Pont de KerméloLe pont suspendu en construction

 

La construction de la passerelle commence le 4 août 1837. Les travaux sont rapidement menés puisque le 5 avril 1838 l'ingénieur des ponts et chaussées se rend sur place pour procéder à l'épreuve de résistance en présence du préfet. Elle dure 3 jours.

 

 

 

 

 Collection personnelle 

Le procès-verbal rend compte avec précision de la construction et des modalités de l'épreuve de résistance.
Tous les détails d'exécution m'ont paru très soignés et très judicieusement adoptés.
L'ingénieur en chef est d'avis d'autoriser les concessionnaires à livrer le pont à la circulation en percevant le droit de passage, ajoutant que les charrettes du pays pourront passer sur le pont quand les chemins qui s'exécutent seront terminés.

 

 Ouverture du pont le 7 avril 1838

 

Le même jour le sous-préfet Villemain écrit à M. Joseph Marie Salo, fermier du bac de Kermélo. Je viens vous prévenir que votre bail du bac de Kermélo, en date du 20 juillet 1831, demeure résilié et annulé Vous devez cesser de passer qui que ce soit sur la rivière du Ter et de percevoir aucun droit de péage.

Le pont est ouvert au public depuis près d'un an quand le 7 mars 1839, les frères Seguin sollicitent du sous-préfet l'obtention d'un "Arrêté Réglementaire" pour le pont de Kermélo.
Nous réclamons de votre administration la prompte expédition de ce règlement, car il devient urgent de faire connaitre au public les dispositions qui assurent l'ordre du passage, la paisible perception des droits de péage, et la police du pont afin de prévenir toute contestation entre les voyageurs et le percepteur.

Ce n'est que le 3 juillet que l'arrêté du préfet Lorois est publié sous forme d'affiche. Il mentionne notamment :
TITRE PREMIER Perception des droits de péage
Art. 2 Les personnes et bestiaux sujets aux droits et qui s'engageront sur le pont, sans le traverser en entier ne pourront ressortir qu'après avoir acquitté le droit de péage. Une barrière pourra être fermée du 1er mars au 1er octobre, de 10 h du soir à 4 h du matin, et du 1er octobre au 1er mars de 8 h du soir à 6 h du matin. Mais l'ouverture aura lieu chaque fois que la demande en sera faite. A cet effet un commis de quart veillera pendant la nuit et sera préposé à ce service.
Art. 4 Le port d'armes est accordé aux préposés dans l'exercice de leurs fonctions.
Art.5 Si une exaction était accompagnée d'injures, menaces, violences ou voie de fait, les préposés seraient traduits devant le tribunal. Il leur est également défendu de favoriser la fraude et la contrebande.
Art. 6 Quiconque se permettrait de les injurier ou menacer serait livré aux tribunaux.

TITRE II Police ou conservation du pont
Art. 9 Il sera établi un réverbère à un bec, qui sera allumé la nuit lorsque le clair de lune ne dispensera pas de cette précaution.
Art. 11 Les conducteurs de chevaux, mulets, bœufs ou vaches, allant aux foires et marchés ou au pâturage ne pourront les faire passer que par nombre au-dessous de 15….
Art. 12 Il est formellement défendu à qui que ce soit de fumer ou de tenir du feu allumé sur le pont, dans la crainte d'incendie, exception faite pour les lanternes ou falots servant à éclairer les personnes qui viendraient à passer de nuit.
Art. 13 Tout corps ou détachement de garde nationale ou de troupe de ligne à pied, sera tenu de marcher sur deux files, en rompant le pas. La cavalerie ne pourra défiler que sur une seule ligne.
Art. 14 Nul ne pourra monter sur les garde-corps, chaînes, dés, obélisques, ni se suspendre aux tiges. On ne laissera stationner sur le pont aucune voiture, sous aucun prétexte que ce soit.

 

Le pont au quotidien

En 1845, l'ingénieur en chef des ponts et chaussées signale au préfet que des réparations urgentes s'imposent dans le système de suspension du pont.

