Passage du Kernével

 

Concurrence du bateau à vapeur

Le 22 décembre 1852 à la sous-préfecture de Lorient a lieu une nouvelle adjudication pour les 9 années à venir, de 1853 à 1861. La mise à prix est de 30 francs. Gabriel Le Hunsec est attributaire du bail pour 31 francs. Le tarif du passage est toujours celui fixé par le décret du 17 thermidor an XII. 
Dorénavant, s'ajoute à la liste des personnes exonérées de droit de passage les ministres des différents cultes reconnus par l'état.
Outre ses obligations habituelles, il est précisé que le fermier est chargé des travaux de réparation et d'entretien des cales d'abordage.

Dès le 8 janvier 1853, le passeur Le Hunsec intervient auprès du sous-préfet pour concurrence illégale provoquée par le bateau à vapeur de Lorient à Port-Louis du capitaine Naugard qui prend ses passagers et se détourne de sa route pour les déposer au Kernével sans qu'il perçoive au moins le prix de leur passage.
Si le bateau à vapeur continue à me prendre mes passagers, les bénéfices modiques de mon adjudication deviennent nuls.

Bac de KernévelLe 26 février 1853, un procès-verbal de mise en jouissance dressé par le conducteur des ponts et chaussées, certifie que les deux bateaux sont conformes aux obligations du fermier et en très bon état.

Le 25 mars, l'ingénieur en chef donne son avis au préfet sur la plainte du fermier du bac de Port-Louis à Kernével. Il la juge très fondée et pense que le fermier du bac est en droit de réclamer de l'administration de ces bateaux pour chaque personne transportée, le prix du passage d'après le tarif du bac.

Cinq ans plus tard, le contre-amiral Jéhenne, préfet maritime, demande que la délimitation du port des bacs établis en mer soit effectuée par l'administration des ponts et chaussées. Puis le 22 avril 1858, l'ingénieur en chef entérine les propositions du conducteur Bertrant fixant les limites du port.Plan des ports

1° Sur la rive droite de la rade de Lorient. 
En amont de la cale à 150 m de cette cale.
En aval de la cale d'abordage à 800 m de cette cale en partant de l'origine supérieure de son plan incliné et passant par l'angle le plus avancé en mer du fort de Kernével pour les 190 premiers mètres et pour les 610 autres en partant du point précédent et passant à 40 m en avant de l'angle suivant du fort précité.
2° Sur la rive gauche de la rade de Lorient.
En amont de la cale à 450 m dans la direction du mur extrême du fort de Kerso (face sur Locmalo).
En aval de la cale d'abordage à 620 m de la dite cale à l'angle du dernier bastion de la citadelle de Port-Louis.

 

Pour la veuve de l'adjudicataire, le passage n'est plus rentable

Une nouvelle adjudication a lieu le 21 décembre 1861 pour les années 1862 à 1870 avec un cahier des charges sensiblement modifié. 
Maintenant les limites du port du bac sont bien définies et indiquées par des bornes que l'adjudicataire fera remplacer à ses frais en cas de disparition ou d'endommagement.
Le nouvel article sur la police stipule que le passage sera desservi :
- par un grand bateau jaugeant au moins 3 tonneaux, ayant de longueur 9 m 50, de largeur 2 m 50, muni d'au moins une voile et de 2 rames.
- par un petit bateau jaugeant au moins un tonneau et garni de 2 rames.
Chaque bateau sera conduit par 2 mariniers.
Le nouvel adjudicataire est Michel Stéphan avec une redevance annuelle de 95 francs.

Le 22 décembre 1862, madame Stéphan qui vient de perdre son mari écrit au préfet que cette perte la met ainsi que ses deux enfants en bas âge, dans une situation fâcheuse et l'oblige à confier à un autre patron l'exploitation du bac. Ce qui diminue considérablement son revenu.

Le conducteur des ponts et chaussées chargé d'enquêter rend ses conclusions le 20 janvier 1863.
D'après les renseignements que j'ai pris auprès de différentes personnes, il résulte que le passage de Port-Louis à Kernével est fort peu lucratif et que le prix du bail est trop élevé relativement au bénéfice que l'on peut tirer de cette entreprise.
Bien qu'indispensable, le passage ne sert qu'à relier Port-Louis à quelques villages de Plœmeur dont les habitants vont d'ailleurs s'approvisionner à Lorient.
Je pense qu'une réduction sur le prix du bail est de toute justice, mais comme la Vve Stéphan demande presque gratuitement la possession du passage (20 F au lieu de 95). Comme elle semble disposée à résilier, suite à la mort de son mari qui rend l'engagement nul, il vaudrait mieux lui retirer le passage pour le soumissionner à un autre.
Il suggère de porter le prix à 50 francs seulement, car c'est le passage qui rapporte le moins de tous ceux du département.

