Passage du Kernével

 

Vers la fin du passage de Kernével

L'absence de bac nuit gravement à la population. En mai 1875, le maire de Plœmeur est saisi d'une pétition des habitants de Larmor, Lomener et Kernével : Le développement du commerce, de la pêche comme spéculation et comme plaisir, la bonne disposition de toute cette côte pour les bains de mer, demandent impérieusement ce passage, soit particulier, soit fait par les bateaux à vapeur de Lorient à Port-Louis faisant escale au Kernével.
Le conseil municipal demande au maire de s'occuper de cette question en se mettant en rapport avec les maires de Lorient et Port-Louis afin qu'il puisse aviser de ce qu'il devra faire en faveur de ce projet d'une haute importance pour la commune.

En août, le maire fait observer à son conseil que celui de Lorient a nommé une commission qui ne s'est pas mise en rapport avec celle nommée dans le même but par Plœmeur. Monsieur de Raime, adjoint au maire de Plœmeur, tient à constater ce fait, et considère que la commission de Plœmeur ne sera pour rien dans les décisions qui seront prises à cet égard.

Le 10 septembre, l'administration des contributions indirectes de Lorient, demande à l'ingénieur des ponts et chaussées de se concerter avec lui pour que le bac soit remis en adjudication et pourvu d'un nouveau fermier, fût-ce à titre gratuit.
Il précise que dans le cas de non exploitation du bac, il y aurait lieu de poursuivre sa suppression.

Aussitôt, le conducteur rend compte de la situation actuelle. Le service est fait sans affermage par le sieur Rustuel depuis la résiliation du bail. Mais il laisse beaucoup à désirer. En effet, Rustuel fait le service quand il ne trouve pas d'occupation ailleurs et seulement pour être utile au public.
Mais personne ne s'est présenté pour affermer le bac, même à titre gratuit. 
Par contre la commune de Port-Louis ayant voté une somme de 300 francs pour ce service, il pense qu'il y aura des candidats.

L'ingénieur des ponts se demande si au nom d'un intérêt purement local l'administration doit intervenir ou s'il n'est pas préférable d'abandonner l'exploitation du service aux seuls intéressés libres d'y affecter telle somme qu'ils jugeront convenable et d'imposer telles conditions qu'ils jugeront utiles.

Le directeur des contributions indirectes répond aux ponts et chaussées qu'il y aura lieu d'accepter le concessionnaire choisi par la commune de Port-Louis et de lui faire souscrire une soumission à titre gratuit.
Son administration ne peut abandonner un bac qui dans l'avenir pourrait prendre de l'importance, mais elle doit garantir au concessionnaire le monopole des droits de passage.

Mais l'ingénieur en chef, Hausser, ne partage pas cet avis. Si une commune juge opportun de subventionner un service de bac, elle en est libre, sans que nous ayons à nous ingérer dans la question. Je vous avais déjà fait connaitre que cette solution semblait la meilleure.

Les "vapeurs" concurrencent de plus en plus les traditionnels bateaux à voile et avirons, tant pour leur confort que leur rapidité et surtout leur régularité, permettant aux voyageurs d'être mieux servis. Le 4 décembre 1875, le conseil municipal de Lorient approuve un cahier des charges imposant certaines contraintes aux constructeurs des vapeurs et à leurs équipages pratiquant le "Service de la Rade". 
Le service à établir a pour but de relier Lorient par des bateaux à vapeurs avec les points principaux de la rade et notamment Port-Louis et Kernével.

 

Port-Louis prend en charge le bac

Le 31 janvier 1876, les ministères concernés donnent leur accord à la demande de la municipalité de Port-Louis de se charger du passage d'eau à ses risques et périls moyennant une redevance annuelle de 1 F destinée à affirmer le droit de l'état.

En février, le maire de Plœmeur donne connaissance à son conseil d'une lettre du maire de Lorient qui propose un service de vapeur entre Lorient et Port-Louis avec escale à Kernével. Le conseil ne prend pas cette demande en considération et prie le maire de s'entendre avec celui de Port-Louis afin d'établir un bateau de passage entre le Kernével et Port-Louis.

Les choses vont bon train puisque le 15 mars le conducteur des ponts et chaussées dresse le procès-verbal d'entrée en jouissance. Il constate que le nouveau fermier possède un grand bateau jaugeant 4 tonneaux, garni de 2 voiles, de 3 avirons, d'une gaffe et d'une planche de débarquement. Il porte l'indication de la ligne de flottaison à l'avant et à l'arrière.
Par contre l'adjudicataire, ne possède pas encore de batelet, mais il va s'en procurer un.

Le 12 du mois suivant le sous-préfet Alphonse de Pistoye signe avec le maire de Port-Louis l'acte d'abonnement par voie directe relatif au fermage du passage d'eau. Il commencera le 1er avril 1876 pour se terminer le 31décembre 1879.
Le montant de la redevance est de 1 franc au lieu des 30 f versés précédemment.

