L'usine d'iode

 

Demande d'autorisation

Le 13 juillet 1925, mademoiselle Emma Laureau, âgée de 57 ans, demande l'autorisation d'établir une fabrique d'iode en pleine agglomération de Larmor.

Emma Laureau est née le 30 avril 1868 au Kernével où son père Jules possède une fabrique d'engrais.

 

L'inspecteur départemental du travail, saisi de cette affaire, répond au préfet :
L'odeur répandue par cette petite fabrique est déjà perçue de la place bien qu'on ait à peine commencé à travailler.
Mlle Laureau aurait été mieux avisée en demandant d'abord l'autorisation avant de s'établir. J'estime qu'il est nécessaire de l'inviter à cesser cette fabrication jusqu'au moment où l'autorisation lui aura été accordée.
Il y a lieu de soumettre l'affaire à enquête, mais il ne me parait pas douteux que les réclamations contre le projet seront nombreuses.

 

La préfecture informe Mlle Laureau que cet établissement figure dans la 2e classe des établissements dangereux, insalubres ou incommodes et que son ouverture est subordonnée à une enquête de commodo et incommodo. Elle l'invite à lui adresser une demande et précise qu'il n'est pas possible en l'état actuel de la législation de vous autoriser à exploiter provisoirement votre établissement. D'autre part, si vous entrepreniez sans autorisation cette exploitation, vous vous exposeriez à des poursuites judiciaires.

 

Le 15 octobre 1926, monsieur Coutillard, maire de Larmor-Plage écrit au préfet que depuis environ un an, monsieur Edelin effectue des essais d'extraction d'iode à son domicile, sous la direction de M. Laureau, ingénieur. Ces essais ayant donné des résultats satisfaisants, M. Edelin sous le nom de Mlle Laureau, fait construire actuellement un établissement.
Bien que le bâtiment soit situé à environ 60 m de l'école, il est incontestable que les vents entraineront les émanations toxiques vers la maison d'école et les habitations à proximité.
J'ai fait observer à M. Edelin qu'il me semblait téméraire de construire avant d'être muni d'une autorisation en l'invitant à vous adresser sans retard une demande d'autorisation.
Je verrais avec intérêt une industrie nouvelle à Larmor, mais avec toutes garanties d'hygiène et n'offrant aucun danger pour la santé publique, mais il me semble que cet établissement est trop près des habitations . . . Dans la circonstance, il m'est très difficile de m'opposer personnellement à cet établissement.

 

Le 18 octobre, l'inspecteur d'académie du Morbihan confirme qu'une usine d'extraction d'iode des cendres de varech est en cours de construction à environ 60 m à l'ouest du groupe scolaire.
Il s'agit d'un bâtiment en agglomérés ayant 50 m de long sur 6 ou 8 de large avec un toit de tuiles. Son gérant est M. Edelin, conseiller municipal. Selon lui, son industrie basée sur une découverte récente ne serait nullement dangereuse pour le voisinage. Il n'y aurait ni fumées, ni émanations insalubres.
Il n'en est pas moins vrai que cette usine se trouve dans le voisinage immédiat d'un bâtiment publique qui reçoit au moins 200 enfants et dans une position telle que les écoles au moindre vent seront les premières à recevoir les vapeurs qu'on peut croire dangereuses à tous points de vue.
Il me parait qu'il y a lieu à enquête et délibération de la commission sanitaire et je ne puis que vous signaler l'intérêt urgent de cette question.

Le 20 mars 1927, mademoiselle Emma Laureau, domiciliée à Paris, 55 rue de la Procession et demeurant à Larmor expose au préfet qu'elle a l'intention d'installer sur la parcelle n°1724 de la section H un établissement classé. Il s'agit d'une usine considérée comme salubre, pour l'extraction de l'iode et des sels de potasse par les cendres de varech et lessivage de ces cendres. Aucune eau, aucun déchet n'est rejeté. Les matières utilisées sont toutes de varech, goémon, eau, un peu d'acide sulfurique et charbon.

 

Enquête

Le 20 avril un arrêté préfectoral fixe les dates de l'enquête du 1er au 15 mai en mairie. Monsieur Léon Peronnet, retraité à Larmor, est nommé commissaire enquêteur.

L'inspection du travail consultée sur le projet considère que le dossier est vraiment insuffisant pour une installation aussi importante. En effet, le demandeur est muet sur le procédé de fabrication qu'il compte utiliser et il importe qu'il donne sur ce point des renseignements précis.

