Passage du Kernével

 

Plaintes contre le passeur

Le 20 juillet 1831 lors du renouvellement du bail du passage de Kernével un nouveau passeur est retenu en la personne de Joseph Mallet demeurant au Kernével.
Mais les plaintes se multiplient contre lui et le service qu'il offre au public.

Le 14 novembre 1835, Bellego, vicaire à Plœmeur s'adresse au maire de Plœmeur. 
Ayant été appelé dans ma famille pour affaire, je m'y rendais lundi dernier 9 du courant, en passant du Kernével au Port-Louis, je recommandai au passager (dénomination habituelle du "passeur") de se retrouver le vendredi suivant avec "le grand passage" (bateau de grande taille) au Port-Louis vers les 4 à 5 heures de l'après-midi car je devais revenir accompagné de ma sœur et ayant chacun un cheval. Il me le promit mais le contraire arriva.
Pendant que je faisais quelques visites en ville, le passager s'empara de mon cheval que j'avais laissé à La Pointe (lieu-dit du point d'embarquement, à la porte des fortifications) et le voulut embarquer dans sa petite nacelle (petit canot).
J'arrivai sur ces entrefaites et vis mon cheval qui avait les deux pieds de devant dans le bateau, un de derrière dans la mer et le quatrième sur la chaussée. Enfin après des efforts inouïs et le secours de plusieurs personnes on parvint à jeter mon cheval dans la mer.
Il y resta longtemps au grand risque de le perdre, vu qu'il était en sueur après une marche de 6 à 7 lieues.
Les scènes se renouvelèrent encore lorsqu'on voulut une seconde fois jeter ou porter ma monture dans le petit bateau qui n'est nullement propre à recevoir des animaux.

Je demandai pourquoi on ne m'avait pas envoyé le grand bateau, on me répondit qu'un nommé Kerlir l'avait pris pour aller à la pêche. Alors des centaines de voix s'élevèrent et me dirent que c'était tous les jours de même, que le passage était très mal servi et qu'on ne concevait pas comment après toutes les plaintes qu'on en avait portées aux autorités locales, le passager y fut maintenu.

Je joins ma voix et mes plaintes à celles du public, monsieur le maire et je demande que justice nous soit rendue. Je demande que vous fassiez connaître que vous avez l'autorité en main pour rendre justice en faveur du public opprimé et pour réprimer l'insolence ou faire cesser un service auquel préside la fainéantise et l'incurie la plus coupable. Cet homme, outre qu'il n'a aucune bonne volonté de bien remplir son devoir, n'en est nullement capable.
Je n'ai pas besoin d'entrer ici dans mille détails ni de vous relater des centaines d'actes vexatoires pour le public et dont un seul suffirait pour le faire casser. La voix publique en a porté plusieurs à vos oreilles.

Je vous prie donc, Monsieur le Maire d'avoir égard au bien général, de vous montrer le père de vos administrés et de montrer enfin que l'autorité en Plœmeur n'est point en mains faibles.
J'attends, Monsieur le Maire pour toute réponse de votre part la nouvelle du changement de passager au Kernével.

Le maire, Guillaume Romieux, ne tarde pas à réagir en rédigeant un procès-verbal qu'il adresse au sous-préfet le 21 novembre.

Le sieur Mallet ne fait que tout ce qui est propre à mécontenter le public par ses mauvais procédés et les dangers continuels auxquels il l'expose en ne se servant que d'un petit bateau qui n'est nullement dans les dimensions voulues, dans lequel on ne peut raisonnablement embarquer des animaux , ni qu'un très petit nombre d'individus sans compromettre la sureté des passagers en mettant cette frêle nacelle en danger de couler.
En outre, les trois quarts du temps tant lui que ses mariniers ne passent le public qu'à leurs commodités parfois après l'avoir fait attendre des demi-journées entières.
En conséquence, il demande au sous-préfet que le bail de ce fermier soit résilié et qu'on puisse le remplacer par quelqu'un qui offrira plus de garantie et de sécurité tant aux étrangers qu'aux habitants de ma commune qui fréquentent journellement ce passage.
Je joins à la présente la plainte qui m'a été adressée par l'un des vicaires de cette commune, à laquelle on pourrait ajouter le témoignage d'une foule de personnes et entre autres celui de monsieur Debroise de Lorient.

Trois jours après, le sous-préfet saisit le préfet : Depuis longtemps la voix publique réclame contre le service excessivement mauvais du passage de Kernével. Aujourd'hui toutes remarques devenant inutiles ainsi qu'on le constate dans la lettre et le rapport ci-joint de M. le maire de Plœmeur, je crois devoir venir vous demander la résiliation du bail en cours.
Puis il propose de procéder à une nouvelle adjudication à la folle enchère pour poursuivre le service.
Le Directeur des contributions indirectes, consulté à ce sujet, émet un avis favorable à la résiliation du bail et précise que le fermier serait tenu de payer, s'il y a lieu, la moins-value du mobilier.