La commune de Port-Louis pense être parvenue à rétablir la liaison maritime avec le Kernével. Mais le fermier trouvé en 1876 s'est retiré et le 26 avril 1879, le maire de Port-Louis est contraint de demander la résiliation du marché qui existe pour l'exploitation du bac de Kernével. Malgré mes offres de subvention, je n'ai pu jusqu'ici trouver un entrepreneur voulant se charger de faire ce service.

Il lui est répondu que cela ne peut être fait qu'après acceptation par les départements des travaux publics et des finances. La prochaine adjudication des bacs devant avoir lieu dans quelques mois, il semble préférable de renouveler ultérieurement cette demande.

Le bac du Kernével n'est pas le seul à poser problème puisque lors de l'adjudication du 15 octobre 1879 deux autres bacs de l'arrondissement de Lorient (Lac et Bonhomme) n'ont pas trouvé preneur. Un mois plus tard, M Rondineau, préfet, demande à l'ingénieur en chef de lui adresser des propositions dans le but d'arriver d'une manière quelconque à les affermer.

 

Le bac ne trouve plus preneur

Les ponts et chaussées pensent qu'on arriverait probablement à affermer le bac du Kernével, soit en augmentant les prix du tarif, soit en demandant une subvention aux communes intéressées.

Le lundi 8 décembre 1879, le conseil municipal de Port-Louis réuni en séance extraordinaire reconnait à l'unanimité l'impossibilité de trouver un adjudicataire pour l'exploitation du passage si le tarif n'est pas doublé pour tous ses articles. Il est d'avis d'offrir à l'adjudicataire une subvention annuelle de 300 francs pendant toute la durée du bail.
De son côté, la commune de Plœmeur est décidée à voter une subvention de 200 francs.

Le conducteur des ponts et chaussées prend acte de ces offres de subvention et propose d'augmenter le tarif du bac. Dans ces conditions, il pense qu'on trouvera facilement un adjudicataire. Le service sera alors assuré à la satisfaction de tous.

Affiche de l'adjudicationIl faut attendre un an pour qu'une nouvelle adjudication soit organisée en 1880.
Monsieur Boudvilain, conducteur est chargé de rédiger un rapport sur les modifications à apporter au cahier des charges.
Il prend des renseignements auprès de celui qui fait aujourd'hui le passage, le seul qui se soit présenté aux deux adjudications successives.
Il pense qu'on n'aura des chances de trouver des soumissionnaires qu'aux conditions suivantes :
1° modification du tarif ;
2° cautionnement prélevé sur les allocations des communes de Port-Louis et Plœmeur ;
3° résiliation facultative après chaque période triennale en prévenant 3 mois à l'avance ;
4° modification de l'art. 27 consistant à n'exiger des fermiers que le grand bateau prévu au cahier des charges.

Début décembre 1880 M. Herpin, ingénieur ordinaire interroge le conducteur Boudvilain.
Il lui demande de faire connaitre la distance de parcours du bac entre les deux cales de départ et d'arrivée, dire au besoin un mot de la difficulté du voyage, du temps, etc. Quelques renseignements complémentaires sont nécessaires.

Le conducteur lui répond : la distance entre les cales est de 1100 mètres en ligne droite.
Si le vent est favorable pour aller d'un point à l'autre, il sera défavorable pour le voyage en sens contraire, c'est-à-dire vent défavorable une fois sur deux, et dans ce cas la distance réelle parcourue peut être évaluée au triple de la distance en ligne droite.
Ces distances à parcourir montrent immédiatement la difficulté du service du bac ; mais pour s'en pénétrer d'avantage, il suffit de savoir que sur une longueur de 600 mètres en ligne droite, le bateau dans son parcours se trouve en face de la passe (entrée de la rade) sans aucun abri, recevant la lame par le travers et ayant à vaincre un courant de 5 nœuds dans les grandes syzygies. (nouvelle ou pleine lune)
L'on peut dire avec certitude que le service du bac entre Kernével et Port-Louis est difficile et parfois dangereux.

Le 15 mai 1881, suite à l'insuccès des dernières adjudications le conseil municipal de Plœmeur décide d'augmenter le montant de sa subvention de 100 F supplémentaires, la portant ainsi à trois cents francs.

Le 21 septembre, informé de la modification du tarif du bac, il maintient les 300 F précédemment votés à condition que le passage ait lieu tous les jours, du soleil levant au soleil couchant, mais trouvant le tarif un peu compliqué, il propose les articles suivants :
- 0,10 F par personne ayant un colis à la main. Le complet pour partir étant de 6 personnes, nul ne pourra forcer le passager (passeur) à mettre à la voile à moins de lui assurer le prix du passage de six voyageurs,
- 1 F par bœuf, vache, cheval, âne et mulet,
- 0,50 F par veau et porc,
- 0,10 F par chien, mouton, cochon de lait, couple d'animaux de basse-cour.