Après que le directeur des contributions indirectes ait accepté le principe de la résiliation du bail, à condition que la veuve Stéphan s'engage à s'arranger à l'amiable avec un de ses parents qui prendrait le passage pour 55 F par an, elle demande seulement qu'on lui laisse encore son marché (à prix réduit de 50 F) jusqu'à la fin de l'été.

L'ingénieur des ponts et chaussées rédige un second rapport faisant ressortir trois solutions.
1° on peut prononcer la résiliation pure et simple du contrat.
2° on peut réduire pour la veuve Stéphan le prix à 50 F jusqu'à un temps déterminé à la suite duquel l'administration disposera comme elle l'entendra du passage.
3° on peut enfin, conformément à l'opinion de M. le directeur des Douanes admettre la Vve Stéphan à présenter son amodiateur qui reprenne le bail à un prix déterminé.
Il craint qu'on ne trouve personne à un prix supérieur aux 50 francs que la veuve accepte de donner et propose qu'on la garde dans ces conditions jusqu'au mois d'octobre prochain, puis de mettre fin à son contrat à ce moment-là.
Nous laissons le soin à l'administration d'apprécier laquelle est préférable au double point de vue de l'équité et des intérêts qui lui sont confiés.

L'affaire remonte jusqu'au ministère des finances qui le 22 juillet 1863 décide de résilier le bail à partir de l'entrée en jouissance d'un nouveau fermier. Il accepte aussi d'abaisser son prix à 50 francs pour la veuve Stéphan.

 

Nouveaux passeurs, nouvelles plaintesaffiche de l'adjudication

Le mercredi 30 décembre à la sous-préfecture de Lorient, a lieu l'adjudication des droits à percevoir au passage d'eau de Kernével pour les années 1864 à 1870, sur une mise à prix de 40 francs. Seul Marc Marie Rustuel demeurant à Keramzec, se présente. Sur soumission directe, il est adjudicataire moyennant la redevance annuelle de 40 francs.

Le 15 juin 1864, M. Le Gal, percepteur des contributions directes, se plaint du passeur auprès du maire de Plœmeur. 
Vendredi dernier, j'ai été retenu une heure et demie sur la cale de Port-Louis à attendre le bateau qui fait le passage entre Port-Louis et Kernével. Ce laps de temps n'était pas dû au mauvais temps, puisque je vis le bateau partir du rivage de Kernével et qu'il mit moins de 10 minutes à faire le trajet et notre retour fut effectué avec autant de rapidité, mais aux longues escales que fait le bateau lorsque le fermier ne trouve pas un chargement qui paie son retour. Le retard peut être très préjudiciable aux voyageurs pressés qui attendent sur le rivage opposé, sans savoir quand ils passeront ; le passage des voyageurs étant interdit aux autres bateaux.

Le sous-préfet averti de cette plainte la transmet à l'ingénieur des ponts et chaussées, qui intervient auprès du passeur en lui rappelant que l'art. 34 du cahier des charges stipule que le fermier sera tenu de passer une personne seule, sans exiger d'autre droit que le droit simple, lorsqu'elle aura attendu sur le port le laps de temps d'une demi-heure.
Toute autre personne qui voudra passer isolément et sans attendre paiera le droit fixé dans ce cas par le tarif (qui est de 6 personnes à pied).
Il le prie de faire en sorte que ces faits ne se renouvellent plus.

Une nouvelle adjudication du bac pour la période 1871 à 1879 a lieu le 21 décembre 1870. Aucun adjudicataire ne se présente et l'ancien fermier, Marc Rustuel, continue à faire librement et provisoirement le service.

