté son concours à la fête, ainsi que la fanfare des pompiers de La Garenne Colombes.

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articleEn 1930, la paroisse de Larmor célèbre la cérémonie de la bénédiction de la mer avec un faste exceptionnel, en présence de monseigneur Tréhiou, évêque de Vannes.

L'église est ornée de guirlandes azur, blanches et roses. Le chœur est richement drapé d'or.
La clique des Moutons Blancs de Noyal-Pontivy, se fait remarquer par sa fière allure.
Crosse en main, coiffé de sa mitre, l'évêque bénit la foule massée sur son passage jusqu'à l'embarcadère avant de prendre place sur le vapeur "Louis" escorté par un vapeur et trois vedettes. La flottille stoppée, la voix de l'évêque dominant le bruit du vent et de la mer, appelle les bénédictions du Bon Dieu sur les marins qui vont partir et fait appel à la divine miséricorde en faveur de ceux qui dorment ici de leur dernier sommeil.
Malheureusement la mer est un peu houleuse mais les nuages s'éloignent grâce à la brise qui se lève.
La procession en mer terminée, Larmor retentit à nouveau du bruit des tambours et clairons des Moutons-Blancs et le cortège se reforme pour se rendre à la nouvelle salle paroissiale que l'évêque doit bénir.
Il dit sa joie de célébrer par cette bénédiction l'anniversaire de son sacre, rappelant qu'il y a quarante ans il était déjà venu à Larmor avec ses parents, ignorant qu'il y reviendrait comme évêque de Vannes.

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En 1931 bien que les moyens de transports offrissent toutes les commodités désirables la cérémonie ne connait pas l'éclat des jours de grande affluence.
Le pardon semble souffrir d'une indifférence due au fait qu'il est fait uniquement appel au concours discipliné de la foule.
Où est le temps où le boutiquier Lorientais quittait son comptoir pour accourir se joindre au cultivateur de Plœmeur qui avait délaissé son foin et au marin de Lomener, avant tout soucieux de ne pas déserter la solennité religieuse célébrée à son intention ?
Le journaliste évoque le déroulement de la cérémonie il y a un siècle, avant de raconter celle du jour.
Le clergé embarque à bord du vapeur Louis qui a hissé son grand pavois. Le chanoine Corric, curé-archiprêtre de Saint-Louis de Lorient est accompagné de sept autres prêtres. Bien sagement, la chorale des jeunes filles vient prendre place à l'arrière du bateau où les enfants de chœur se sont blottis l'un contre l'autre, comme des oisillons rouges sur la maîtresse branche soutenant le nid.
De retour, la procession se rend à l'église. Le chanoine Kerhino monte en chair pour préciser le sens de la cérémonie. Puis après le salut du Saint-Sacrement, les enfants sont portés par leurs mères vers l'autel, afin d'être placés sous la double protection de Saint-Jean et de N.-D. de Larmor. Ainsi se termine, en vrai pardon breton, la bénédiction des coureaux, ce pieux pardon de la mer.

Le bulletin paroissial de Larmor précise que les deux fêtes toujours aussi populaires des Coureaux et de la Clarté tombent le même jour. Mais le mercredi étant jour de marché à Lorient, l'affluence est moins considérable, toutefois la procession en mer ne perd rien en recueillement.

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En 1934, cette année la bénédiction des coureaux tombe un dimanche et attire beaucoup de familles lorientaises. Les autobus n'ont cessé de sillonner la route, comme les vedettes d'aller et venir pour le transport des voyageurs. Mais le temps est orageux et des averses torrentielles se succèdent.……La procession sortit de l'église au son de cette cloche qui nous a plus d'une fois ému, alors qu'elle répondait au salut des trois coups de canon tirés en l'honneur de N.-D. de Larmor, par les bâtiments de guerre sur lesquels nous allions faire campagne.
La clique de l'Etoile d'Arvor sous la direction de l'abbé Gallais est de la fête. On peut reconnaitre le chanoine Guillo, directeur des Œuvres diocésaines, venu de Vannes pour représenter l'évêque des marins, Mgr Tréhiou, tous deux amis de la mer. L'abbé Le Néchet, le dévoué recteur de Larmor-Plage veille à tous les détails de la cérémonie qui est son œuvre.
Le Pen Men ayant donné trois coups de trompe, le Pen Er Vro et quelques petits bateaux et plusieurs thoniers s'approchent pour recevoir la bénédiction en même temps que celle de la mer.
Au retour, c'est une hâte sous la pluie, vers l'église pleine à craquer de monde, et magnifiquement décorée.
Le chanoine, très éloquent, après avoir évoqué les titres qui unissent la Vierge à la mer qui reste constamment propre et rejette tout ce qui peut entacher sa pureté ne peut s'empêcher d'évoquer un problème qui n'est pas nouveau : Mais pourquoi faut-il que la mer soit profanée par des indécences de costumes ? à tel point qu'il est souvent interpellé par des familles lui demandant s'il n'y a pas dans le Morbihan une plage au moins où elles pourraient envoyer leurs enfants sans crainte d'assister à des spectacles indécents.
Et de conclure : Aux catholiques de donner l'exemple et de faire que nos plages reviennent à la modestie d'autrefois.
Peu après une pluie torrentielle s'abattait sur Larmor et des familles venues par bateau repartaient aussitôt par les autobus.