 

Mlle Laureau expose que le travail de l'usine consistera à laver à l'eau froide les cendres de goémon. Les eaux ainsi obtenues seront précipitées par l'iodure de cuivre pour en extraire l'iode. Les eaux résiduaires seront ébullitionnées complètement pour extraire les sels de potasse qu'elles contiennent.
L'inspecteur d'académie demande que son rapport du 18 octobre dernier soit transmis au commissaire enquêteur. C'est la seule réclamation qui est faite, puisqu'aucun déclarant ne se présente.

 

Le 26 mai, alors que l'enquête est terminée, le commissaire enquêteur reçoit un courrier de Mlle Laureau.
Elle affirme que cette usine n'offre pour le voisinage aucun danger, aucune odeur incommode. Son installation prévoit un magasin de 10 m de long. Les cuves pour l'immersion des cendres occupent une quinzaine de mètres, ce qui porte à 95 m la distance de l'école, pendant laquelle il ne sera utilisé que de la soude et de l'eau.
Puis vient l'atelier de désulfuration et précipitation des iodes et iodures. Opérations qui seront pratiquées pendant quelques instants seulement et d'où ne s'échappe aucun gaz présentant le moindre danger. Le seul gaz est l'acide sulfhydrique, le même dégagé par le bain de Barèges. Les fourneaux d'ébullition des eaux résiduaires et l'atelier de sublimation seront à l'autre extrémité de l'usine et il ne sortira d'autre fumée ou émanation que celle produite par le bois ou le charbon. L'iode est enfermé dans des calottes hermétiquement closes.
Le procédé que je compte employer ne prévoit que l'emploi de l'acide sulfurique. Les iodures seront obtenus par un mélange de sulfates de fer et de cuivre.
Pour les propriétés voisines, rien à craindre attendu que le sol de l'usine sera bétonné de façon à recueillir tous égouttages pouvant se produire.
Il faut croire que la distance à laquelle se trouve l'usine de l'agglomération et de l'école est suffisante puisque le dossier demande un plan indiquant dans un rayon de 50 m, les puits, maisons, édifices publics etc . . . c'est qu'au-delà de cette limite un établissement de 2e classe peut être installé sans inconvénient.
Il est à remarquer que la population n'est pas hostile au projet. En effet, plus de cinquante personnes, dont la plupart des édiles, ont bien voulu signer une pétition considérant que cette industrie est utile au pays et sans inconvénient.

   

 

Le 31 mai, le commissaire enquêteur émet un avis défavorable au motif que l'usine projetée est vraiment trop rapprochée de l'agglomération, gênant ainsi son extension. Par ailleurs, le procédé indiqué semble incomplet et il y aura toujours des dégagements de gaz nocifs (hydrogène sulfuré, acide sulfureux) qui seront rabattus sur les environs. En outre les eaux d'évacuation pourront être chargées de liquides toxiques ayant une action néfaste sur les sources. Il ne tient pas compte de la correspondance de Mlle. Laureau, ni de la pétition arrivées après la date de clôture de l'enquête.

 

 

D'autres avis défavorables et pressions sur le préfet

Le 11 juin, Pierre Le Hen, inspecteur du travail, adresse son rapport au préfet. Il affirme qu'il y aura dégagement de gaz rendant très insalubre l'atmosphère des ateliers et susceptibles d'incommoder fortement le voisinage.
Il estime l'emplacement mal choisi par rapport aux vents dominants orientés vers les maisons.
Par ailleurs, il s'agit d'une commune en pleine extension. Toutes les parcelles situées aux abords immédiats de l'usine sont appelées à recevoir des maisons d'habitation parce que l'agrandissement de la commune n'est possible que dans cette direction.
De plus, cette commune a demandé d'être reconnue station touristique. Il m'apparait donc difficile de placer une usine de ce genre sur un emplacement aussi rapproché d'une station touristique.

Enfin, j'ai constaté sur les lieux la faiblesse des pièces de charpente et les murs trop minces sont incapables de résister à la moindre poussée provenant des fermes de la charpente, de sorte que cette construction est menacée de ruine avant son achèvement.

Je vous serais donc obligé, monsieur le préfet, si vous croyez devoir autoriser l'ouverture de cet établissement, de vouloir bien surseoir à cette autorisation jusqu'à ce que la construction ait été modifiée de manière à remédier aux causes d'insécurité signalées.
Pour conclure, j'estime que la demande de Mlle Laureau n'est pas acceptable.