◊ L'année suivante, les frères Seguin se plaignent auprès du préfet de la baisse de leurs recettes qu'ils expliquent par l'établissement d'un bateau à vapeur faisant le service de Lorient à Port-Louis, le mauvais état de la route de Lorient aboutissant au pont et la création d'un passage public établi sur le Ter par le propriétaire du château du Ter.[…] Nous ne doutons pas que l'administration fera ce qui dépendra d'elle pour l'entretien des routes en bon état de viabilité et la suppression du nouveau passage signalé.

◊ La circulaire ministérielle du 24 mai 1850 impose de faire une visite du pont.

 

L'ingénieur ordinaire Théophile Dubreuil, procède le 26 juillet à la visite des câbles de suspension et de retenue.
Toute la partie apparente du pont est en très bon état d'entretien, les pièces du tablier sont coltarées avec soin…..
En résumé l'état est satisfaisant et ne laisse aucun doute sur sa solidité. Nous devons toutefois faire remarquer que le pont n'a été construit que pour donner passage à des voitures très légères, que cependant des voitures lourdement chargées y circulent tous les jours, qu'il peut en résulter des accidents et qu'il est indispensable d'interdire le passage des voitures chargées, attelées de plus d'un cheval.

Deux semaines plus tard les Seguin se permettent d'intervenir une fois de plus auprès du préfet rappelant que ce pont a déjà subi une demi-épreuve qui était suffisante pour constater sa bonne exécution et pour éloigner de l'esprit public toute inquiétude sérieuse.
Ils prétendent que l'épreuve n'aurait aucune utilité, évoquent les visites fréquentes faites par des hommes de l'art, la bonté des matériaux et l'intérêt que le constructeur a de conserver sa propriété, qui sont les meilleures garanties données à l'administration.
Nous osons donc espérer que vous ne maintiendrez pas votre arrêté. S'il en était autrement, nous vous prions, Monsieur le préfet, de vouloir bien en référer à l'autorité supérieure qui plusieurs fois, dans des circonstances analogues, nous a dispensés de l'épreuve.

Le préfet répond en termes assez sévères : je me bornerai à vous faire observer que l'épreuve est formellement imposée par l'article 4 du cahier des charges et qu'elle ne vous a pas empêchés de soumissionner.
Du reste il est appris que loin de vous plaindre du passage des grosses voitures, vous en avez profité pour percevoir une taxe qui ne se trouvait pas autorisée par votre tarif.
Enfin vous paraissez croire que l'administration supérieure serait favorable à vos prétentions. C'est précisément pour me conformer aux instructions ministérielles, que j'ai dû prendre mon arrêté du 19 mars.
Les Seguin lui répondent aussitôt :
Puisque vous persistez à maintenir votre arrêt, nous allons prendre les mesures nécessaires pour son exécution.
Mais nous écrirons néanmoins à monsieur le ministre pour le prier de réduire l'épreuve à la durée de 24 heures, durée suffisante puisqu'elle est adoptée dans tous les cahiers de charges. […] Quant au passage des grosses voitures, nous l'avons formellement interdit sur notre pont : vous avez été mal informé sur ce point, Monsieur le préfet. Nous avons seulement toléré le passage des charrettes et petites voitures du pays ainsi que l'indiquait monsieur l'ingénieur en chef dans son procès-verbal du 9 avril 1838.

 Signature Seguin

Le 18 juin l'ingénieur ordinaire rédige son rapport sur la demande des Seguin de réduire l'épreuve à 24 heures. Il contredit complètement son supérieur : La condition des 3 jours imposée par l'art.5 du cahier des charges est anormale […] Les accidents ont toujours lieu dans les premières heures de l'épreuve et il est admis aujourd'hui par tous qu'une épreuve trop prolongée ne pourrait que fatiguer inutilement les diverses parties de la construction.

Le préfet, autorisé par le ministre, est finalement contraint d'accepter la demande des Seguin et de publier un nouvel arrêté limitant la durée de l'épreuve à vingt-quatre heures.

L'épreuve commence le 22 août 1852. Auparavant il a fallu préparer les matériaux nécessaires à la charge et organiser le passage par bateau pour les personnes souhaitant traverser le Ter.