Le 24 mars 1871Jean-Michel Le Gouhir sollicite le fermage. Le conducteur des ponts et chaussées enquête sur le demandeur. Jean-Michel Le Gouhir est né le 11 mars 1840 et demeure à Kerblaye, matelot gabier de 1ère classe, il s'engage à payer une redevance annuelle de cinq francs, et à se conformer strictement aux prescriptions du cahier des charges.
Il résulte des informations qu'il a obtenues de l'Inscription Maritime du port militaire de Lorient que c'est un excellent sujet qui présente toutes les garanties pour faire convenablement le service du bac. 
Attendu que ce service souffre de l'absence d'un fermier et qu'il importe de ne pas le laisser libre plus longtemps dans l'intérêt du public qui commence à s'en plaindre, il est d'avis que l'administration accède le plus vite possible à sa demande. 

Finalement le 25 mai 1871, le sous-préfet consent le bail à Le Gouhir. 
L'acte précise que le fermage aura une durée de neuf ans commençant le 1er mai 1871 et finissant le 1er mai 1880. La redevance annuelle est fixée à trente francs. Le matériel est maintenant la propriété de l'administration.
Après lecture du présent acte, le sieur Le Gouhir ne sachant signer a fait sa croix en présence de deux témoins.

Le tarif en vigueur est toujours celui du 17 thermidor an XII sensiblement modifié par quelques compléments depuis 1861.

 

Le 16 novembre 1872, le commandant du Génie intervient auprès des ponts et chaussées suite à la mésaventure subie par M. Henry, garde du Génie.
En effet les hommes qui font le passage ont refusé de le prendre bien que n'ayant personne dans leur bateau et lui ont fait manquer le bateau à vapeur de Port-Louis à Lorient. Ensuite il a dû revenir à pied de Kernével à Lorient !
Le brigadier de la douane, présent à ce moment, lui assure qu'ils jouent souvent le même tour à ses douaniers.

Le Gouhir s'explique : le bateau est resté une heure à la cale du Kernével. Pendant ce temps, les bateliers ont pris des caisses à sardines à destination de Port-Louis. Vers 2 h 30, afin d'être à l'arrivée du bateau à vapeur venant de Lorient, l'un des bateliers a crié, suivant l'habitude et à deux reprises différentes "Embarquement pour Port-Louis".
Quant à lui, patron du bateau, il avait aperçu un monsieur et une dame éloignés de 100 m environ de la cale d'embarquement mais ignorant qu'il devait prendre le bateau, il ne l'a pas prévenu.
Regardant de tous côtés et ne voyant aucun passager se diriger vers le bateau, les marins ont hissé la voile et poussé.
Le bateau était éloigné de la cale de 80 m environ, lorsque le monsieur s'est aperçu du départ et a halé les mariniers qui ont usé de leurs droits en se refusant d'atterrir. Ils avaient dépassé à Kernével les délais réglementaires et en outre ils avaient le vent debout pour gagner Port-Louis.
Il est regrettable que M Henry n'ait peut-être pas entendu "Embarque pour Port-Louis" et se soit trouvé à une si grande distance de la cale d'embarquement au moment du départ du bateau.

L'ingénieur des ponts relate ces faits au commandant du Génie en précisant à mon avis, si ainsi que je le crois, cette version est vraie, le patron du bateau était dans son droit.
Il arrive très souvent que ceux qui utilisent le bac se plaignent de la lenteur des mariniers qui n'hésitent pas à revenir pour prendre de nouveaux voyageurs, ce qui fait toujours perdre du temps. Dans le cas présent, un voyageur se plaint de ce que le bateau ne soit pas revenu.
Je regrette beaucoup ce contretemps. Dans nos instructions nous ne cessons de répéter aux patrons des bacs de chercher à satisfaire tout le monde et de nous éviter des réclamations.

 

Le passeur renonce à assurer le service

En août 1874, Le Gouhir annonce qu'il ne veut plus continuer à assurer le service du bac de Kernével et préfère abandonner son cautionnement que de continuer l'exploitation de ce passage.
Il prétend que le bac est difficile à desservir et ne lui assure pas un bénéfice suffisant pour la peine qu'il se donne.
L'ingénieur des ponts et chaussées estime que l'abandon de ce bac fera souffrir le public, notamment les habitants de Port-Louis, de Kernével et des environs. Il est d'avis que la résiliation de bail du sieur Le Gouhir ne soit pas acceptée.

C'est au plus haut niveau que l'affaire est tranchée puisque le 2 décembre, le ministre des finances prononce la résiliation du bail moyennant l'abandon du cautionnement.