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1935 Les fêtes de la mer tendent à reprendre leur splendeur et à s'instituer dans certains ports. C'est le cas à Dinard et à Boulogne-sur-Mer. L'interdiction faite en 1924 à la Marine Nationale de participer à ces évènements est maintenant levée et elle est largement représentée à Boulogne.

A Larmor, le nouveau recteur, l'abbé Le Tallec, de nombreux prêtres, les enfants de chœur, les jeunes filles de blanc vêtues portant la statue de N.-D. de Larmor, la chorale embarquent sur le Louis. La vedette Eugénie-Elvire des Vedettes d'Arvor, à bord de laquelle a pris place le contre-amiral de Spitz, embarque à son tour des passagers.
Un incident survient à bord du Louis. Un instant, on a cru qu'un homme était tombé à la mer alors qu'il s'agit seulement du chapeau d'une dame, que le vent a emporté et qui flotte sur l'eau.

Une quarantaine de thoniers évoluent en rade de Port-Louis et sous Groix, mais sans participer à la cérémonie.
Seule, une vedette de la Marine Nationale ayant à bord quatre officiers, suivra le "Louis" et participera à la cérémonie.
Après le Salut dans l'église et les chants de la chorale dominée par la voix si pure de Mlle Kersaho, on entend pour la première fois un cantique breton se terminant par ces vers :
                                                                               O Rouannez karet en Arvor,
                                                                               O Mam lan a druhé,
                                                                               Ar en doar, ar en mor,
                                                                              Goarnet hou pugalé.

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En 1936 à l'instar de l'expression utilisée dans les ports de Dinard et de Boulogne depuis quelques années, la presse parle du "Pardon de la Mer" et c'est bien là le mot qui convient à cette cérémonie entre le continent et la grande ile de Groix. C'est un pardon comme les pardons de nos campagnes bretonnes, avec cependant cette différence essentielle qu'au lieu du feu de joie, c'est le "Libera" qui monte en supplication vers le ciel pour les péris en mer qui n'ont pas de sépulture au cimetière du pays natal.

Le Pen er Vro, sous le commandement du capitaine Mobé, mouille au large pour attendre les vedettes qui font le transbordement des passagers. Une dizaine de prêtres participent à la cérémonie présidée par le chanoine Corric, curé-archiprêtre de Saint-Louis de Lorient.

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1939 Le "Pen Er Vro", plus grand bâtiment de l'Union Lorientaise-Groisillonne-Port-Louisienne, mis à disposition par M. Jacques Giband et commandé par l'excellent patron Gildas Yvon, embarque le clergé, les fidèles et de nombreux membres de la "Ligue Maritime et Coloniale" accompagnés de leur président, le commandant Masson. La Marine Nationale ne semble pas représentée.
A l'issue de la bénédiction, la Société des Hospitaliers Sauveteurs Bretons récompense plusieurs Larmoriens pour leurs actes de dévouement.

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C'est le lundi 24 juin 1940 que "les Allemands font leur entrée dans la paroisse" est-il écrit cinq années plus tard dans "La Liberté du Morbihan".Allemands

Les premiers qui nous arrivent sont misérablement vêtus. Ils sont arrogants et nous dévisagent avec un air méchant.
La procession de la Saint-Jean en mer est supprimée par ordre de l'autorité allemande et interdiction nous est faite de sonner les cloches.
Deux jours plus tard, le 26, un décret arrête que tout possesseur d'une radio doit la remettre aux autorités sous peine de mort ou de travaux forcés.

                                                                                                                                                  Allemands plage de Port-Maria - Collection privée

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1944, le 7 mai marque officiellement la fin de la Seconde Guerre mondiale mais le 19, avant le repli des Allemands à Lorient, plusieurs bateaux quittent le port pour se rendre en Grande-Bretagne ou vers le sud-ouest.
Malheureusement, c'est sans compter sur les mines sous-marines allemandes. Ce mercredi, le chalutier "La Tanche" chargé d'environ 200 personnes, jeunes, militaires, Français, Polonais, parfois avec leur famille et leurs maigres colis, saute près des coureaux, projetant dans les flots ou engloutissant dans sa coque disloquée tous ses passagers dont 190 furent portés disparus.
Il n'est pas question de célébrer les coureaux dans de telles conditions.

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1945 Lorient est libérée le 8 mai, dernière ville bretonne à retrouver la liberté.
La bénédiction des Coureaux n'est évidemment pas possible.

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1946 Par un temps peu encourageant la tradition a repris au mois de juin et le quotidien "La Liberté du Morbihan" évoque le retour de la bénédiction des coureaux avec un arrêt du navire "Le Palmier" devant les rochers des Trois Pierres. Monsieur l'abbé Collet donna l'absoute, en souvenir des victimes de "La Tanche" qui le 19 juin 1940, sauta sur une mine allemande avec ses passagers qui fuyaient vers l'Angleterre à l'approche de l'invasion.