Le 10 novembre, l'ingénieur Herpin estime que les propositions de la commune de Plœmeur sont trop vagues et pourraient être une cause de discussion entre le passeur et les passagers. Il pense également qu'il n'y a pas lieu d'imposer aux voyageurs l'obligation d'assurer au batelier une recette égale à celle qui est due pour 6 personnes à pied, lorsqu'ils auront attendu un certain laps de temps sur la rive.

Ce n'est que le 11 juillet 1882, qu'un décret fixe le tarif qui retient des augmentations très substantielles. Par ailleurs, les exemptions du droit de passage de plus en plus nombreuses sont de nature à anéantir le bénéfice du passeur. 
Un nouveau cahier des charges approuvé par le ministère des finances le 28 juillet prend en compte toutes ces modifications.

Le 25 novembre, une nouvelle adjudication ne donne aucun résultat.

A la demande du ministère des travaux publics, le préfet, Marc Dufraisse, prie l'ingénieur en chef de se concerter avec le directeur des contributions indirectes, pour assurer par soumission directe l'exploitation du bac.

 

Un candidat preneur découragé

Un mois plus tard, le conducteur des ponts et chaussées a trouvé un candidat : le sieur Le Corre Théophile marin demeurant à Kernével faisant actuellement le passage de Kernével à Port-Louis (passage irrégulier jusqu'à ce jour) nous a déclaré qu'il accepte toutes les conditions du cahier des charges nouveau, qu'il désire devenir fermier du bac ; qu'il ne s'est pas présenté à l'adjudication du 25 novembre dernier pour la raison que de faux bruits lui avaient fait croire que les subventions des communes de Port-Louis et Plœmeur étaient supprimées.
On peut maintenant traiter avec le Sr Le Corre et assurer ainsi le service régulier de ce bac.

Trois mois plus tard, l'ingénieur Herpin précise que Théophile Le Corre a servi dans la marine de l'Etat pendant 10 ans en qualité de quartier maître de manœuvre, a navigué pendant 21 ans au commerce et fait ensuite sur nos côtes la pêche de la sardine. 
Il possède toutes les connaissances requises pour diriger le bac de Kernével, qu'il exploite d'ailleurs pour son compte en dehors de l'administration depuis près de trois ans, c'est-à-dire depuis l'expiration du dernier bail. Il remplit en outre toutes les conditions de conduite et de moralité requises.
Et de conclure qu'il y a lieu de lui concéder le passage jusqu'au 31 décembre 1888.

Il faut attendre le 15 juin 1883, pour que le ministère des travaux publics autorise le préfet à traiter directement avec Le Corre.

Lettre de renonciation de Le CorreAlors qu'on lui demande de verser 15,75 francs pour les frais de soumission, Le Corre refuse finalement de se charger de l'exploitation du passage mettant l'administration dans l'embarras.
L'ingénieur en chef explique que la subvention des communes n'est acquise qu'après approbation régulière de la soumission et les retards des décisions ministérielles ont sans doute contribué au découragement du soumissionnaire.
Pour arranger les choses, il suggère qu'afin de lui éviter les frais qui sont réclamés, le préfet peut prendre un arrêté qui lui permettrait d'exploiter officiellement le bac et d'encaisser la subvention de 500 francs.

Mais rien ni fait, Le Corre confirme son refus par écrit.
Depuis le temps que l'on me promettait la somme, on m'a assez joué, maintenant je n'en veux plus des conditions.

Les ponts et chaussées se résignent : il ne reste plus qu'à faire de nouvelles recherches.
Ils reprennent contact avec Le Corre, qui par courrier du 21 novembre 1883, persiste dans son refus. Faîtes en sorte de trouver un autre individu qui pourrait traiter pour cela, car quant à moi, je renonce totalement.

 

Courte expérience du service avec un bateau à vapeur

Le 4 octobre 1884, M Contesse de Monbouton, armateur à Port-Louis, se propose d'effectuer le passage avec un bateau à vapeur donnant une moyenne de traversée de 5 à 6 minutes, quel que soit le temps.
Considérant que ce vapeur a toutes les qualités voulues et que le service serait assuré dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes que celles imposées par le cahier des charges, l'administration est d'avis qu'il y a lieu de concéder à M Contesse de Monbouton le produit des droits à percevoir sur le bac.

Le 1er décembre 1884, soit dix ans après la résiliation de bail de Le Gouhir, est enfin publié un arrêté préfectoral réinstaurant officiellement le service du bac. 
M Contesse de Monbouton est autorisé à exploiter le bac de Kernével à partir de ce jour jusqu'au 31 décembre 1888, moyennant une redevance annuelle de 1 franc.