  

Théophile Dubreil, ingénieur ordinaire des ponts et chaussées, chargé du service de l'arrondissement de l'ouest et Louis Pax, représentant de MM. Seguin concessionnaires, procèdent à l'épreuve complète du pont suspendu de Kermélo.
Le pont était en parfait état, toutes les parties pouvant laisser quelque doute sur leur solidité avaient été remplacées.
Sa charge devant être de 200 kg par m², le poids nécessaire était de 51 072 kilogrammes.
Du sable mêlé de galets, provenant de la côte près du Kernével, avait été approvisionné depuis plusieurs jours.
Le lendemain à 5 heures du matin la charge a commencé ; à 11 h elle était terminée.
Les transports ont été effectués au moyen d'un wagon à bascule, trainé par 2 chevaux qui, placés sur les 2 rives n'agissaient que successivement et en sens contraire. Deux hommes seuls étaient sur le pont, occupés à maintenir le wagon sur la voie et à le faire basculer au lieu convenable.
Un nivellement préalable avait eu lieu avant de charger le pont puis immédiatement après. Les matériaux sont restés 24 heures sur le tablier. Pendant ce temps, le passage était interdit et fait par bac.
Le lendemain, nouveaux nivellements avant de retirer la charge. On a constaté qu'il y a eu allongement des câbles pendant l'épreuve, mais l'épreuve terminée, cet allongement n'a pas persisté.
Pendant et après l'épreuve les diverses parties de la construction ont été visitées : pas un fil ne s'est brisé, pas un assemblage ne s'est détraqué, les maçonneries sont restées intactes.

Fixation d'un tarif pour le passage des voitures
Le 22 septembre 1852 le préfet prend arrêté accordant un délai d'un an pour faire autoriser par un décret présidentiel la circulation des charrettes et voitures légères et le tarif auquel elles seront assujetties.

L'ingénieur chargé d'examiner le tarif proposé par Seguin estime qu'il ne peut être accepté parce que les prix sont très exagérés et en désaccord avec ceux en usage dans le département pour les concessions analogues. Citons quelques chiffres :

Projet Seguin Prix usuels
Voiture suspendue à 2 roues et 1 cheval    0,75 F    0,45 F
Voiture suspendue à 4 roues et 2 chevaux 1,50 0,60

Voiture d'agriculture du pays(ces voitures sont attelées de 2 bœufs et 2 petits chevaux)

1,25 0,40
              et quand la voiture va de la ferme aux champs 0,20
La même voiture vide 0,85 0,15

Le pays est pauvre, l'agriculture et l'industrie sont peu avancées et il faut se garder de les entraver. Les prix ne peuvent donc être ici ce qu'ils sont dans d'autres contrées.
Si le passage des voitures est toléré, ce ne peut être que dans un intérêt public.
……il ne serait pas prudent d'y laisser passer les voitures de roulage à 2 ou 4 roues, attelées de plus de 2 chevaux. Le pont n'a que 2 mètres de largeur, sans trottoir.
Nous demandons que le tarif annexé à l'ordonnance du 16 8bre 1834 soit complété comme suit

Personne conduisant une brouette ou voiture à bras chargée ou vide                              0,10
Voiture suspendue ou carriole à 2 roues et 1 cheval, conducteur compris                        0,45
                         pour chaque cheval en plus                                                                       0,10
Voiture suspendue à 4 roues et 1 cheval, conducteur compris                                          0,50
                         pour chaque cheval en plus                                                                       0,10
Charrette de campagne chargée quel que soit l'attelage, conducteur compris                  0,40
Charrette de campagne employée au transport d'engrais ou à la rentrée des récoltes     0,20
Charrette de campagne vide quel que soit l'attelage, conducteur compris                        0,15
Charrette de roulage à 2 roues, chargée, attelée d'1 cheval, conducteur compris             0,50
Charrette de roulage à 2 roues, chargée, attelée à 2 chevaux, conducteur compris         0,60
Charrette de roulage à 2 roues, vide : 0,20 en moins que pour la même chargée
Chariot à 4 roues, chargé, attelé d'un cheval, conducteur compris                                    0,60
Chariot à 4 roues, chargé, attelé à 2 chevaux, conducteur compris                                   0,70
Chariot à 4 roues, vide : 0,25 en moins que pour le même chargé
Charrette chargée ou non, attelée d'un âne, conducteur compris                                      0,20
                        chaque âne en plus                                                                                     0,05
Chaque personne autre que le conducteur, se trouvant dans les chariots, voitures          0,05

L'ingénieur en chef propose que ce rapport soit soumis aux enquêtes d'utilité publique conformément à l'ordonnance royale du 18 février 1834. 