 

 

Le 17 juin la commission sanitaire de Lorient émet un avis défavorable à la demande de mademoiselle Laureau.

Monsieur Joseph Guéblé qui a dirigé pendant 6 années une fabrique d'iode à Quiberon fournit une attestation à Mlle Laureau affirmant qu'il n'y a aucun danger d'infiltration, ni dégagement de vapeur nocive.

Le 25 juin, Mlle Laureau ayant eu connaissance de l'avis de la commission sanitaire, intervient auprès du préfet pour démontrer que son installation n'est pas polluante. Je suis certaine qu'après ces longues explications, je vous aurai gagné à ma juste cause et que vous voudrez bien m'accorder l'entretien sollicité.

Le 28 juin, Louis Edelin, conseiller municipal, gérant de la future usine, s'adresse au préfet. Pendant deux ans, j'ai manipulé les produits qui seront employés dans cette industrie et je puis vous affirmer qu'il n'y a aucune vapeur nocive dégagée, aucune odeur incommode pour le voisinage.
J'ai deux fillettes aux écoles de Larmor et vous avez pu voir qu'elles se portent bien puisque l'une d'elles a eu l'honneur de vous offrir une gerbe le jour de l'inauguration (de la mairie, deux mois plus tôt).
Peut-on léser sans motif valable la pauvre commune d'une patente intéressante, d'un impôt sur le chiffre d'affaires de 25 ou 30 000 F, enlever à la population 60 ou 80 000 F de salaires annuels sans que cela nuise au développement, sans la moindre gêne ou insalubrité ?

Vous me connaissez aussi, monsieur le préfet. Je me suis toujours dévoué pour l'agglomération et c'est pour moi que cette industrie s'est créée à Larmor. C'est pour cela que je la considère comme une affaire personnelle et un échec serait cause d'évènements importants.

 

Le 15 juillet, l'inspecteur départemental du travail rédige un nouveau rapport dans lequel il s'applique à expliquer les réactions chimiques qui se produisent et montrer leur nocivité.
Dans la jurisprudence qu'il a consultée, il n'a trouvé que des décisions de tribunaux attribuant des dommages et intérêts à des plaignants propriétaires de terrains ou d'habitations à proximité de fabriques de produits chimiques divers.
Dans ces conditions, il n'a aucune modification à apporter aux conclusions défavorables déjà formulées.

Monsieur Brard, sénateur du Morbihan, intervient auprès du préfet pour que satisfaction soit donnée à M. Edelin.

 

Autorisation provisoire

Le conseil départemental d'hygiène se réunit le 11 août sous la présidence du préfet. Il émet un avis favorable à une autorisation temporaire d'une durée d'un an, étant entendu qu'au cours de cette période, le conseil se rendra sur place afin de savoir si l'autorisation pourra être accordée définitivement ou s'il y a lieu d'ordonner la fermeture de l'établissement.

Le 25 août, un arrêté préfectoral autorise Mlle Laureau à exploiter pendant une durée d'un an une fabrique d'iode.
Les considérants et attendus sont que :
- l'établissement est situé sur un terrain dans le voisinage duquel des transformations sont à prévoir relativement aux conditions d'habitation ou au mode d'utilisation des emplacements ;
- il convient de n'accorder, par suite, qu'une autorisation de durée limitée qui permettra de se rendre compte si les procédés employés ne présentent, comme l'affirme Mlle Laureau aucun inconvénient pour le voisinage ;
- Mlle Laureau, qui a eu le tort de construire son établissement avant d'avoir demandé et obtenu les autorisations nécessaires, a par avance accepté une autorisation temporaire étant entendu que cette mesure ne pourra prévaloir dans la décision définitive à intervenir.

 

 

Contrôles sur place

Le 20 juillet de l'année suivante, le conseil départemental d'hygiène en présence du préfet se rend sur place pour étudier les conditions de fonctionnement de l'usine d'iode.

La fabrique est en pleine activité. Sept ouvriers ou ouvrières y travaillent sous la direction de Mlle Laureau et d'un contremaître et ne semblent pas incommodés par l'atmosphère de l'établissement qui ne présente d'ailleurs rien de désagréable.