Bac passage du Kernével

Le 16 décembre 1835, à la demande M. Forestier, ingénieur d'arrondissement, le conducteur des ponts et chaussées procède à la visite des bacs et bateaux, agrès et apparaux desservant le passage de Kernével.
Arrivé à midi, il attend le sieur Joseph-Marie Mallet qui était à Port-Louis avec son petit bac et lui signifie qu'il doit se soumettre à l'inspection.
- Le canot pour le passage des piétons est en bon état. Il a de longueur de tête en tête 5 m 30 et de largeur de bau 1 m 80. Il est armé de deux avirons, une voile, un bout d'aussière, un grappin, une bosse et une planche d'embarquement et de débarquement.
- Le grand canot ou chaloupe est aussi en bon état. Il a de longueur d'une tête à l'autre 8 m et de largeur de bau 2 m. Il est armé de deux avirons, une voile, un grappin, une aussière et une bosse.

Le petit canot est monté par le sieur Mallet fermier, aidé d'un marin. Il est spécialement attaché à passer d'une rive à l'autre tous les voyageurs qui se présentent.
Le grand canot ou chaloupe est monté par deux marins paraissant forts et bien constitués, mais ce canot ne fait pas constamment le service du passage. Il est presque toujours employé au petit cabotage.
Ayant fait remarquer que ce bateau devait aussi faire le service des passagers, le fermier lui répond que la fréquentation de ce passage était trop peu de choses pour employer journellement ces deux canots et quatre mariniers, qu'il lui serait impossible de vivre et qu'en conséquence il employait son grand canot à un commerce plus lucratif et que même l'occasion se présentait fort rarement de le faire servir pour le passage.
D'après les informations prises sur les lieux, il est constaté que le fermier ne remplit pas comme il devrait le faire, les obligations contractées par lui en se rendant fermier du passage de Kernével.

Le 24 décembre l'ingénieur en chef reprend les propos de son subalterne et souligne que le bateau du sieur Mallet ne fait que 5,30 m sur 1,80 m alors que le cahier des charges prévoit 6,56 m sur 2,70 m. Ce bateau doit donc être celui de l'ancien fermier.
Mais il ne se formalise pas de cette irrégularité puisqu'il qu'il écarte toutes les plaintes formulées contre le passeur en étant d'avis que la résiliation proposée ne soit prononcée que dans le cas où le sieur Mallet serait par un acte autre que le cahier des charges obligé d'avoir deux bateaux et que dans le cas contraire les habitants de Plœmeur et des environs soient prévenus que le fermier du bac n'est obligé à avoir qu'un seul bateau afin qu'ils ne se formalisent pas du petit commerce auquel il se livre avec son second canot.

Le 5 janvier 1836, le sous-préfet relance le préfet en lui rappelant son courrier n°1921 demeuré sans réponse. Comme les plaintes continuent, je viens vous prier de bien vouloir vous reporter à ma susdite et m'honorer d'une réponse, pour que par une adjudication nouvelle, je puisse aviser aux moyens de régulariser le service de ce passage fréquenté.

Nous ignorons la suite donnée à cette affaire, faute d'archives, et arrivons quinze ans plus tard.

 

Modifications du cahier des charges

En 1850 il est procédé à l'adjudication pour 3 ans du bac de Kernével. Le cahier des charges type, datant de 1835 est complété par quelques conditions particulières.
Aux exonérations existantes auparavant, il est ajouté : les malles-poste, les courriers et estafettes du gouvernement, les voitures cellulaires, conducteurs et chevaux, les agents de lignes télégraphiques, les agents voyers, les vérificateurs des poids et mesures, enfin les personnes, chevaux et voitures qui marchent sous l'escorte de la gendarmerie.
En ce qui concerne les obligations du fermier : tout le matériel nécessaire à l'exploitation du passage, bateaux, batelets, agrès etc. sera fourni par le fermier et non par l'administration lors de la mise en jouissance. Il ne lui sera accordé aucune indemnité pour dépréciation de ce matériel pendant ou après la durée du bail, pas plus pour les réparations et achats que nécessitera son entretien.
Par ailleurs : la charge que les bacs, bateaux, batelets pourront contenir, est limitée à 12 personnes par tonne.
Pour le grand bateau, à 36 individus y compris les passeurs, ou à 18 chevaux, mulets, bœufs.
Pour le petit bateau, à 12 individus y compris les passeurs.
Il est précisé que le passage sera desservi par deux bateaux, chaque bateau sera garni d'une voile et de deux rames, et conduit par deux mariniers. L'un de ces bateaux devra jauger au moins 3 tonneaux et l'autre pas moins de un tonneau.