 

Bouette 10 centimes

 

Charrette de roulage 50 centimes

  

Voiture à bras 10 centimes

 

Mulet avec charrette 20 centimes

 

Voiture suspendue 50 centimes

Après une enquête en mairie de Plœmeur qui ne reçoit aucune observation, le 2 juillet 1854 le conseil municipal considérant qu'aucun des habitants n'a fait d'observation, que les modifications indiquées paraissent avantageuses à l'intérêt agricole et aux concessionnaires, est d'avis que le nouveau tarif pour le passage sur le pont de Kermélo soit arrêté conformément aux propositions.

Le 23 septembre le sous-préfet, est d'avis que ce nouveau tarif soit arrêté, mais il soulève un nouveau problème : Le pont avait été fait pour le passage exclusif des piétons, des cavaliers et des bestiaux. On a reconnu plus tard qu'on pourrait, par suite de l'épreuve qui en a été faite, laisser passer sur ce pont les charrettes du pays, quel qu'en soit l'attelage, mais qu'il ne serait pas prudent d'y laisser passer les voitures de roulage.
Il y aurait danger à admettre le passage de ces voitures qui d'ordinaire sont lourdes et attelées de plusieurs chevaux.
En soulevant cette question de la solidité du pont pour le passage des véhicules, le sous-préfet déclenche une nouvelle série de démarches administratives qui vont retarder de deux ans la mise en application du nouveau tarif.
Le 4 novembre 1854, au terme d'une nouvelle visite du pont, l'ingénieur conclut : L'état du pont est donc satisfaisant et ne permet aucun doute sur la solidité de la construction.

Afin de savoir si le pont suspendu de Kermélo peut être affecté sans inconvénient au passage des voitures, le 16 avril 1855 le ministre de l'intérieur demande au préfet de lui adresser les dessins de ce pont et de lui faire connaître avec plus de détails l'état de conservation dans lequel il se trouve, les épreuves qu'il a subies et la manière dont il les a supportées.

Pour satisfaire à cette demande l'ingénieur Dubreuil rend encore un rapport sur les nouvelles dispositions projetées tendant à laisser passer les voitures sur le pont suspendu.
A ce rapport sont joints les dessins propres à donner une idée exacte de l'ouvrage et les résultats de l'épreuve complète de 1852.

En conclusion : depuis l'épreuve, le pont a été visité plusieurs fois. Les fils ont été reconnus en bon état […] il n'est pas douteux qu'aujourd'hui l'épreuve pourrait être recommencée avec succès.

Le poids de l'épreuve est de 51 072 kg et il n'y a pas lieu de craindre que le poids des voitures n'atteigne jamais ce chiffre.
On peut donc sans aucune crainte laisser circuler les voitures en toute liberté.
Aucune voiture suspendue pour voyageurs et marchandises, aucune voiture employée au transport des récoltes ou des denrées ne pèse 3 tonnes. On peut donc les laisser passer sur le pont.
Mais les voitures de roulage ou celles chargées de matériaux de construction, attelées de plus de 2 chevaux pèsent souvent de 3,5 à 4 tonnes et plus; il pourrait donc y avoir danger à leur permettre ce passage.
Cette restriction n'apportera aucune gêne à l'état de choses existant, car il n'y a pas de charrettes lourdement chargées qui suivent cette voie. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
   

 

Le 13 octobre 1855, l'Empereur décide d'adopter le projet de tarif du péage, pour les voitures et charrettes, élaboré par l'ingénieur ordinaire des ponts et chaussées.

Ce nouveau tarif s'ajoute à celui de l'ordonnance royale de 1834. En outre le passage sera interdit à toute voiture attelée de plus de 2 chevaux ou 4 bœufs.