Mlle Laureau expose sa méthode de travail. La cendre de goémon est achetée dans le Finistère, environ 200 tonnes sont traitées annuellement. L'usine fonctionne toute l'année.
La cendre concassée est lessivée dans des cuves remplies d'eau douce. Les eaux de lessivage ainsi obtenues sont versées dans des cuves où elles se reposent et sont ensuite mises dans des chaudières pour être réduites de moitié et pour atteindre le degré de concentration voulu. Les eaux réduites sont versées dans des cristallisoirs en fonte où elles se refroidissent et déposent des sels qui sont lavés, séchés et vendus à l'agriculture.
Lorsque les eaux restant dans les cuves sont redevenues froides, elles sont traitées par une petite quantité d'acide sulfurique. Puis le précipité est traité au moyen de sulfate de cuivre et l'on obtient un produit se présentant sous forme de pâte qui est l'iodure. Cette pâte est lavée, égouttée, pressée et livrée au commerce.
Parfois cet iodure est transformé en iode, mais non sublimé. Pour ce travail, elle emploie du bichromate de potasse.
Une tonne de cendres d'algues fournit 4 à 6 kilos d'iode.

 

Le conseil se déplace ensuite à l'école des garçons où M. Le Corvec, directeur, déclare qu'il est parfois gêné par les émanations qui se dégagent de l'usine, de même que l'un de ses adjoints. Mais il n'a jamais remarqué que les élèves aient été incommodés.

 

Quant à la mairie de Larmor, elle n'a jamais reçu la moindre plainte.

 

Les membres de la délégation sont d'avis que la demande peut être accordée.

 

Huit jours plus tard, l'inspecteur d'académie pense que l'autorisation provisoire qui avait été accordée doit être définitivement retirée. En effet, d'après les observations faites par les instituteurs, il apparait que les jours de fabrication et sous un vent favorable, les écoles ont été très fortement incommodées par les émanations provenant de l'usine.
Ainsi, au cours de l'année scolaire 1927-1928, M. Le Corvec a fait ses observations au jour le jour, dont voici un extrait :
- 19 octobre 1927 vers 14 heures, suis incommodé en classe par très forte odeur irritante ;
- 4 novembre 13 heures, du gaz. Douleurs à la poitrine ;
- 1er février 1928. Récréation 10 h. Très fortes arrivées de gaz. J'ai des maux de tête, nausées, ne suis pas à mon aise, douleurs à la poitrine. Devant monsieur Sollier, sur la cour, monsieur Bedel se plaint aussi de maux d'estomac ;
- 6 février. Très forte arrivée de gaz vers 13 h. j'ai des douleurs à la poitrine, de la toux, irritation des fosses nasales, picotements, gorge sèche. Monsieur Bédel se plaint de maux de gorge et d'estomac, monsieur Le Cuiche de la toux, madame Le Cuiche de l'estomac. Depuis et pendant plusieurs jours, j'ai de l'extinction de voix, de la toux sèche, des douleurs à la poitrine, des maux de tête.
- Etc.
J'ai constaté que ce gaz est blanchâtre, semble plus lourd que l'air. Son action est plus forte par brise légère et temps humide. Alors il s'accumule dans le jardin, sous le préau, dans les caveaux, dans les classes et les logements.
L'état sanitaire général est mauvais dans les deux écoles. Malgré nos désinfections journalières des classes au crésyl, les maux de gorge ont été très fréquents pendant l'année scolaire.

 

Le 20 décembre 1928, monsieur Edelin informe le préfet qu'il vient de prendre la direction de l'usine d'iode en remplacement de Mlle Laureau et lui demande les conclusions de la visite faite par la commission départementale.

Le 9 avril 1929, à la demande du préfet, une délégation du conseil départemental d'hygiène se déplace à Larmor pour visiter inopinément la fabrique d'iode. Elle est reçue par M. Edelin.
Les procédés employés ne paraissent pas de nature à causer d'inconvénients pour le voisinage. A l'école, le directeur déclare que, contrairement à l'année précédente, lui et son personnel n'ont pas eu à souffrir de malaises du fait de l'usine.
En conclusion, la présence de l'établissement n'entraine pas d'inconvénients appréciables.

 

Autorisation définitive

Le 30 juillet, le conseil départemental d'hygiène est d'avis qu'une autorisation définitive soit accordée à la société Le Goémon pour exploiter une fabrique d'iode à Larmor.
Le 14 août 1929, le préfet signe un arrêté dans ce sens.