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Le dimanche 24 juin 1956 la fête de la Saint Jean et la bénédiction des Coureaux coïncident. Le comité des fêtes de Larmor-Plage en profite pour organiser dès la veille au soir une retraite aux flambeaux, suivie d'un feu d'artifice et d'un bal, réjouissances qui attirent beaucoup de monde.
Le dimanche matin, une course cycliste occupe la foule venue passer la journée à la plage.
L'après-midi, la cérémonie religieuse des Coureaux fait suite aux festivités. Un remorqueur de la Marine Nationale, à bord duquel avaient pris place le clergé et le capitaine de frégate, major-général de Kersauzon, ainsi que quelques fidèles, a pris la mer vers les coureaux pour la traditionnelle bénédiction. Le navire était accompagné de deux vedettes de la direction du port transportant d'autres fidèles. De nombreux voiliers de plaisance et quelques bateaux de pêche se joignirent au cortège.

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"Plein Vent" le bulletin paroissial de Larmor rend compte de la fête des coureaux avec Bénédiction de la Mer le dimanche 25 juin 1972, favorisée par un très beau temps et une mer calme.
Elle s'est passée en présence de Mr. l'abbé Le Bras, supérieur du petit séminaire et de l'abbé Le Clanche, recteur de Sainte-Anne d'Auray et de l'ensemble du clergé de Larmor.
Madame Winter, épouse de M. l'amiral commandant la Marine à Lorient, MM. de Kersauzon et Plumet représentant la municipalité avaient pris place dans le puissant remorqueur de la Marine Nationale, auxquels étaient venus se joindre un grand nombre de Larmoriens et de nombreux touristes.
Des bateaux de pêche de Larmor et Gâvres, des vedettes et petits voiliers, la vedette de la Société Nationale de Sauvetage en Mer accompagnaient la flottille.
Le convoi s'arrêta et une couronne de fleurs fut jetée à la mer. Les chants religieux étaient dédiés aux marins disparus de la dernière guerre et en particulier aux passagers de "La Tanche".
…..Cette belle fête marquera une fois de plus que les vieilles coutumes et traditions auraient tendance à diminuer mais ne meurent pas.

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Le bulletin paroissial de juin 1987 signale que la procession est réduite au maximum et que par une brume épaisse, la flottille n'a pas pu se rendre aux "Errants".
C'était impressionnant de voir les voiles, comme en un paysage vaporeux, qui dansaient autour du remorqueur et des vedettes de la "Royale". Les plaisanciers qui prenaient part à la cérémonie ne voyaient pas grand-chose, mais au moins entendaient-ils la prière de la bénédiction diffusée jusque sur les plages grâce à une parfaite sonorisation.

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En 1993, le dimanche 20 juin, près de 200 personnes, réparties sur trois bateaux prêtés par la Marine Nationale, se rendent au large de Groix.
Une gerbe de fleurs est jetée en mer par l'amiral Dambier et le maire de Larmor-Plage, M Jégouzo.

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Le dimanche 27 juin 1999, la traditionnelle cérémonie prend une nouvelle tournure.
Pour la première fois les fidèles ne peuvent plus participer à la procession en mer. Ils se rassemblent au "Théâtre de l'Océan" où se déroule l'unique messe à 10 h.30.
Puis le recteur de Larmor et le maire ont rejoint l'Amiral Dupeyron à bord d'un remorqueur pour aller jeter solennellement en mer la couronne de fleurs tandis que les fidèles continuaient de prier au théâtre de l'Océan.

Depuis, la bénédiction des coureaux est célébrée au théâtre de l'Océan.

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"Ouest-France" relate la cérémonie du dimanche 27 juin 2004 : de nos jours, la Marine Nationale ne pouvant plus apporter son concours, la paroisse de Larmor-Plage continue néanmoins à commémorer les "péris en mer" et à bénir la mer de façon solennelle.
……..En ce 60éme anniversaire de la Libération, il était normal d'évoquer les marins disparus pendant le conflit, puis d'égrener les noms des marins péris en mer, entre Laïta et rivière d'Etel pendant l'année écoulée.

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Le 25 juin 2006, la fête de la mer est placée sous la présidence de Monseigneur Centène, évêque de Vannes.

Cette année, pour la première fois les fidèles se rendent en procession au théâtre de l'Océan.
Ils empruntent la rue du Presbytère et le boulevard de Port-Maria. Au cours de la messe célébrée en plein air, il est procédé à la bénédiction des coureaux.
Pendant ce temps quelques bateaux se réunissent pour assister au dépôt de la gerbe dans les coureaux.

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En 2011, L'amiral Prazuck assisté de M. Gambier, aumônier de la marine à Lorient, jette une gerbe de fleurs à la mer, pendant la messe célébrée au théâtre de l'Océan.