En 1960, après la liquidation de la société "Le Goémon", la commune rachète les deux parcelles de terrain lui appartenant pour le Parc des Sports.

 


 

A propos du goémon

 

La récolte

 

L'ordonnance de la marine d'août 1681 signée de Louis XIV réglemente la récolte du goémon. Elle est rédigée spécialement pour la Bretagne en 1684. Dénommée "Ordonnance de la marine sur les côtes de Bretagne", elle est enregistrée par le Parlement de Bretagne le 18 janvier 1685. Elle prévoit que les habitants des paroisses situées sur les côtes de la mer s'assembleront le premier dimanche de janvier, à l'issue de la messe paroissiale, pour régler les jours auxquels devra commencer ou finir la coupe de l'herbe appelée varech ou goémon croissant en mer à l'endroit de leur territoire.
Elle fait défense aux habitants de couper le varech pendant la nuit ou hors des temps réglementés par la décision de leur communauté, de les cueillir ailleurs que dans l'étendue des côtes de leur paroisse et de les vendre aux forains ou porter sur d'autres territoires à peine de cinquante livres d'amende et de confiscation des chevaux et harnois.
Elle permet à toute personne de prendre indifféremment en tous temps et en tous lieux les varechs jetés par les flots sur les grèves et de les transporter où bon leur semblera.

 

Le 20 décembre 1842, le préfet autorise la coupe du goémon en février et en septembre. Mais selon les cultivateurs de la commune, la première coupe qui ne dure qu'un mois est insuffisante et ne permet pas de cueillir le varech nécessaire et indispensable aux besoins de la culture. D'ailleurs pendant les deux marées du mois de février, il arrive souvent qu'ils soient contrariés par le mauvais temps et forcés de renvoyer la coupe aux marées du mois suivant. […] La coupe de septembre est tout à fait inutile, entièrement nulle et doit être supprimée pour la reporter au mois de mars. En mai de l'année suivante, le conseil de Plœmeur fait sienne cette revendication et demande au préfet de bien vouloir modifier son arrêté.

 

Dans les années qui suivent, les périodes de récolte du goémon sont plusieurs fois modifiées par le préfet, mais pour diverses raisons, elles ne donnent jamais entière satisfaction aux cultivateurs.

 

Le décret du 4 juillet 1853 porte règlement sur la police de la pêche maritime côtière. Il distingue trois types de goémon : celui tenant à la rive, celui venant épave à la côte et celui poussant en mer.
Le goémon de rive est exclusivement réservé aux habitants de la commune. Sa coupe ne peut avoir lieu qu'une fois par an dans la période comprise entre le 22 septembre et le 31 mars, aux jours déterminés par l'autorité municipale.

Plusieurs communes du littoral souhaitant que deux coupes de goémon soient autorisées par année, chaque commune est consultée.
En 1854, le conseil municipal se prononce en faveur du maintien d'une seule coupe de goémon par an qui satisfait aux besoins de l'agriculture et dans l'intérêt de la conservation de ce précieux engrais.

 

Le 15 janvier 1858, le maire de Plœmeur autorise à couper le goémon du 3 février au 31 mars ce qui, selon le préfet maritime, est contraire au décret de 1853. Mais le maire ne l'entend pas de la même façon puisque son arrêté dit que les habitants se conformeront au règlement précité qui impose l'obligation de ne couper qu'une seule fois sur chaque point de la côte afin que chaque roche ne soit qu'une seule fois par an dépouillée de ses herbes.
D'ailleurs, les habitants de la commune se sont toujours conformés à ces sages prescriptions qui sont d'un haut intérêt pour eux puisqu'elles ont pour but la conservation d'un produit si précieux pour leurs cultures.

 

La cueillette du goémon épave apporté par le flot sur le littoral conduit souvent à des disputes entre les habitants qui ne peuvent s'entre sur l'heure d'ouverture de la récolte. En effet, l'article 123 du décret de 1853 prévoit qu'elle ne peut avoir lieu que pendant le jour. Les premiers arrivés prétendent s'être réglés sur l'heure de leur pendule, ramassant tout ce qu'ils trouvent et ne laissent rien à ceux qui arrivent à l'heure réglementaire.
Pour faire cesser cette difficulté, en 1860 le maire prend un arrêté qui fixe l'heure d'ouverture de la cueillette au moment de l'extinction du feu de l'île de Groix, de sorte que le signal est commun à tous.

 

En 1865, le maire intervient auprès du sous-préfet car il reçoit des plaintes contre certains cultivateurs qui vont la nuit ramasser les goémons épaves. Ces contraventions provoquent de violentes querelles qui dégénèrent souvent en rixes et qui finiront à coup sûr par amener quelque malheur irréparable si cet état de chose n'est pas modifié.
Ni les commissaires de police ni le garde-champêtre ne sont habilités à verbaliser. Cela est du ressort de la marine, mais le syndic des gens de mer refuse de le faire.
Il demande donc qu'on fasse respecter la loi.

En réponse, le préfet maritime informé du problème ordonne au syndic des gens de mer de Larmor d'exercer sur la récolte des goémons épaves une surveillance aussi efficace que possible.

 

La coupe du goémon continue à être réglementée. Ainsi, beaucoup plus tard en 1932, elle est autorisée à Larmor les 22, 23 et 24 février sur la côte de la commune pour tous les habitants en résidence depuis au moins 6 mois et possédant 15 ares de terres. Elle est interdite du coucher au lever du soleil et pourra être reprise les 7, 8 et 9 mars. Et l'emploi d'engins mécaniques est formellement interdit.

 

Selon Le Nouvelliste du Morbihan, "C'était naguère trois jours de fête. De nos jours encore, cela constitue un évènement, mais infiniment moins marqué, moins pittoresque que dans le temps.
"Vous vous souvenez peut-être de ces longues théories de charrettes à Larmor-Plage. Le coupeur de goémon avait convoqué cousins, cousines pour l'aider. Après avoir chargé le précieux engrais, il y avait les agapes familiales. On y mangeait et buvait ferme. Les boulangers avaient dû faire des fournées supplémentaires.
"Bref, c'était une solennité à la manière de nos "fest en oh", des charrois et des inaugurations d'aire à battre… Une de ces assemblées comme on les aime en Bretagne.
"Aujourd'hui, la vie est plus chère et plus triste. On est aussi plus égoïste et l'on réduit les frais. "Ramassons notre goémon et ne parlons plus du reste". Ce n'est plus une fête mais presque une corvée…
"Ainsi aujourd'hui, les cultivateurs riverains sont allés au goémon. Ils étaient assez nombreux, moins qu'autrefois. Et ce pour une bonne raison : il y a aussi moins de goémon; le nettoyage des plages a réduit l'excellent engrais. De sorte que peu à peu une tradition pittoresque qui inspira si souvent les peintres, s'en va."

 

 

Brûleries de goémon

 

Depuis 1929, des pêcheurs de Loctudy viennent l'été à Locqueltas et à Kerpape où ils ont creusé deux fours pour brûler le goémon. Celui de Locqueltas a 8 m de long sur 60 cm de large et environ 80 cm de profondeur. Celui de Kerpape est encore plus grand : 12 m.
La récolte du goémon, faite au large, est séchée sur le rivage et mise en tas. Tous les quinze jours a lieu l'incinération. Les cendres sont ensuite divisées en "pains" puis transportées à l'usine. Elles sont alors analysées pour connaitre le degré d'iode et réglées en conséquence.

L'épandage et le brûlage du goémon suscitent des protestations. Le conseil municipal, la chambre touristique, les syndicats de pêcheurs de crustacés et les syndicats agricoles s'en font l'écho, opposant leur thèse à celle des goémoniers finistériens. Le préfet est saisi de l'affaire, mais seule une réglementation peut remédier aux inconvénients résultants d'une exploitation intensive.

 

En mars 1931, le maire prend un arrêté stipulant en particulier que :
                 - l'épandage et les brûleries de goémon sont autorisés sur toute la commune ;
                 - ils seront suspendus pendant la saison balnéaire, de juillet à septembre ;
                 - les brûleries sont interdites à moins de 500 m de toute habitation.
Ainsi les vapeurs âcres des brûleries n'incommoderont plus les baigneurs, il restera d'avantage d'engrais pour les cultivateurs, les crevettes et crustacés seront plus abondants. 

 

En 1936, alors qu'un décret instaurant une réduction des droits de douane porte gravement atteinte à l'industrie du goémon, M. Edelin est toujours directeur de la société Le Goémon, dernière usine d'iode dans le département après la fermeture de celles de Quiberon.

 

Dans l'annuaire téléphonique de 1937, la société anonyme Le Goémon porte le numéro 14. Elle ne figure plus dans celui de 1948.